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UN CRIME CONTRE LE PEUPLE ALGERIE : LES ESSAIS
NUCLEAIRES FRANÇAIS DANS LE SAHARA ALGERIEN
Au moment où les vétérans
de l’armée coloniale en Algérie exigent des dédommagements
pour avoir été exposés aux radiations en Algérie,
nous demandons que les populations présentes sur le sol alentour
soient également dédommagées pour les contaminations
subies.
En ressortant ces interviews réalisés
par mon amie Solange Fernex, présidente de " Femmes pour la
Paix" , membre co-fondatrice des "Verts", députée
européenne de 1989 à 1992, décédée
il y a deux ans, je voulais lui rendre hommage pour le travail qu'elle
avait entrepris afin que "Femmes pour la Paix" , l'association
dont j’étais la vice-présidente, puisse dénoncer
le crime contre l'humanité qu'ont été les essais
nucléaires français en Algérie comme en Polynésie.
Je voulais également profiter des recherches
qui sont faites actuellement sur le lien entre retombées radioactives
et cancers à Mururoa et Fangataufa. L'histoire des essais nucléaires
est une histoire criminelle, un crime des Etats contre les populations,
surtout quand elles sont colonisées et ne peuvent que subir ce
terrible empoisonnement.
En France, le programme nucléaire militaire
a débuté par la décision en 1954, tenue secrète,
d'avoir des bombes atomiques. La première explosion eut lieu à
Reggane, dans le désert algérien le 13 février 1960.
4 essais atmosphériques furent effectués sur le site ainsi
que 13 essais souterrains. Puis à l'indépendance de l'Algérie,
la France a acquis les atolls de Fangataufa et Mururoa dans le Pacifique
Sud où ont été effectués 175 essais dont 44
en atmosphère, tout en continuant à les faire en Algérie
jusqu'en 1966. Après avoir bien irradié le sol, le sous-sol,
et toutes les espèces vivantes, l'Etat français a continué
à effectuer ses essais criminels en Polynésie. Certains
essais ont été extrêmement puissants, d'autres ont
été faits sans précaution vis à vis des populations.
C'est uniquement le "secret défense" qui entoure ces
expériences qui a fait croire à une population mal informée
et soumise par le colonisateur que les dégâts étaient
minimes alors que les interviews des bédouins présents lors
des essais nucléaires en Algérie prouvent le contraire.
Nous savons depuis les bombardements atomiques d' Hiroshima et de Nagasaki
que l'irradiation des populations amène toutes sortes de maladies
génétiques, dont les cancers et les leucémies. Et
l'accident de Tchernobyl, en 1985, nous a prouvé que les nuages
ou champignons nucléaires ne connaissaient ni l'espace, ni les
frontières, qu'ils traversaient facilement les montagnes, les fleuves
et les mers. Ces interviews ont été diffusées par
Solange au parlement européen et envoyées dans différents
ministères et organisations politiques français ou algériens
par "Femmes pour la Paix". Malheureusement, "La Muette"
avait bien couvert tous les secrets qui touchaient à la bombe atomique
française et empêché la diffusion de ce document.
J'ai pensé qu'au moment où les militaires irradiés
en Polynésie ainsi qu’en Algérie déposaient
leurs dossiers afin que leurs maladies soient reconnues comme maladie
professionnelle pour qu'ils puissent profiter d'une rente pour le peu
d'années qu'il leur reste à vivre... le temps serait certainement
venu, 50 années plus tard, d'indemniser également les populations
algériennes. Nous leur devons bien cela, puisqu'elles ont servi
de cobayes à l’armée française. Ginette Hess
Skandrani Vice-présidente de "Femmes pour la Paix" membre
co-fondatrice des "Verts" exclue en 2006 pour avoir exigé
"Un seul Etat démocratique et pluriel pour tous en Palestine/israël".
Interviews réalisés par Solange
Fernex, en juin 1992 sur les Essais nucléaires en Algérie
ESSAIS NUCLEAIRES EN ALGERIE
Interviews des nomades algériens, voisins
de l’endroit où ont eu lieu ces essais.
Enquête réalisée en 1992
-
- Interview n°I
-
- Mohamed
- A son avis, il y a eu deux essais nucléaires avant 1962 et plus
après.. Cependant, il sait que les Français sont restés
jusqu’en 1966.
- Selon lui, les essais ont eu lieu dans le Hoggar. Il se rappelle que
lorsque des experts de la SONEC (recherches minières) sont allés
sur le site pour repérer l’uranium, l’un d’eux
a été gravement contaminé et a été
transporté pour être opéré en France. Il a
vu, en survolant la région par avion, de grands cratères
couleur cendre (gris blanc)
- Selon lui, la région de Reggane est devenue actuellement une
grande région agricole, donc, selon lui, c’est la preuve
qu’il n’y a pas de danger car ils n’auraient pas permis
cela !
-
- Interview n°2
-
- Moustapha d’Im Amguel
- Il a travaillé plusieurs années comme infirmier dans la
région d’Im Amguel, qui se trouve dans le Hoggar, à
150 km de Tamanrasset. C’est sous la montagne (Mont Tourirt) qu’ont
été faits les essais. « Il me semble qu’à
Reggane, il y a eu un essai en 1958. Je me souviens qu’à
l’époque, je me trouvais à Goa, au mali et on a entendu
l’explosion. En fait, on a senti la terre trembler et comme un bruit
sourd. Le bruit s’est entendu jusqu’à Tessalit ;
- On m’a dit qu’à ce moment, il y a des caravanes qui
ont péri dans le désert, mais je n’ai pas de précisions
de cela ;
- J’ai vu l’endroit à Reggane. Ils ont creusé
une cave en dessous de petits rochers de rien du tout. Ce sont les militaires
français qui ont creusé ; Les gens de Reggane faisaient
les travaux les plus lourds.
- Après l’explosion, ils ont fermé le site avec des
barbelés et l’ont abandonné comme cela.
- Mais la plupart des barbelés ont été arrachés
par les trafiquants de cuivre qui viennent du côté de Béchar
et l’ont vendu au Maroc. Ils ont volé les installations électriques
irradiées pour récupérer le cuivre.
- Ils avaient utilisé de gros câbles (de 20 cm de diamètre).
Il me montre l’épaisseur (note de l’interviewer). Tout
le monde arrachait cela. Depuis les installations électriques souterraines
de Reggane jusqu’au site, pendant environ 40 km, je pense.
- Je connais des vieux à In Amguel, de gros commerçants
qui viennent jusqu’à Béchar. Ils remplissent les citernes
d’essence de cuivre pour avoir des camions de transport. Ils les
amènent à Adrar et Béchar pour les revendre aux commerçants
marocains.
- à Im Amguel, les Français avaient des bases très
importantes.
- A Attakor Mies, il y a la base vie. Ils ont une autre base à
Ekar, près des montagnes, où ils font exploser la bombe.
Il y a 40 km entre les bases et il y a les conduites électriques
souterraines pour éclairer les bases.
- Jusqu’en 68, il y a des gens qui viennent voler le cuivre et chargent
les chameaux. Je connais beaucoup de ces gens qui sont morts :
- X, un type très actif très connu par tous les commerçants.
Il avait plusieurs chameaux.
- Y, son intermédiaire pour les commerçants.
- Ils sont tous les deux décédés.
- A, à côté de Tamanrasset, B, C, tous les trois décédés.
- J’en connais beaucoup qui ne vivent plus. La plupart étaient
jeunes. Je ne peux pas te dire de quoi ils sont morts. J’en connais
aussi beaucoup qui sont malades. Je connais un certain D qui est toujours
malade.
- J’ai mon frère qui s’est marié et a travaillé
un peu avec. Avant qu’il ne travaille avec eux, il a eu un premier
enfant. Après il n’a jamais pu avoir d’enfants .
- Je connais beaucoup d’hommes au Hoggar qui ont travaillé
avec eux et n’ont jamais pu avoir d’enfants.
- Quand je travaillais là-bas, on nous envoyait souvent des femmes
de Tam qui faisaient des fausses couches. Je ne peux pas te dire si c’est
lié à ça ou non.
- Les militaires ont creusé des caves sous cette montagne. Chaque
fois qu’il doit y avoir une explosion, ils déplacent le chantier
loin, par hélicoptère. On donne parfois des dosimètres
aux gens. On les développe , mais on ne donne jamais les résultats.
-
- On ne dit rien aux gens. On leur donne des dosimètres, des combinaisons.
Ils disent aux gens de ne pas avoir peur, ils s’occupent de tout.
- Un manœuvre était payé de 300FF à 400FF. Ils
établissaient des contrats en roulement de trois mois. Après
3 mois, ils en prenaient d’autres. En tant qu’infirmier, je
gagnais 350FF.
- J’ai un ami à Reggane qui a essayé de faire un jardin
à 10 km du site. Rien n’a poussé. Finalement il a
laissé tomber.
- J’ai aussi un ami E. qui a fait le trafic de cuivre. Il n’a
jamais eu d’enfants et est très malade actuellement. Sa femme
a fait plusieurs fausses couches.
- Je me souviens aussi que les militaires ont acheté des animaux
pour les conduire dans la pente de l’endroit où ils faisaient
des essais. Ils avaient engagé des bergers. Un de ces types F,
et puis deux autres, et puis H, n’ont jamais eu d’enfants.
- Après ils ont égorgé les animaux pour les analyser.
Mais je ne connais pas les résultats.
- La plupart des prisonniers du FIS sont actuellement à In Amguel
dans la base militaire abandonnée. C’est assez éloigné
du site.
- J’ai un ami français (I) qui travaillait comme médecin
et que je revois. Maintenant il est en France. Comme j’ai une maison
à Ekar, je lui ai dit que je voulais y aller après ma retraite.
Il m’a dit que surtout je n’aille pas là. Cet ami non
plus n’a jamais eu d’enfants.
- A In Amguel, les militaires français appelaient la population
qui travaillait dans leurs chantiers les PLO ( Populations Laborieuses
des Oasis). La base militaire de Takormiasse s’appelait CEMO ( Centre
d’Expérimentation Militaire des Oasis).
- J’ai constaté que dans le Hoggar, les gens ont très
peu d’enfants. Je ne sais pas si c’est dû à cela.
Mais je l’ai constaté.
-
-
- Interview n°3 (interview par traducteur)
-
- Ahmed a 40 ans. Il est né en 1943. Il a trafiqué le cuivre.Il
récupérait les câbles des installations électriques
dans les caves où ils mettaient les bombes. Ils guettaient les
militaires français pendant leur travail.
- Une fois, la bombe a éclaté, ils coupaient l’électricité.
Les trafiquants intervenaient à ce moment pour démonter.
Une fois la bombe éclatée, les militaires abandonnaient
tout.
- Les trafiquants étaient une équipe de 60 personnes. C’était
pour eux la seule source pour avoir un peu d’argent. Après
1963, les Touaregs chassés du Mali se retrouvaient en Algérie,
sans ressource. Parfois, ils enlevaient le cuivre avant que le courant
ne soit coupé et ils le débranchaient eux-mêmes. Ils
trouvaient la boîte de dérivation. Ils avaient souvent des
décharges.
- Ahmed s’est marié 8 fois pour avoir des enfants. Ses femmes
avortent le plus souvent. Parmi ses deux premières femmes, la première
a eu un enfant qui a vécu 6 mois. La seconde a eu un enfant qui
a vécu un an avant de mourir. Après il n’a plus eu
d’enfants. Il a divorcé. La troisième a eu deux avortements,
puis il l’a laissée. La 4è a aussi eu deux avortements.
Les 3 autres n’ont pas eu d’enfants avec lui, mais ont eu
des enfants avec d’autres maris. Sa 8 e femme a déjà
eu 2 avortements.
- La plupart de ses amis qui ont travaillé avec lui n’ont
jamais eu d’enfants. (J.K.L.M.N.). Il en connaît aussi d’autres
qui sont décédés jeunes :
- O, décédé à l’âge de 32 ans,
P, décédé à l’âge de 38 ans, Q,
décédé à l’âge de 45 ans, R, décédé
à l’âge de 50 ans. S, décédé à
l’âge de 31 ans.
-
- Il y a un vieux qui se trouve à l’hôpital ici et
qui est toujours malade. Je connais aussi T, environ 50 ans et qui est
toujours malade.
- Ahmed lui même , est toujours malade. Son frère aussi est
toujours malade.
- Il y a une cave qu’on appelait E4. C’était presque
le dernier essai. Quand ils ont remarqué qu’ils enlevaient
beaucoup de câbles, ils l’ont fait sauter et ils l’ont
entouré d’un barbelé. Il y avait toujours un brouillard
qui se dégageait de cette cave. Je ne sais pas à quoi c’est
dû.
- Il a commencé le trafic du 4è mois 1964 jusqu’en
1967. Il y a plusieurs sortes de câbles. Ils enlevaient uniquement
des câbles utilisés pour faire exploser la bombe. Il y a
un grand tunnel de 50 km où même les voitures passent dedans..
Ils enlevaient les câbles. Les plus gros avaient 10 cm. Ils les
roulaient puis les brûlaient pour éliminer le plastique.
Après ils les transportaient à dos de chameaux. Ils allaient
les brûler plus loin pour ne pas se faire repérer. L’endroit
où ils enlevaient les câbles s ‘appelle Tin Eker. La
montagne s’appelle Taourart et Takournias et Wazizdi.
- L’endroit où ils brûlaient les câbles s’appelle
Tikaraten. C’est au fond de la montagne C’est là où
les Arabes venaient acheter le cuivre. Ils vendaient 1 kg de cuivre 20DA,
le même prix jusqu’en 1967.
- Ils ont eu des problèmes avec les Arabes. Ils étaient
recherchés pour les mettre en prison. Plusieurs ont été
arrêtés. Lui a échappé. Un hélicoptère
les a recherché. Ils ont trouvé les traces des chameaux.
Les hommes se sont enfuis. Ils ont tué les 30 chameaux. Ils ont
cherché les gens, mais ont trouvé les câbles et un
homme qui a été arrêté. Il a dit qu’il
était berger. Ils ont vérifié. La nuit ils ont arrêté
63 personnes. Elles ont fait 6 mois de prison à Tam. Elles ont
été frappées jusqu’au coma. Les autres se sont
échappés. Mon petit frère a été arrêté
et battu à mort.
- Ceux qui ont réussi à s’échapper ont aussi
souffert, car ils n’avaient rien, ni eau, ni nourriture.
- Quand il est malade, il a des maux de ventre et des courbatures, surtout
dans le dos. Il ne peut jamais manger de choses lourdes. Avant, il était
très fort. Il n’est pas vieux mais c’est la maladie
qui l’a vieilli.
- Avant il avait des poils partout. Avant il était poilu comme
un singe. Mais maintenant il a tout perdu, même les poils sous les
aisselles.
- Les autres ont la même maladie. Son petit frère n’a
jamais eu d’enfants. Il a fait presque 10 femmes sans avoir d’enfants.
- Les Français avaient des masques. Eux savaient que c’était
dangereux, mais ils ne mesuraient pas vraiment les conséquences.
- Il y a des populations proches, mais je ne sais pas s’ils ont
cette maladie ou pas. Il n’y a jamais personne qui m’a posé
des questions comme toi, ou qui a fait une enquête.
- Les médecins d’ici ne font rien et ne disent rien. Ils
ne font que prendre la tension et c’est tout. Chaque fois que sa
femme tombe enceinte, elle fait une fausse-couche. Dans nos coutumes,
c’est très inquiétant, un homme qui vieillit sans
avoir d’enfants. Je me souviens aussi que plusieurs chameaux sont
morts. Les femmes ont eu des saignement fréquents.
Interview de A :
Il a été chef de chantier dans les
années 62 à 65 à IN AMGUEL dans les chantiers PLO
du CEMO à TARKOMINASS.`
« Tu lui poseras la question s’il se rappelle de plusieurs
familles ISSAKMARANE qui ont été décimées
à IMIDER, il y a quelques années de cela. Elles transhumaient
lors des explosions dans les environs de TAOURIRT TAN-MAYNADJ où
l y a les trous « E4 » et « E6 » (m’avait-on
dit).
A, a très peur pendant l’interview. Il se méfie et
ne veut rien dire. Selon lui il n’y a aucun problème. Avant
chaque explosion, on avertissait les gens des risques qu’ils encouraient.
Il dit que les gros problèmes étaient surtout à Reggane
où il y a eu beaucoup de malades.
Selon lui, plus de 1000 personnes travaillaient
sur le chantier. Les personnes travaillaient par équipes. Quand
la bombe explosait, on entendait très fort le bruit jusqu’à
Tam (Tamanrasset).
Il se souvient d’une manifestation en 1964
des habitants de Tamanrasset pour réclamer l’arrêt
des essais. Les essais ont continué jusqu’en 1967. Il ne
se rappelle pas combien d’essais il y a eu. Il sait qu’il
y a des trafiquants qui récupéraient le cuivre après
l’explosion de la bombe.
Dans la base, les Français et les Algériens étaient
séparés. Ils avaient chacun leur logement, leur nourriture
etc. Eux, les Algériens voulaient des animaux égorgés
selon la tradition. Donc, ils élevaient les animaux sur place et
les égorgeaient eux-mêmes, sinon ils n’avaient pas
confiance.
Avant les essais, un hélicoptère
survolait la région et prévenait les gens du danger.
Interview de B.
Mohamed a travaillé deux ans, jusqu’à
la fin du chantier. Il a travaillé dans « E4 ». C’est
un long tunnel. On a beaucoup travaillé dans le tunnel. Ils ont
installé l’électricité. Ils creusaient en faisant
exploser des mines. Après les mines, ils enlevaient les cailloux
qui étaient entassés sur des chariots qu’ils poussaient
à la main sur les rails. Ils ramassaient les petits cailloux avec
une pelle et les grands à la main.
Il a commencé en 1965. Il travaillait dans la montagne TAOURIRT
? Dans cette montagne, ils ont creusé un tunnel entre les deux
pans de montagne. Avant l’explosion de la bombe, on fermait tout
au béton armé. Après le chantier était abandonné.
Il a honte de parler devant son fils (C’est C qui parle) et quelqu’un
demande à son fils de sortir. Une fois son fils sorti, il reprend
la parole :
Avec ma 1e femme, j’ai eu 3 enfants, avec ma 2 femme, j ‘ai
eu 2 enfants, avec ma 3e, j’ai eu 4 enfants, avec ma 4e, j’ai
eu 1 enfant , avec ma 6e, je n’ai pas eu d’enfants.
Ma dernière femme a eu 2 fausse-couche.
Je me suis marié à 19 ans. Maintenant j’ai 62 ans.
J’ai encore eu des enfants après le chantier.
Mais j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont
jamais eu d’enfants et d’autres qui ont eu des enfants avant
de travailler au chantier et qui n’en ont plus eu après.
J’ai mon grand frère qui a travaillé
avec moi. Il n’a jamais eu d’enfants. Chaque fois que sa femme
était enceinte, elle perdait son enfant.
Moi aussi j’ai eu 2 femmes après le chantier et elles n’ont
pas eu d’enfant
Je suis souvent malade. J’ai une maladie au ventre (il me montre
le bas du ventre côté droit). Je suis allé plusieurs
fois voir des médecins, mais ils ne m’ont pas donné
des médicaments.
La plupart des gens qui sont tombés malades sont ceux des campements
qui habitent la montagne. Il y a un petit village, IN-EKER, à côté
de la montagne. Il y a aussi des nomades qui vivent dans la montagne (voir
la carte : TAKORMIAS : base militaire française. Montagne TAOURIRT).
On ne nous faisait pas porter de badge. C’est
seulement les « Ikoufar » (infidèles, terme utilisé
par les Touaregs pour désigner les Français) qui portaient
des badges. Les temporaires (c’est à dire, nous) n’avaient
pas de badge. Les permanents en avaient.
Même les responsables français ne
leur donnaient pas leurs droits. Ils étaient poussés par
les Arabes. Les chefs du personnel étaient arabes. Les chefs de
camps ne voulaient pas embaucher les Tamacheks (Touaregs, ceux qui parlent
la langue tamachèque).
Je gagnais 400 à 500 DA par mois quand
je travaillais dans la montagne. Avec les heures supplémentaires,
j’étais mieux payé.
On n’a jamais passé de visite médicale, ni avant,
ni après. On n’a jamais vu un médecin, sauf un infirmier,
si quelqu’un était blessé. Il y avait beaucoup de
blessés, même des morts. Il y avait beaucoup d’ accidents
de travail. Il y avait beaucoup de médecins français, mais
on ne les voyait jamais.
Interview de C.
Je me souviens qu’il y avait des morts à
IMIDER. Je crois qu’il y a une famille où 7 personnes sont
mortes. Une famille, 3 morts, une autre famille, 5 morts.
Il y a des gens qui sont malades encore maintenant. Il y a des malades
de la poitrine. Ils sont tous malades. Ils toussent et ont des maux de
tête. Ils soignent la tête dans la brousse, mais ils continuent
à avoir la poitrine malade. Ils toussent jusqu’à cracher
du sang. Parfois ils tombent et ils restent quelques jours et puis ça
va.
Il y a beaucoup de gens du Mali qui travaillent là dans les oasis.
Il y a beaucoup de Touaregs qui sont restés habiter près
des montagnes, parce qu’ils sont très pauvres. Ils n’ont
rien.
Quand ils sont malades, ils ont peur. Alors ils
partent dans la brousse. Il y en a beaucoup qui sont morts de maladie
et qui ne sont plus revenus. J’ai travaillé depuis 1961 à
1966 et demi, puis j’ai quitté.
J’étais chef d’équipe. On cassait la montagne
puis on goudronnait la route. Chaque équipe avait 30 personnes.
Il y avait beaucoup de bases. Je travaillais dans la 3è compagnie.
Il y avait beaucoup d’ouvriers et un chef d’équipe
pour 30 personnes. On ne travaillait pas le dimanche. Seuls, les hommes
vivaient là-bas.
Avant l’indépendance, tout le monde avait peur et était
dans la montagne. Petit à petit les Français ont recruté.
On était à 7 Km de l’explosion. Les Français
expliquaient que c’était dangereux, mais les gens ne comprenaient
pas le danger. Ils ne voyaient rien.
Le jour de l’explosion de la bombe, à
15 heures, tout le grand caillou de la montagne, à côté
de nous, on l’a vu descendre. Les Français disaient de s’éloigner
de la bombe, sinon nous serons malades. Tous les gens qui étaient
dans la montagne, ils sont morts ou malades. Il y avait des gens dans
toute la montagne.
Je suis né vers 1940. j’ai huit enfants.
Je me suis marié plusieurs fois avec 12 femmes, sans avoir d’enfants.
Je me suis marié la première fois et j’ai eu 8 enfants.
Après 1967, je me suis marié 12 fois et je n’ai pas
eu d’enfants. J’ai des problèmes d’yeux et d’estomac.
Je suis très nerveux maintenant alors qu’avant j’étais
calme.
Je gagnais 250 à 300 DA par mois.
Je connais plusieurs personnes qui travaillaient
avec nous, qui sont malades :
Mon frère, il est malade jusqu’à maintenant. D’abord
c’était les poumons, ensuite son sang a été
contaminé. Il a été dans tous les hôpitaux
et il n’a plus aucun espoir maintenant.
Deux autres personnes ont travaillé là et tombent souvent
malades
Il y a quelqu’un d’autre, je ne sais pas s’il est encore
vivant ou pas.
Si je réfléchis bien, je peux en trouver. Tous ces gens
en ont marre d’être malades.
Un autre a perdu ses cheveux. Tous ces gens là, ont perdu leurs
cheveux. Lorsqu’ils tombent malades, ils partent au Ténéré
(le Sahara, le désert, la brousse) et ils boivent du lait jusqu’à
ce qu’ils aillent mieux.
Tous ces gens ont aussi des enfants qui tombent malades jusqu’à
ce qu’ils meurent.
Actuellement il n’y a pas d’enfants anormaux. Mais, s’ils
naissent, ils meurent tout de suite, ou bien les femmes font des fausses
couches à 5 ou 6 mois.
Ce que j’ai vu, tous les gens qui tombaient malades en ce temps,
ils quittaient le travail et allaient dans le Ténéré.
Ils croyaient que les médecins faisaient seulement de la chirurgie
pour les blessés et qu’ils ne connaissaient pas les maladies
d’intérieur. C’est pour cela qu’ils n’ont
pas été chez les médecins.
Entre nous on savait que ce sont les explosions qui faisaient ces effets.
On prévenait les amis, mais on ne disait rien aux Français.
En cas d’accident de travail, on allait se faire soigner par les
infirmiers. Mais pas pour les maladies d’intérieur.
Ceux qui se soignaient au temps du lait (le printemps) allaient mieux.
Les autres pas. Ils partaient et ne rentraient plus.
Lorsqu’ils ont compris les conséquences de ce travail, ils
sont venus en ville, pour essayer de trouver quelqu’un qui pourrait
s’intéresser à leur cause.. En ce temps, ils ne croyaient
qu’au destin et pas au docteur.
Nous étions nomades et nous ne savions pas même pas ce qui
se passait en ville.
Dans ce temps, nous avions tellement confiance dans les Français.
La France ne nous a rien laissé, même
pas la santé. Toute notre santé, toute notre vie c’est
le bétail, le troupeau… et on a tout perdu…
Evacuation des tribus :
Dans l’oued Adenek et l’oued Abezou
et dans d’autres petits oueds dont je ne me rappelle pas le nom,
on a évacué les tribus pour les amener dans la gorge de
Mertouteh au Nord-Est de l’explosion. On les a évacués
en hélicoptère avec leurs animaux et plusieurs véhicules.
Cela a duré deux ou trois jours. Je me rappelle aussi une fille
qui s’était cachée dans la montagne avec ses animaux.
Il a fallu toute une journée pour les récupérer.
Les gens pensaient que les Français voulaient
s’approprier leurs pâturages. Ils ne pensaient pas que les
explosions auraient un effet sur cette montagne. En effet, les évacués
revenaient tout de suite après l’explosion. C’étaient
des oueds qui étaient les meilleurs du point de vue des Touaregs
pour leurs pâturages.
En 1965, l’évacuation a duré
7 jours. Ils ont évacué toute la population qui travaillait
jusqu’à l’Assekram et les autres jusqu’à
Mertoutek. Je pense que c’était en janvier, car il faisait
très froid. Je me rappelle de cela, car on m’a volé
toutes mes photos pendant cette évacuation …
Il y avait un gros camion, comme une espèce
de maison. C’était une chambre pleine de douches avec des
jets d’eau à très forte pression. On faisait passer
les gens plusieurs fois sous la douche. C’était pour les
gens qui travaillaient dans la montagne où l’on faisait les
explosions, qui devaient passer à la douche. Mais seulement après
certaines explosions, pas après toutes.
Je me souviens en particulier de deux explosions
de bombes :
- la première en octobre 1963. je sais qu’il y a eu des fissures,
car tous les généraux se sont barrés. Seuls les appelés
sont restés.
- La seconde en janvier 1964. L’eau est certainement contaminée
là-bas.
Normalement il devrait y avoir des contrôles réguliers. Il
faudrait vérifier. Les militaires buvaient de l’eau en bouteilles.
Mais nous, les Touaregs, nous buvions de l’eau du puits de Bachy,
dans l’oued d’Im Amguel, à 15 Km de la base du CEMO.
Personnel en service :
Il y avait environ 2500 militaires et 2500 travailleurs
PLO (Population Laborieuses des Oasis).
Quand il y avait une explosion, il y avait plus de 9000 personnes sur
le site.
Au CEMO il y avait 6 médecins (des appelés), de médecins
de carrière, 1 vétérinaire.
Lors de chaque explosion, il y avait des renforts de médecins et
savants, plus d’une vingtaine de médecins de spécialités
différentes.
A l’Oasis 2, il y avait un service médical avec infirmiers
et médecins civils.
Tribus éteintes :
La tribu des Essakamara, des Kel Imider et Kel
Abend ont toujours nomadisé dans l’oued Abezou avec leurs
troupeaux.
L’oued Abezou passe juste à la limite de la montagne Taourirt,
Tan Tarami et Tan Maynard. C’est là qu’ont eu lieu
la plupart des explosions, dans les lieux E3 et E6.
Les noms de ces chefs de tribu sont bien connus ; Hadj Allamine, père
d’une grande famille de peut-être 12 personnes, Hadj Tayeb,
bien connu, aussi père d’une grande famille, également
Hadj Mada.
Toutes ces familles sont mortes.
Avant leur départ, les Français
ont enterré dans le sable les camions et les ambulances. Je l’ai
vu de mes yeux. Mais il y a encore beaucoup de matériel sur le
site.
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