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Document de l'Association pour l'étude du pic pétrolier (ASPO), relatif à l'état actuel des réserves pétrolières (http://www.peakoil.net)

Lire aussi le texte : http://www.aredam.net/Nous_mangeons_du_petrole_texte_original.pdf

 

Note préliminaire du site aredam : nous sommes dans une lente et inexorable agonie et dans une guerre incessante et sans armistice possible

 

22/11/2011

Lettre au Conseil d'Analyse Stratégique

Aux rédacteurs du rapport sur la voiture de demain CAS juin 2011.

Vous avez publié en juin un document concernant les mérites (ou pas) des véhicules électriques et hybrides comparés à ceux des véhicules thermiques. Notre attention a été plus particulièrement attirée par la section concernant l'avenir de la production pétrolière (partie 1 de l'introduction).

Notre association, Association for the Study of Peak Oil France, a pour but d'étudier les limites possibles de la production pétrolière, ainsi que d'autres ressources énergétiques fossiles. Elle est composée de géologues pétroliers ayant travaillé dans de grands groupes nationaux et internationaux, d'ingénieurs et de scientifiques. Elle fait partie d'une association internationale fondée en 2002 et regroupant plus de 20 branches nationales. Elle résulte du travail dans les années 90 de géologues pétroliers, dont MM. Campbell et Laherrère, sur l'état des réserves pétrolières dans le monde. Cette association répondait aussi à la mauvaise prise en compte de cette situation par des organismes internationaux reconnus comme l'Agence International de l'Energie. En effet, dans sa publication de 2002 du World Energy Outlook l'AIE prévoyait une production de pétrole brut passant de 70 millions de barils par jour (Mb/j) en 2000 à 121 Mb/j en 2030 avec un prix en $ constant évoluant de 20 $/b à 29 $/b. La réalité a été différente. A sa décharge faire ce genre de prédiction est très délicat, en particulier en l'absence d'une estimation rigoureuse des réserves pétrolière réellement disponibles. La publication de 2008 du World Energy Outlook a révisé à la baisse les prévisions passées en soulignant l'importance du déclin des champs pétroliers.

Concernant votre rapport, si nous sommes d'accord avec vous sur le constat d'une forte demande de produits pétroliers, nous ne partageons pas votre relatif optimisme au sujet de l'offre. Plus que les réserves, l'indicateur pertinent de l'offre est le niveau de production que seront réellement capables de fournir les exploitants de champs pétroliers.

Les prix ont augmenté considérablement depuis 2002 (d'un facteur 2 à 5 depuis cette année), car la production ne pouvait plus satisfaire la croissance de la demande. Cette croissance a été stimulée par un prix moyen du baril de 20 $ pendant plus de 15 ans. Si la production n'a pas vraiment été relancée par plus de 6 ans de prix élevé (au delà de 35 $/b même fin 2008, et en moyenne annuelle plus de 60 $/b) et des investissements élevés (de l'ordre de 10 milliards de $ par an pour la seule Arabie Saoudite), il faut admettre qu'il existe des contraintes géologiques forçant la production à passer par un maximum. C'est ce qu'ont connu de riches provinces pétrolières avant 2000 comme en mer du Nord ou aux Etats-Unis (Fig. 1). Leur courbe de production présente maintenant un déclin de 2 à 8 % par an. Leur situation montre aussi que le profil de production ne passe pas brusquement à 0 comme le suggère le ratio Réserve sur Production. Le monde continuera à produire du pétrole jusqu'à la fin du siècle. Mais la principale préoccupation de notre économie est ce maximum qui empêchera de satisfaire une demande croissante.

Par ailleurs l'établissement d'un niveau de réserve est très délicat en raison des incertitudes sur le volume de pétrole qui sera extrait de chacun des champs, surtout si récemment découverts. De plus, étant donné les enjeux autour de ces chiffres (par exemple établissement des quotas pour les pays de l'OPEP), nous avons des raisons de penser que l'accroissement des "réserves prouvées" de pétrole entre 1970 et actuellement résulte surtout de décisions financières et/ou politiques plutôt que d'importantes découvertes. Les valeurs de réserves dite prouvées et probables - suivant des normes établies par les sociétés d'ingénieurs pétroliers - reflètent mieux la valeur des champs que les réserves prouvées. Ce paramètre est maintenant adopté par les organismes de contrôle financier, même la Securities and Exchange Commission sur le marché de New-York. En reportant à l'année de leur réelle découverte les réserves prouvées et probables des nouveaux champs, il est possible de suivre l'évolution des découvertes et de l'extrapoler (moyennant aussi une étude géologique des bassins prometteurs). C'est ce que représente au niveau du monde le graphe des découvertes que vous présentez dans votre rapport. Il est donc plus fiable que l'indicateur R/P avec lequel il est d'ailleurs en contradiction (comment les réserves peuvent augmenter alors que la production est plus importante que l'ensemble des découvertes faites dans le même temps ?). Il contient les récentes découvertes faites au large du Brésil et de l'Afrique. Et pourtant toutes ces découvertes ne représentent même pas la moitié de la production.

En outre une nouvelle province pétrolière comme celle découverte au large du Brésil sous une couche de sel ne sera pas développée immédiatement, même avec le niveau d'investissement décidé (200 G$ d'ici 2020). Pour comparaison les gisements de la mer du Nord ont commencé à être découverts à la fin des années 60 et mis en production au début des années 70. Ils ont atteint leur apogée entre 1995 et 2000 avec environ 6 millions de barils par jour. De l'ordre de 50 Gb de pétrole pourrait être extrait des gisements pré-salifères du Brésil, proche des réserves initiales de 65 Gb de la mer du Nord. En supposant un développement comparable, la production pourrait atteindre 5 Mb/j vers 2030-2035. Le niveau actuel de production mondiale de pétrole (inclus les liquides de gaz) est d'environ 85 Mb/j, avec une perte annuelle due au déclin de l'ordre de 4 Mb/j (estimation de l'AIE). Chaque année il faut mettre en production des gisements à un niveau égal à cette perte pour au moins maintenir la production. Cela relativise l'importance des gisements brésiliens.

 

Fig. 1 : production de pétrole brut aux Etats-Unis d'après le bureau fédéral des statistiques énergétiques.

Fig. 2 : production et nombre de projets de récupération améliorée ("Enhanced Oil Revovery") - injection de vapeur, de CO2 ou autres gaz miscibles, combustion in situ... - aux Etats-Unis.

 

Il faut être aussi prudent sur les effets d'annonce concernant les méthodes de récupération améliorée - comme l'injection de vapeur ou de CO2 - aussi bien sur des champs matures que sur les gisements de pétrole extra-lourd ou de bitume comme en Alberta. Ces méthodes sont connues et ont été mises en place depuis les années 60, certes avec des améliorations progressives.

Le premier pays a expérimenté ces méthodes a été les Etats-Unis, ce qui a ralenti mais n'a pas empêché le déclin de sa production. Ces procédés se caractérisent par de faibles productivités et par une consommation importante d'énergies et de matériels. Par exemple les champs de pétrole lourd de Californie comme Kern River ont du être produits par injection de vapeur permettant de récupérer au total 60-65 % du pétrole en place. Mais la productivité d'huile par paire de puits (injecteur + producteur) a été au plus de 20 b/j (et 140 b/j d'eau) ; l'énergie nécessaire pour toutes les opérations, en particulier production de vapeur et pompages, requiert en énergie brute de 30 à 40 % du pouvoir calorifique du brut extrait. La récupération ultime par puits sera inférieure à 0,2 Mb. Par comparaison les champs sur les grands fonds du Golfe du Mexique aux Etats-Unis (Atlantis, Mad-Dog...) présente une productivité initiale de 20 000 b/j par puits, certes déclinant assez rapidement, pour une récupération d'environ 40 Mb/puits. D'ailleurs, d'après Oil&Gas Journal qui suit ces opérations depuis 1980, l'ensemble de ces méthodes produit env. 0,7 Mb/j (pour une production de brut aux Etats-Unis de 5,2 Mb/j actuellement) et semble peu dépendant des prix (Fig. 2). La géologie de la roche réservoir et les caractéristiques de ses fluides restent les paramètres déterminants dans ce genre de production.

Pour toutes ces raisons, la situation de la production pétrolière mérite un travail plus précis que vous n'en faites, surtout si le résultat a une influence sur la conclusion générale de votre rapport. Indépendamment du mérite ou non du véhicule électrique, nous avons des raisons de penser que la situation pétrolière est beaucoup plus critique que l'impression qui se dégage de votre étude.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions sur ce sujet.

Vous pouvez aussi visiter notre site pour des compléments d'information, en particulier avec notre critique sur un article de Cl. Allègre et des éléments sur les hydrocarbures "ultra-lourds".

Très cordialement,

J. Laherrère et X. Chavanne au nom d'ASPO-France.