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«Notre combat c’est de délégitimer
les incessantes tentatives de délégitimer l’état
d’Israël » ... «
La sphère la plus importante où nous devons travailler c’est
celle de l’opinion publique dans le monde démocratique. »
David Netanyahu, ONU, 24/09/2009. Ce programme est celui de l'officine
"antifasciste" " Scalp Reflexes" parisien, qui est
en réalité une officine israélienne : http://reflexes.samizdat.net
L'entité sioniste, dénommée
"Etat d'Israël", est devenue le pivot central de l'état
d'oppression, de néant mondial.
Intolérable intolérance
Recueil de textes en forme de supplique à
MM.les magistrats de la cour d'appel de Paris
par J.G.Cohn-Bendit, E.Delcroix, C.Karnoouh, V.Monteil, J.L.Tristani
Editions de la Différence, 1981
***********
De l'intolérance et quelques considérations subjectives
sur le nationalisme.
Mémoire adressé à mes amis sur les raisons de mon
témoignage lors du procès du professeur Robert Faurisson.
*****
Claude KARNOOUH
A la suite de la lecture des lettres que j'ai
reçues et des questions qui m'ont été posées
après ma déposition en faveur de Faurisson devant la dix-septième
chambre correctionnelle de Paris, il me semble nécessaire de procéder
à certaines clarifications tant la rumeur et les ragots ont brouillé
non seulement mes propres paroles, mais, et surtout, les données
du problème moral posé par la mise en accusation d'un travail
de recherche, quels qu'en soient le contenu et le résultat.
Il ne faut pas entendre cette mise au point comme une justification, ce
ne sera pas même un pamphlet, plutôt un bref essai grâce
auquel j'espère clarifier les raisons, à la fois théoriques
et personnelles, qui décidèrent de mon action. Il doit être
encore entendu que je ne réponds point aux injures les plus ordurières
qui me furent adressées; de tels propos, énoncés
par de prétendus intellectuels, ne méritent pas même
une seconde d'attention. Si j'avais à répondre, ce serait
d'abord à mes parents et à quelques-uns parmi mes amis qui
furent un temps troublés par ma déposition car ils n'en
lurent que des comptes rendus tronqués par les media; par la suite,
ils surent m'écouter avec tolérance et attention, malgré
des interprétations divergentes qui, néanmoins, n'entamèrent
en rien l'estime, voire l'amitié ou l'amour réciproque,
que nous nous portons.
En un temps où les passions aveugles de l'intolérance emportent
et balaient les propositions de la raison, où le savoir-spectacle
des media tient lieu d'interrogation fondamentale, où les clercs
préfèrent le star-system au modeste succès des travaux
sérieux, j'ai pris la décision -- une fois n'est pas coutume
-- de livrer au public des arguments que j'avais, jusqu'alors, réservés
aux débats de ma vie privée. Voici bientôt un an,
j'avais écrit au journal Le Monde pour faire part de mon étonnement
sur la manière dont il traitait l'affaire Faurisson; il me semblait,
en effet, que les comptes rendus et les articles de ce journal étaient
empreints d'une partialité dommageable à la compréhension
de la déportation et du massacre des juifs pendant la Seconde guerre
mondiale. De plus, cette partialité n'affectait pas uniquement
l'interprétation des faits, elle touchait aussi les positions de
certains défenseurs de Robert Faurisson, en particulier Noam Chomsky
et Serge Thion. A ma grande surprise, il me fut répondu que le
débat était clos, qu'il n'était plus possible de
contester aucun des résultats établis pas l'historiographie
officielle, hormis quelques points d'intérêt mineur, que
tout doute mettant en cause le credo établi par les associations
patentées de l'establishment juif était tout simplement
antisémite.
Par ailleurs, il se trouve que mon métier d'ethnologue m'a conduit
à travailler en Europe de l'Est où j'avais été
habitué à fréquenter ces discours totalitaires qui
ressemblent à ceux de la croyance: là-bas, nul n'a le droit
de douter de la doctrine officielle interprétant la société
et l'histoire; au contraire, le devoir des intellectuels consiste à
le justifier selon les fluctuations des aléas politiques contemporains,
ou les obsessions des chefs d'Etat. Or, jusqu'à présent,
je pensais que seules les orthodoxies totalitaires étaient capables
d'imposer l'énoncé de semblables propositions -- qui sanctionnent
la fin de toute pensée critique -- que les intellectuels occidentaux
ne se font pas faute de dénoncer quotidiennement. Aussi fus-je
surpris de constater leur silence en face de semblables opinions proférées
dans leur propre pays. Pourquoi cette attitude contradictoire parmi les
chantres des droits de l'homme? Pourquoi traitent-ils du problème
juif et de l'affaire Faurisson selon des procédures et des méthodes
qu'ils dénoncent lorsqu'elles s'appliquent aux interprétations
staliniennes de l'histoire? Y aurait-il deux poids et deux mesures de
la critique selon qu'il s'agit des Juifs et des "goyim", des
régimes staliniens et de l'Etat d'Israel? Or cette contradiction
n'est point nouvelle; depuis quelques années, j'avais remarqué
les tendances hagiographiques de l'historiographie sioniste ou judéo-centrique
-- l'expression est de Maxime Rodinson. Toute interprétation de
l'histoire de la Seconde guerre mondiale se doit de satisfaire le discours
de l'Etat hébreu, sans quoi elle subit les foudres de ses idéologues
ou de ses leaders politiques.
Mais cette intolérance quasi étatique ne se cantonnait point
aux seuls débats entre intellectuels, elle visait encore un plus
large public en développant une bien plus vaste offensive en direction
des media, de manière à imposer son point de vue; on vit
alors s'épanouir le grand spectacle de la consommation massive
de l'horreur avec le film Holocauste et la publication de livres "génocidaires"
précédés de puissantes campagnes de publicité.
On tendait à imposer une version de l'histoire de la guerre mondiale
au moyen de procédures semblables à celles que le western
inventa pour justifier la version yankee de la conquête de l'Ouest.
Vérités et mensonges s'y côtoyaient dans la plus grossière
simplification afin de convaincre les juifs qu'ils avaient subi l'injustice
la plus exceptionnelle de toute l'histoire de l'humanité, et les
"goyim" qu'ils avaient une dette éternelle envers eux,
dette dont ils ne pouvaient s'acquitter qu'en soutenant sans défaut
la politique israélienne! Puis, de nombreux intellectuels juifs
envahirent les écrans et les ondes pour nous conter tel ou tel
aspect de la déportation, réduisant toujours la guerre au
seul problème juif. Or, pour ceux qui s'intéressent quelque
peu à cette période de l'histoire européenne et à
ses prolongements contemporains, il s'agit d'une simplification trop facile,
d'une quasi-imposture. Malheureusement, la Seconde guerre mondiale représente
un ensemble d'événements bien plus complexes que sa présentation
hagiographique par l'historiographie sioniste, la déportation et
le massacre quasi général des populations qui s'y trouvèrent
engagées ne peuvent être réduits au seul antisémitisme
des nazis et du peuple allemand, quand bien même ceux-ci eussent
porté la principale responsabilité du conflit. Un phénomène
tel que la guerre moderne où s'enchevêtrent les intérêts
économiques et stratégiques des Etats, avec des conflits
idéologiques qui dépassent leurs frontières, exige
des explications complexes; ici, les simplifications ne sont que mensonges
ou vulgaires instruments de propagande.
A ces considérations d'ordre général, j'ajouterai
le malaise que j'éprouvais devant le déploiement d'un nouveau
"traditionalisme" juif qui, en France, représente le
pendant judaique d'un certain régionalisme archaisant et quelque
peu réactionnaire dans les valeurs qu'il prétend promouvoir.
Le retour en force de la croyance, de l'irrationnel, de pratiques archaiques,
tant alimentaires que vestimentaires, me semble suspect à l'heure
où les hommes devraient se pencher sur des problèmes autrement
urgents, tels la faim, les déséquilibres de la croissance
économique entre pays riches et pauvres, ou la nouvelle guerre
que certains pouvoirs prétendent inévitable. Cette fuite
dans l'irrationnel n'est pas seulement une sorte de démission devant
les réalités contemporaines, elle satisfait de puissants
intérêts internationaux qui en usent et en abusent pour leur
plus grand profit. Dans le gigantesque combat des super-puissances, il
me paraît périlleux pour les juifs, aussi bien ceux d'Israel
que ceux de la diaspora, de se lier pieds et poings aux intérêts
du capital américain. En renforçant les tendances séparatistes
et surtout la double appartenance de la diaspora, le sionisme contemporain
semble vouloir créer les conditions d'un nouvel antisémitisme
qui répondrait à ses aspirations les plus profondes et parfois
les plus inconscientes: peupler Israel de toutes les diasporas.
Toutes ces questions se bousculaient en moi depuis quelques années
sans que j'en puisse parfois démêler clairement l'écheveau.
J'en parlais fréquemment à mes proches, leur faisant part
du malaise que j'éprouvais lorsque la déportation et le
massacre des juifs servaient à justifier les pires agressions d'Israel
envers le peuple palestinien. C'est à ce moment de mes interrogations
qu'intervint, voici plus d'un an, l'affaire Faurisson à laquelle
se trouvait mêlé mon ami S. Thion. Confronté aux interprétations
partiales des media, aux ragots qui envahissaient notre milieu professionnel,
je me suis attaché à la lecture des textes de Faurisson
et de ses contradicteurs; j'ai encore profité de ces débats
pour relire les ouvrages de Bernard Lazare (aujourd'hui introuvables)
ou ceux de Hannah Arendt qui, quelques années auparavant, avaient
provoqué l'ire de l'establishment juif. Rassemblant enfin des informations
que j'avais recueillies lors de mes voyages en Roumanie et en Hongrie,
je me suis aperçu en dépit de mes réserves à
son égard que les accusations portées contre Faurisson participaient
plus d'une opération idéologico-politique d'envergure, que
d'une controverse intellectuelle. Je découvrais que nos sociétés
occidentales, réputées libérales, pouvaient parfois
agir de manière identique à celles réputées
totalitaires, lorsque les fondements idéologiques de leurs valeurs
se trouvaient contestés, et leur prétendue démocratie
placée en contradiction avec leurs intérêts économiques
et stratégiques.
Les chemins de l'intégration et le racisme diffus.
Puis-je aujourd'hui me définir en toute sincérité
comme juif? Question délicate puisqu'elle soulève le problème
complexe de l'intégration du fils d'émigré dans la
communauté nationale où ses parents ont choisi, voici plus
de cinquante ans, d'installer leurs pénates. Cependant une analyse
plus ou moins objective de ma tradition culturelle et sociale m'oblige
à répondre négativement à cette interrogation.
A l'avocat de la défense qui la posait, je répondis: "Pour
les antisémites et les racistes, je suis juif, pour les autres
hommes je suis simplement un homme qui appartient à la culture
française." Cette affirmation me valut non seulement la haine
de spectateurs xénophobes mais encore celle de certains de mes
amis parmi les plus tolérants qui éprouvèrent d'abord
le sentiment d'une trahison de ma part. En quelques secondes, j'étais
devenu un renégat qui abandonnait les siens au moment du "danger"!
Mais a-t-on le droit de m'associer à une identité qui ne
s'attache pas à mon expérience et qui, de ce fait, est tout
à fait ou presque extérieure à ma conscience? A qui
appartiens-je et doit-on nécessairement appartenir à quelque
chose ou à quelqu'un? La faculté de penser et, par là
même, de juger, ne peut s'exprimer que hors des idées reçues
et des contraintes idéologiques véhiculées par toute
identification a priori. Ou bien l'intellectuel ne doit-il être
que le défenseur passionné et le serviteur des desseins
politiques des associations qui prétendent représenter son
identité ethnique ou religieuse?
Autant de questions qui méritent réflexion pour qui veut
comprendre et non créer des croyances en assénant des vérités
révélées. Pour ce qui concerne les communautés
juives: à laquelle dois-je présentement lier mon sort, mes
pensées, mon allégeance? Qu'ai-je de commun avec le C.R.I.F.
ou le Consistoire juif de Paris ou d'ailleurs? Athée, mes intérêts
n'ont rien de commun avec ceux de ces associations. Partagerais-je le
même idéal que les dirigeants de la banque américaine
Salomon Brothers qui profite de l'impérialisme au même titre
que des banques dirigées par des "goyim"? Devrais-je
me sentir solidaire de la politique nationaliste et raciste de M. Begin?
Eprouverais-je une émotion différente devant les hassides
d'Anvers ou d'ailleurs que face à toute autre culture archaique?
Devrais-je ressentir une fraternité de "sang" avec les
membres du Bétar ou ceux de l'O.J.D.? Certains me disent que oui,
en vertu de mon ancestralité et de l'impérative solidarité
qui me lie éternellement avec ceux qui disparurent dans l'univers
concentrationnaire. Mais existe-t-il une contradiction essentielle entre
le respect dû aux victimes et le refus de s'identifier à
leur culture et à leur religion? Seule une théorie raciste
de la société peut l'affirmer. Quant à moi je m'y
refuse, ma compassion s'étend également à toutes
les victimes des meurtres collectifs quelles que soient leurs races, leurs
religions ou leurs opinions politiques.
Nul ne peut prétendre traiter différemment les sacrifiés
de l'intolérance moderne, du nazisme, du totalitarisme stalinien,
de l'impérialisme triomphant, sous peine d'instaurer des différences
qui portent déjà les prolégomènes de meurtres
à venir. Si l'on admet, avec la pensée politique moderne,
l'idée d'une égalité de droit des hommes, un corollaire
s'impose nécessairement: l'égalité de leurs souffrances
provoquée par certains développements politiques de cette
même pensée. Or affirmer, comme le font les théoriciens
sionistes, que le traitement des juifs ressortit à un traitement
particulier revient à extraire les juifs de l'histoire; en ce cas,
pourquoi s'étonnent-ils, ou semblent-ils s'étonner, des
souffrances exceptionnelles subies par les juifs? Malheureusement, il
suffit de simples comparaisons étendues à l'échelle
de notre planète pour constater la triste banalité de leur
sort. On serait tenté de trouver quelque réconfort dans
le destin de l'humanité s'il suffisait de résoudre le problème
juif pour résoudre celui de l'intolérance. Faut-il le déplorer?
Ils ne furent pas les seuls à payer de leur vie la folie des hommes
mus par des idéologies xénophobes; et les plaines d'Europe
orientale, au-delà des frontières nationales, ne forment
qu'un seul et immense cimetière dont les terres limoneuses se nourrissent
du sang de toutes les ethnies et de toutes les religions des hommes qui
les habitent.
Entendons-nous bien, je n'ai jamais renié mon ancestralité
ni ses souffrances, au contraire, c'est en partie grâce à
elle que je découvris, voici déjà trente ans, le
hideux discours du racisme et son enchaînement de violences. C'est
en raison même de l'intolérance qu'elle supporta que j'ai
consacré une partie de mon énergie à comprendre l'origine
de l'intolérable, découvrant, par là même,
son extension à d'autres peuples et, au-delà, sa dimension
idéologique englobant toute l'Europe, véritable Zeitgeist
de la modernité nationale. C'est, enfin, grâce à cette
mémoire et à l'analyse qui l'anime que j'ai combattu la
politique française en Algérie, la politique américaine
en Asie du Sud-Est, la colonisation israélienne en Palestine avec
autant de conviction que les exactions soviétiques à l'égard
de certains peuples de l'Union. Cependant, toute douloureuse qu'elle fût,
mon ancestralité ne me donne aucune supériorité sur
autrui, aucun droit d'opprimer au nom d'une injustice à réparer.
De cette ancestralité, je ne tire ni gloire, ni honte; elle fut,
je l'accepte, je l'assume mais ne la revendique point pour déterminer
mon appartenance sociale, politique ou morale. A moins que les sionistes
ne me l'imposent, donnant ainsi raison a posteriori aux fascistes dans
leur négation de toutes déterminations libres de la personne.
Mais c'est là une démarche commune à toutes les théories
nationalistes que de traiter de renégats les individus qui refusent
de s'identifier à leurs idéologies xénophobes. Si
l'on admet l'égalité théorique entre les hommes,
celle-ci ne peut être conciliée avec une quelconque supériorité
préalable due à l'origine ethnique, à la langue,
à la religion (fût-elle la première révélation
monothéiste) ou aux coutumes: par essence, l'égalité
s'oppose au privilège.
Depuis que les Etats-nations se s'ont approprié, au profit de leurs
classes dirigeantes, l'identité ethnique de leurs élites,
il n'est point aisé de se définir en dehors d'une ancestralité
collective. Les axiomes des théories nationalistes reposent sur
des principes génético-ethniques qui aliènent la
personne à des déterminants quasi a-historiques indépendamment
et à l'encontre de la libre volonté de chacun. Or comment
accepter cette appartenance a priori sans qu'une profonde adéquation
unisse la société ancestrale et la société
contemporaine? Si certains se permettent de tenir un discours tout en
menant, par ailleurs, des actions qui en contredisent les principes, libre
à eux; encore faut-il ne pas exiger d'autrui qu'il suive les mêmes
voies! Je me refuse à cette forme d'aliénation qui fait,
d'une part, tenir un discours sur les valeurs morales intangibles du passé
tandis que, d'autre part, les exigences de la société moderne
contraignent à s'y opposer.
Cette situation n'est pas uniquement réservée aux juifs,
elle envahit aujourd'hui la plupart des discours politiques qui mettent
er, avant le retour aux sources, à la société paysanne
d'antan, sous la forme du régionalisme ou de l'écologie.
Or ma vie, mon éducation, les valeurs que m'enseignèrent
mes maîtres et mes parents sont étrangères à
celles qui fondaient l'originalité des communautés juives
auxquelles appartenaient mes ancêtres (mes arrière-grands-parents).
Il se trouve que les hasards de l'émigration ont conduit mes grands-parents
à vivre en France et c'est ici que j'ai reçu une éducation
"laique et républicaine" en même temps que les
petits paysans gascons avec lesquels je partageais naguère mes
jeux. Plus tard, après des années de lycée et d'université,
je suis devenu athée et nourri d'une indéfectible tolérance
envers les croyances des autres. Je dois confesser que ma mère
m'y aida beaucoup, elle qui avait tant souffert en Pologne de l'antisémitisme
d'un nationalisme hystérique. Je me suis marié à
des compagnes que mes ancêtres définissaient comme des "shikse".
Pourtant, si j'ai conscience de cette banalité, je sais aussi que
ma culture française est encore marquée par d'autres influences,
anglaise ou germanique. De plus, en raison de mon travail d'ethnologue,
j'ai été conduit à approcher d'autres formes culturelles
qui infléchirent mon expérience sociale et historique. Bref,
comme de nombreux intellectuels, je prétends détenir une
part de la culture universelle même s'il m'arrive parfois d'en user
avec maladresse. Ainsi -- et en dépit de mon horreur pour le nationalisme
pontifiant --, lorsqu'il m'arrive d'éprouver le sentiment d'une
dette envers un pays, c'est vers la France que je porte ce sentiment.
C'est le pays qui accueillit mes parents, c'est de lui qu'ils tirèrent
leur aisance et c'est lui qui m'offrit sa culture au travers de sa langue.
Mais ce sentiment de vague reconnaissance ne m'a jamais interdit de critiquer
mon pays et de mettre en doute le bien-fondé de sa politique, c'est
justement parce qu'il me permet de conserver mon libre arbitre que je
suis fidèle au contrat qui nous lie.
Je crois devoir ajouter que mon refus de m'identifier à une quelconque
tradition juive tient, d'une part, au sentiment de respect que j'éprouve
envers mes ancêtres, envers leur expérience sociale, religieuse
et historique, leurs coutumes, leurs langues, leurs rites, leurs croyances,
et, d'autre part, au sérieux qui doit guider toute lecture historico-anthropologique.
Il s'agit d'abord de reconnaître une véritable mutation dans
le cours de mon histoire généalogique et d'accepter l'écart
quasi infranchissable qui s'est ainsi créé, et, ensuite,
de refuser les impostures épistémologiques si familières
aux historiographies nationalistes qui ne cessent de lire les phénomènes
de la tradition (histoire, ethnographie, philologie) en fonction d'axiomes
établis par des nécessités politiques éminemment
contemporaines. Voici quatre ans, j'écrivais un article où
j'essayais de montrer les procédures idéologiques grâce
auxquelles les intellectuels nationalistes d'Europe centrale manipulaient
et manipulent le folklore paysan afin de justifier la théorie mono-ethnique
de l'Etat-nation et d'en légitimer la souveraineté Aujourd'hui,
les thèmes esquissés dans ce texte pourraient s'appliquer
mot à mot au discours sioniste1.
S'essayer à penser l'histoire, à déchiffrer le sens
d'événements passés pour eux-mêmes et en eux-mêmes,
et non en user grossièrement afin de justifier, de sanctifier le
présent-futur, est une activité de l'esprit qui s'oppose
aussi bien à la création de mythes politiques et messianiques
qu'à toute forme de racisme génético-ethnique les
accompagnant. Toutefois, c'est effectivement en raison de cette activité
que je suis traité de renégat ou de mégalomane (je
croyais ce terme réservé aux manipulateurs de l'histoire).
Pourtant, seuls les Etats ou des groupes sociaux mus par des présupposés
ou régis par des lois racistes peuvent m'imposer la judéité.
Dès lors, il faut convenir que ces pays et ces associations contre
lesquels le sionisme lutta entretiennent avec celui-ci une communauté
de pensée et de valeurs morales. Ensemble ils refusent toute procédure
d'assimilation et de libre choix de la personne; en d'autres termes, ils
refusent à l'homme la qualité de sujet de l'histoire pour
en faire l'objet d'une volonté qui lui est toujours extérieure
parce qu'elle est antérieurement déterminée par une
espèce d'arche-généalogie (mythe aryen, alliance
élective avec Dieu, ou révélation d'un messie rédempteur).
Ces principes servirent et servent toujours d'arguments théoriques
et pratiques aux nationalismes ethniques des XIX' et XX' siècles,
pour légitimer leurs conquêtes territoriales, leurs exactions
politiques et les massacres qui les accompagnent; ils affirment, par là
même, leur conception "raciale" du politique et du social.
Aussi, chacun se doit-il d'appartenir au groupe que lui assigne l'Etat,
une élite dirigeante, une Eglise ou toute institution détenant
un quelconque pouvoir de légiférer. D'aucuns devraient savoir
-- mais l'auraient-ils oublié? -- vers quels errements meurtriers,
vers quelle violence aveugle mènent ces idéologies. Ils
avaient peut-être cru les voir anéanties sous les ruines
du III' Reich, pourtant il semble que ce fut là une nouvelle illusion,
un trompeur malentendu. On avait certes achevé une des formes de
ce nationalisme sans pour autant éradiquer la pensée nationaliste
qui poursuit aujourd'hui les peuples de sa gangrène.
A l'échelle individuelle, la perception de ces principes nationalistes
contraint chacun d'affirmer avec la foi du croyant une solidarité
personnelle envers tous les membres de son groupe et, en contrepartie,
à manifester une hostilité, voire une haine envers les autres.
Or, c'est précisément cette conception de la société
que je refuse fondamentalement, car s'il paraît difficile sinon
impossible d'échapper totalement à son histoire et à
sa culture, en revanche chacun est libre de choisir son identification.
Pourquoi devrais-je éprouver une solidarité a priori avec
des individus et certaines de leurs institutions quand, par ailleurs,
nous poursuivons des buts différents et opposés? Au nom
d'une prétendue ancestralité commune! Je pourrais envisager
cette possibilité si je vivais au sein d'une société
sans Etat (tribale, clanique, villageoise). Or, l'appropriation par l'Etat-nation
de ces solidarités archaiques en transforme le contenu et les effets.
Elles ne marquent plus le ciment nécessaire qui unit des individus
socialement peu différenciés; au contraire, elles occultent
les écarts économiques, sociaux et culturels institués
par la modernité politique capitaliste ou "socialiste".
La solidarité ethnico-généalogique (ou génético-généalogique)
pré-étatique traverse les classes sociales, les institutions,
les bureaucraties de l'Etat-nation au seul profit de ceux qui manipulent
l'archaisme des émotions qu'elle engendre encore pour les desseins
d'une réelle modernité.
Depuis plus de quinze ans, on assiste en France (depuis plus longtemps
aux U.S.A.) au développement de diverses pensées qui prônent
le retour "aux sources", les "roots" du fameux feuilleton
américain. Ces idées énoncent des thématiques
passéistes complémentaires qui mettent en scène tel
ou tel aspect de l'archaisme européen. On y rencontre pêle-mêle
un régionalisme fondé sur les divisions territoriales et
linguistiques de la France médiévale, un paysannisme écologique
promettant une vie associative et agraire fondée sur les descriptions
benoîtement idéalisées par l'hagiographie ethnographique
actuelle. On découvre un "nouveau mysticisme" actualisant
les formes les plus vulgaires de la croyance, cependant que de "nouveaux
philosophes" -- qui ne sont ni nouveaux, ni philosophes -- resservent,
avec un zeste d'actualité, les arguments usés d'un idéalisme
de pacotille.
Au moment où les grands messianismes modernes ont démontré
leurs pouvoirs mortels et leur faillite à résoudre les problèmes
économiques et moraux du monde -- au contraire ils n'ont fait qu'aggraver
l'étendue et la violence des répressions --, nombre d'intellectuels
fuient la réalité contemporaine dans les rêves d'un
passé illusoire qui leur sert d'écran protecteur pour "oublier"
les véritables sources de la violence présente (impérialismes
divers, exploitation féroce des pays les plus pauvres, torture
instaurée dans la pratique quotidienne de la plupart des Etats
du monde). Ce retour aux traditions plus ou moins disparues -- et, pour
nombre d'entre elles, largement réinterprétées ou
inventées -- parcourt aussi les communautés juives françaises.
On redécouvre le "shtetel", les souffrances, et non la
tolérance de la communauté hispanique, ainsi que les traditions
les plus orthodoxes survivant encore parmi quelques groupes. Mais, non
content de les redécouvrir, on nous les donne en exemple pour accomplir
une "vraie" vie sociale et spirituelle. Pourquoi ne nous parle-t-on
point de la complexité des mouvements sociaux et politiques qui
parcoururent les communautés juives au point que certaines d'entre
elles s'assimilèrent totalement à la culture qui les accueillait?
Pourquoi masque-t-on aux descendants le rôle de la banque juive
dans l'extension vers l'Europe centrale et orientale de l'impérialisme
allemand du XIX' siècle? Pourquoi évite-t-on les questions
posées par les violents conflits de classes qui traversaient les
communautés de Vienne ou de Budapest? Il faut le dire et l'écrire,
jamais des penseurs, tels Adorno, Lukacs ou H. Arendt, n'envisagèrent,
pas même après la Seconde guerre mondiale, le sionisme comme
la solution du problème juif et celle du racisme en général.
Ils avaient une conscience trop aigue des arguments xénophobes
de cette théorie nationale.
Il se trouve que j'ai eu l'occasion de visiter une des dernières
communautés juives traditionnelles vivant en Europe orientale.
Devant ces hommes perpétuant avec obstination leur croyance et
les rites s'y attachant, j'éprouvais une émotion identique
à celle qui m'étreint chaque fois que je partage ma vie
professionnelle et affective avec ces paysans orthodoxes qui poursuivent
leurs traditions anachroniques dans l'isolement de leurs vallées
carpathiques. C'était encore le même sentiment que me procuraient
les quelques jours passés avec les pêcheurs-paysans de Taaha
en Polynésie. Toutes ces cultures tiennent de l'universelle humanité
et chacune, selon ses modalités originales, contribue à
l'expression de la totalité de l'être. Toutes méritent
la même attention, le même respect, la même intelligence,
et, cependant, jamais je n'y ai reconnu ma culture, c'est-à-dire
une expérience sociale et historique inconsciemment partagée.
Je n'ai pour elles, et pour d'autres, aucune préférence
particulière, seules certaines me sont plus ou moins familières
et, de ce fait, plus immédiatement accessibles. Or certains prétendent
que, de par mon ancestralité et mon appartenance "logique"
au judaisme, il me faut aimer ou du moins éprouver une sympathie
plus intense pour les juifs que pour tout autre peuple: "Tu es juif,
donc tu dois avant tout aimer les juifs au-delà ou en deçà
de toutes différences sociales, politiques et religieuses."
Aurait-on oublié que l'amour est une affaire individuelle ou divine?
Il faut réserver ses passions amoureuses à Dieu, ses parents,
ses enfants, ses compagnes ou ses amis. Ainsi j'aime des individus d'origine
juive, des Arabes, des Asiatiques, des "goyim" occidentaux,
selon le hasard de nos rencontres et les penchants des affinités
électives. Aimant individuellement, il m'arrive aussi de hair individuellement,
mais, quant à aimer collectivement les peuples, les membres d'une
secte, d'une religion ou d'une ethnie, je me méfie de ce sentiment
et l'écarte délibérément parce qu'il contient
son complément logique, la haine collective: ensemble ils fondent
le racisme. Les peuples ne sont ni à aimer ni à hair, ils
sont à étudier, ou pour emprunter les mots de Spinoza: "Quand
il s'agit d'autrui, ne pas se moquer, ne pas pleurer, mais comprendre."
On a fréquemment énoncé cet adage: ce ne sont pas
les bons sentiments qui font la bonne histoire ou la bonne anthropologie;
s'en convaincre, c'est éliminer de nos procédures analytiques
toute sensiblerie collective, c'est conserver à la raison son pouvoir
discriminateur à l'encontre des passions.
C'est en ce sens que je trouve quelque peu suspect l'amour présent
des "goyim" pour les juifs en général. Et ces
derniers s'en félicitent naivement, le favorisent, parfois le manipulent
en jouant de la culpabilité qui le fonde. Cet amour me semble suspect
parce qu'il me remémore une récente lâcheté
collective qui laissa les Juifs singulièrement solitaires et démunis
devant la trahison de l'Etat français et de sa classe politique.
Jean-Paul Sartre offre un bon exemple des errements auxquels conduit cet
amour coupable. Grand pourfendeur du racisme et de l'antisémitisme
depuis 1945, il commit ce texte simpliste et quelque peu insultant pour
la tradition juive: Réflexion sur la question juive. Il s'agit
non seulement d'un grimoire psychologique, mais d'une preuve irréfutable
de son ignorance de la culture et de l'histoire des communautés
juives européennes car le judaisme ne se limite point, tant s'en
faut, à l'intellingentsia parisienne. Or, si j'en crois les mémoires
de Mme de Beauvoir, je n'ai pas souvenir que J.-P. Sartre ait montré
la moindre sollicitude, ni esquissé la moindre manifestation de
protestation quand le gouvernement de son pays expulsait ses collègues
juifs ou d'origine juive des cadres de l'instruction publique! frileusement
assis aux côtés du poêle dans l'arrière-salle
d'un café il écrivait son oeuvre tout en quémandant
aux autorités d'occupation l'autorisation de faire jouer ses pièces.
Mais pouvait-on s'attendre à un autre comportement de la part de
celui qui, "refusant de désespérer Billancourt",
s'attachait à nous faire aimer la Russie soviétique quand
ses thuriféraires voulaient nous faire croire à la culpabilité
de certains médecins juifs?.. Pourquoi encore, parmi les chantres
du sionisme, rencontrons-nous tant d'anciens staliniens, ces amoureux
de la religion du père Joseph? Voilà quelques exemples,
certes partiels, qui montrent, cependant, à quels dangers racistes
et totalitaires nous mène cet amour des peuples et des systèmes
politiques.
Refuser l'amour collectif et électif n'entraîne pas, par
ailleurs, au cynisme et à la distance qui laisseraient sans jugement
devant les violences du pouvoir politique. Lutter contre telle ou telle
forme de l'oppression n'implique pas qu'il faille vouer au peuple qui
s'y soumet une haine éternelle et sans partage, car il demeure
toujours une partie de ce peuple pour en contester la loi.
Comprendre une culture, un pouvoir, une société, c'est aussi
saisir les contradictions qui la traversent et hors desquelles il n'est
point de société humaine. Pourtant, c'est au nom de cet
amour collectif et manichéen que se sont produits les plus gigantesques
massacres qu'ait jamais connus l'Europe; c'est encore au nom de cet amour
que les peuples se sont satisfaits de théories racistes inventées
et manipulées par les intellectuels. On ne peut concilier l'égalité
théorique de l'humanité avec un quelconque amour privilégiant
l'une de ses parties: on ne peut affirmer cette égalité
et, par ailleurs, alléguer d'une supériorité ontologique
pour prétendre détenir le privilège d'une vérité
révélée, qu'elle soit l'alliance privilégiée
avec la parole divine ou le message libérateur d'une théorie
philosophique. En postulant cette égalité théorique,
je ne prétends point unifier empiriquement la diversité
des manifestations culturelles de l'humanité, ni occulter les écarts
économiques et politiques créés par les puissances
conquérantes et plus tard les super pouvoirs. Je laisse ce fade
humanisme aux péroraisons d'un parisianisme en mal d'émotion
à bon marché: l'ethnocide a toujours prudemment évité
les problèmes trop explosifs pour le confort de ses prophètes.
L'égalité de l'homme, en tant que concept, n'est pas d'ordre
empirique (faut-il le déplorer?) mais d'ordre théorique,
il a sa source dans l'essence même de l'activité humaine,
la pensée et ses multiples expressions; et c'est en raison de cette
activité que je peux tenter de dialoguer avec la plus démunie
des tribus australiennes sans pour autant m'y intégrer.
Et si, présentement, j'accepte ces postulats, il me faut encore
en tirer toutes les conséquences qui s'appliquent aux problèmes
politiques, moraux, économiques et culturels où s'engage
la société. C'est ce que je fis en refusant de me laisser
imposer une appartenance ethnique et religieuse juive qui m'eût
contraint d'approuver, à un moment ou l'autre de ma vie, un postulat
culturel de supériorité. S'il existe des êtres supérieurs,
des esprits hors du commun, des penseurs et des artistes, ils ne forment
pas un peuple, ils demeurent des individualités quand bien même
on les rencontrerait plus fréquemment chez certains peuples à
un moment donné de leur histoire. Ainsi on peut aimer la Renaissance
italienne sans italo-centrisme, de même que ma passion pour la musique
allemande ne m'a jamais conduit à choisir le pangermanisme. On
peut apprécier Freud, Shoenberg, Wittgenstein, sans une appréciation
judéo-centrique de la société viennoise.
En effet, que ce soit dans sa version religieuse -- le judaisme -- ou
dans sa version laique -- le sionisme --, la pensée juive contemporaine
présuppose une supériorité, dont les expressions
politiques appartiennent à la pensée raciste. Dès
lors, on ne s'étonnera point de constater l'omnipotence d'un système
de jugement fondé sur la prééminence des deux poids,
deux mesures, selon que les protagonistes de telle ou telle action appartiennent
ou non au monde juif. Ainsi lorsqu'un athée énonce une critique
de l'Eglise catholique et de ses prêtres, on le prétend laique;
en revanche, s'il procède de manière identique à
l'encontre des rabbins et de la Synagogue on l'accusera d'antisémitisme.
Y aurait-il une meilleure croyance et ces deux institutions ecclésiastiques
n'auraient-elles point, vis-à-vis de leurs ouailles, des intérêts
similaires et donc des pratiques d'une semblable intolérance? Je
m'étonne toujours d'un tel jugement qui, dans le premier cas, s'attache
à l'opinion philosophique de la personne et, dans l'autre, transforme
cette opinion en une allégation raciste.
Aussi m'interrogé-je sur les intentions de cette transformation.
N'est-ce point, d'une certaine manière, une "demande"
de racisme, une sorte de justification a posteriori, et quelque peu morbide,
de la haine d'autrui (qui est peut-être la haine qu'on lui porte)
nécessaire à consacrer, jusques et y compris dans l'hostilité,
la supériorité ontologique du peuple juif? Pourtant, dénier
aux rabbins la possession d'une vérité transcendantale n'est
rien d'autre que l'exercice normal de l'esprit critique et du doute tel
que nous l'enseigne la philosophie depuis ses origines helléniques.
Et d'aucuns connaissent le précédent trop fameux de Spinoza
pour s'étendre plus avant sur cette thématique qui met en
lumière l'une des procédures par laquelle une Eglise, une
secte, un groupe ethnique fonde sa supériorité.
Si, derechef, je prétendais démontrer l'inexistence de Dieu,
je serais conduit à réfuter avec la même conviction
les arguments des théologies juive, chrétienne ou islamique.
De ce point de vue, leurs différences ne me concernent pas puisque
toutes trois procèdent d'une même pensée de croyance
fondée sur la foi en une vérité révélée
et non sur la raison d'une vérité démontrée
et vérifiable, contestable et contestée. Enfin, si pour
les religions issues du judaisme les juifs représentent toujours
les élus de Dieu, cette affirmation tient encore de la foi et ne
peut satisfaire les exigences de la rationalité politique. Ces
conceptualisations excluent l'égalité et, de ce fait, la
tolérance car, s'opposant mutuellement la vérité
de leurs révélations successives, elles en usent afin de
jauger la valeur des hommes, qui se trouve ainsi séparée
de son unité immanente.
Je laisse aux croyants leurs certitudes, elles ne recouvrent que des débats
d'idées tant que leurs zélateurs ne s'acharnent pas à
les imposer par la force, chacun est libre de ses choix, c'est affaire
personnelle et je me garderai bien de ressembler à ces athées
qui transforment les arguments de la raison en certitudes religieuses,
ou à ces théoriciens nationalistes qui utilisent des évidences
ethnographiques pour établir des vérités politiques
intemporelles.
Foi religieuse ou foi laique, ce sont deux variations d'une même
pensée qui s'unissent dans une conception xénophobe du monde
telle que le pangermanisme, le panslavisme, le sionisme et, sur un mode
mineur, les nationalismes roumain, hongrois, bulgare ou polonais, etc.
C'est ainsi que le sionisme reprend à son compte l'antique notion
religieuse d'élection du peuple juif qu'il inscrit dans une conception
singulièrement simpliste de l'antisémitisme auquel il donne
la valeur d'une vérité intemporelle, a-historique, sorte
d'essence des rapports inter-ethniques justifiant, après coup,
la fondation de l'Etat hébreu.
L'historiographie sioniste n'a de cesse d'accréditer la permanence
d'un seul et même antisémitisme poursuivant le peuple ou
les peuples juifs, depuis leur défaite face aux Romains jusqu'à
la tuerie collective de l'univers concentrationnaire. Je n'ai pas à
présenter ici un dossier historique complet, d'autres l'ont fait
avant moi de façon plus convaincante (H. Arendt; G. Scholem, M.
Rodinson, P. Vidal-Naquet); je souhaiterais plus modestement rappeler
quelques faits, quelques situations, qui soulignent les exagérations,
les confusions volontaires et involontaires entretenues par l'historiographie
sioniste. Je limiterai mon propos à l'Europe centrale et orientale
puisqu'elle occupe l'essentiel des problèmes posés par l'affaire
Faurisson.
Tous les peuples de toutes les religions qui peuplent l'Europe centrale
et orientale sont réputés antisémites depuis la nuit
des temps; la preuve est simple: qui défendit les juifs à
l'heure de la déportation? Pour répondre à cette
question fort complexe, il faut auparavant préciser le contexte
social et politique de ces marches européennes car, à présenter
cette question brutalement et hors du processus historique qui la prépare,
il devient aisé de faire parler les faits selon le désir
idéologique de chacun.
Pour comprendre l'antisémitisme d'Europe orientale, on doit, en
premier lieu, établir une différence radicale et qualitative
entre l'antisémitisme ethnico-religieux et l'antisémitisme
de l'Etat-nation ou des mouvements nationalistes. Le premier antisémitisme
appartient à ce que je nommerai la xénophobie traditionnelle
et culturelle (au sens anthropologique de ces termes) de toutes les communautés
archaiques y compris des communautés juives (G. Scholem, le Messianisme
juif, Paris, 1974); tandis que le second doit être interprété
dans le cadre de l'appareil idéologique de l'Etat-nation. Que le
second antisémitisme use du premier afin de renforcer sa propre
efficacité, cette opération n'ôte rien à cette
différence initialement établie, hors laquelle il devient
impossible de saisir l'unité culturelle de l'Europe centrale rurale.
Certes, les victimes du système concentrationnaire pourraient me
rétorquer: "Peu nous importe cette différence analytique
et toute théorique, le mal est là et le résultat
meurtrier demeure identique." Tout au contraire, sans cette distinction
essentielle, il n'est point d'histoire sociale et culturelle possible,
d'histoire des rapports réciproques et dialectiques qu'ils partagèrent
avec d'autres peuples dans la violence meurtrière de l'Europe centrale
Je pense que l'historiographie moderne a quelque peu exagéré
l'ampleur des exactions dues à l'antisémitisme ethnico-religieux,
et que certaines comparaisons, soigneusement évitées, auraient
tempéré les visions apocalyptiques judéocentriques.
Relisons l'introuvable Histoire de l'antisémitisme de B. Lazare
(à propos pourquoi ne réédite-t-on pas ce livre?).
Nous y découvrirons que le fameux antisémitisme des paysans
russes était des plus modérés, actualisé au
cours de la Semaine sainte par des jets de pierres et quelques horions
peu meurtriers. En revanche, si l'on veut rencontrer l'antisémitisme
meurtrier, il nous faut tourner nos regards vers l'Etat autocratique et
ses sbires: ce sont eux les instigateurs de pogroms. Que des paysans crédules
et miséreux fussent abusés par ces vulgaires séides,
j'en conviendrais aisément car rien n'est plus aisé que
rendre des peuples affamés assassins de leurs voisins tout aussi
affamés qu'eux. Mais à refuser cette réalité
trop contradictoire pour un amalgame confortable, on se prive de toute
clairvoyance; et c'est au nom de cet aveuglement que la bourgeoisie juive
russe réclamait pour les pauvres Juifs des bienfaits et une situation
qu'elle aurait pu tout aussi bien exiger pour la masse des moujiks. C'est
l'Etat qu'il fallait attaquer, et c'est précisément ce qu'avait
compris le mouvement révolutionnaire2.
Dans le beau roman de Mandelstam, Les Plaines de Mazovie, l'auteur nous
conte avec nostalgie la vie quotidienne de ces bourgades peuplées
de Juifs et de Polonais tout aussi pauvres ` les uns que les autres, et
tout autant Tournis au pouvoir seigneurial des grands propriétaires
fonciers. Il décrit avec précision et retenue la dégradation
rapide de cette symbiose communautaire qui apparaît dès la
naissance de l'Etat polonais en 1918, à mesure que l'idéologie
de l'Etat-nation mono-ethnique réglait la compétition économique
et culturelle entre ces deux groupes. Indépendante mais pauvre,
chargée par les puissances capitalistes de tenir les avant-postes
de l'anticommunisme combattant, la Pologne ressuscitée n'eut pas
d'autres arguments que la xénophobie ethnique et religieuse pour
s'attacher une paysannerie miséreuse et une fragile bourgeoisie
qui L'auraient peut-être trouvé un sort meilleur dans d'autres
cadres étatiques (par exemple au sein de l'empire austro-hongrois).
Je pourrais encore tenir de semblables propos sur les événements
sanglants qui décimèrent les populations civiles pendant
la guerre polono-ukrainienne (1918-1920). A l'époque, on accusa
les Ukrainiens de provoquer des pogroms sans remarquer que de nombreux
juifs avaient choisi la nationalité polonaise. Aussi serait-il
plus juste de parler de pogroms de Polonais sans oublier que ces derniers
ne manquèrent point de retourner leurs exactions aux Ukrainiens3.
J'ajouterai que l'antagonisme polono-ukrainien, toujours vivace à
la veille de la Seconde guerre mondiale, fut très habilement utilisé
par les autorités allemandes au cours des années 1939-1945,
mais c'est là pratique courante chez toutes les puissances occupantes
(cf. A. Speer, Au coeur du Troisième Reich).
Enfin, pour compléter les éléments de cette situation
tragique, je rappellerai que les Ukrainiens eurent à combattre
aussi les troupes bolcheviques lors de la guerre russo-polonaise (1920-1921).
Relisons, sans parti pris, Cavalerie rouge, ces récits-reportages
d'Isaac Babel dans lesquels nous décelons un univers de perpétuelle
vengeance, cette vendetta à l'échelle d'un peuple toujours
prêt à restaurer les injustices d'une histoire qui, depuis
1914, ne lui laisse pas grand répit. Dans ce monde, la situation
des juifs n'était ni plus ni moins enviable que celle des autres,
toutes unissaient l'horreur et le massacre.
Depuis la fin du Moyen Age jusqu'à la Première guerre mondiale,
la situation des juifs d'Europe centrale et orientale ressemblait donc
à celle des populations qu'ils côtoyaient quotidiennement
dans un monde où les xénophobies religieuses et les haines
ethniques participent d'une conception "normale" du monde. Il
faut se défaire d'une idée trop répandue qui prétend
au perpétuel complot contre les juifs; en fait, les situations
varièrent au gré des politiques et des privilèges
octroyés par les princes. Si je compare rapidement l'état
des juifs dans le dernier tiers du XIX' siècle en Hongrie et en
Roumanie, j'y trouve deux situations opposées, qui dépendent
éminemment de la politique de l'Etat. Paisible dans une Hongrie
qui cherchait à intégrer ses nombreuses "minorités"
ethniques dans un processus rapide et parfois violent de magyarisation,
les juifs y furent les alliés objectifs de cette politique qui
se retourna contre eux lorsque l'empire des Habsbourg se désagrégea
au profit des Etats successeurs. Situation précaire dans une Roumanie
ultra-nationaliste et paysanniste qui ne pouvait accepter la lente immigration
juive qui, depuis le milieu du XVIII' siècle, venait de Galicie
et de Bessarabie et peuplait sa province orientale, la Moldavie. Situation
certes intolérable, sans cesse dénoncée par les comités
juifs d'Angleterre, d'Allemagne, de France ou d'Autriche, mais tout aussi
intolérable la situation de la paysannerie de cet Etat latifondiaire
exploité par des capitaux étrangers (anglais, allemands
et français). Notons, une fois encore, que l'antisémitisme
virulent et efficace (interdiction professionnelle et de résidence)
fut le fait de l'Etat, de ses élites et de ses nouveaux cadres
qui tentaient de défendre les privilèges que leur offrait
l'Etat naissant: une promotion sociale et, une valorisation du capital,
rapides et sans concurrence excessive. Le problème de l'intolérance
roumaine ne peut se réduire à celui de l'antisémitisme,
il concerne plus généralement celui de la démocratie
politique que ce pays n'a jamais résolu.
Le tribut humain et moral payé par les diverses communautés
ethniques ou religieuses d'Europe centrale et orientale au cours des XVII',
XVIII' et XIX' siècles n'est pas moindre que celui des juifs; ceux-ci
jouissant parfois de privilèges royaux ou impériaux qui
les mettaient à l'abri des représailles exercées
par les princes à l'encontre de leurs paysans hérétiques
ou révoltés. J'évoquerai ainsi la contre-réforme
entreprise par Marie-Thérèse d'Autriche en Transylvanie:
combien de nobles et de paysans hongrois protestants périrent sous
les armes des impériaux? Nul ne le sait précisément,
mais les descriptions ne manquent point sur les campagnes dévastées,
les villages brûlés, les femmes violées et éventrées,
les hommes et les enfants empalés, bref le déchaînement
de l'intolérance religieuse au service d'une foi et de la conquête
impériale. Faut-il enfin rappeler le destin tragique des hussites
tchèques, et leur totale destruction après la Montagne-Blanche,
ou plus banalement la répression des révoltes de paysans
roumains qui n'ont jamais manqué dans ce monde de misère
et de famine? Et si l'Europe orientale ne connut point d'épidémies
de répression de la sorcellerie à l'image de celles qui
sévissaient en Occident, la lutte ethnico-religieuse y trouva,
en revanche, un terrain d'élection où les juifs subirent
les effets de cette intolérance dévastatrice entre sectarismes
schismatiques, antischismatiques, réformés ou apostoliques.
Pourquoi auraient-ils échappé au lot commun? Au nom de quelle
tolérance particulière auraient-ils été mis
à l'écart de l'histoire? Non, ils appartinrent à
cette sanglante histoire sans qu'elle leur attribuât un destin spécifique,
sinon qu'ils s'en sont sortis plus indemnes que d'autres qui furent totalement
éradiqués des sociétés modernes issues de
cet accouchement sanglant. De ce point de vue, la comparaison se révèle
salutaire pour l'esprit, car elle nous montre avec quelle vitalité
les communautés juives émergèrent de ces âges
des ténèbres. Et qu'on ne me livre pas l'argument de leur
effroyable misère, celle-ci n'était ni pire ni moindre que
celle de toutes ces paysanneries écrasées sous le joug du
"second servage". Que les historiens sionistes se penchent avec
la même commisération sur le sort des paysans ukrainiens,
polonais, roumains ou hongrois, ils seraient peut-être surpris de
rencontrer des similitudes qui ne leur conviendraient guère. Il
faudrait enfin qu'ils tiennent compte des évolutions et des transformations
politiques qui affectèrent l'Europe orientale et n'oublient point
que les juifs chassés d'Occident à la fin du Moyen Age trouvèrent
ici un asile salvateur.
Mais je pourrais étendre la comparaison du destin des juifs à
celui de certains peuples d'Asie, d'Afrique ou d'Océanie. Leurs
témoignages ou celui de témoins occidentaux nous éclaireraient
sur les conditions de vie au beau temps du colonialisme. Ainsi, au congrès
de Berlin (1878), tandis que les Britanniques s'attachaient à défendre
le triste sort des juifs de Roumanie, certains de leurs compatriotes chassaient
à courre le Tasmanien. Chacun sait ce qu'il advint des Tasmaniens,
et leur totale disparition n'émut point outre mesure les leaders
des mouvements nationaux. Ils n'étaient ni des blancs, ni les instruments
de l'impérialisme de sa Très Gracieuse Majesté. S'il
faut se féliciter du soutien que le gouvernement britannique apporta
aux juifs roumains, je ne peux m'interdire de penser que ce souci n'était
pas le fruit d'un humanisme généreux mais plutôt un
moyen de concilier la charité avec de puissants intérêts
économiques et politiques. Nous étions à la fin du
XIX' siècle, et la Grande-Bretagne était alors au faîte
de sa puissance mondiale4.
L'histoire sioniste des juifs européens n'est pas sans évoquer
les hagiographies propagandistes des mouvements nationalistes5. Il s'agit
d'abord et toujours de contruire un modèle tragique dans lequel
le peuple doit être présenté comme le "bouc émissaire"
de l'histoire, l'objet sans volonté de situations qui lui sont
toujours imposées de l'extérieur, détenant le sujet
aliéné par excellence. Aliénation tragique de l'homme
qui ne peut maîtriser son destin. Mais de quelle société
paysanne ne pourrait-on affirmer la même chose, lorsqu'elle se trouvait
involontairement mêlée aux batailles des princes? Du point
de vue de la société paysanne, toute l'histoire de l'Europe
est tragique et aliénée. Mais les cultures, les groupes
ethniques ou religieux ne sont pas uniquement composés de paysans,
ils sont stratifiés, et leurs élites n'ont jamais manqué
les rendez-vous de l'histoire. Ainsi, au début du XIX' siècle,
lorsque les juifs de Berlin s'opposaient à l'extension de leurs
privilèges royaux aux autres juifs vivant dans le royaume de Prusse,
n'agirent-ils pas selon leur volonté? Lorsque la banque juive décida
de faire transiter les fonds anglais nécessaires pour payer les
troupes de la dixième coalition qui vainquit Napoléon à
Waterloo, n'était-elle point sujet de l'histoire? Lorsque les juifs
hongrois décidèrent de répondre favorablement à
la magyarisation qui suivit le compromis de 1867, n'étaient-ils
pas encore des sujets de l'histoire au même titre que les minorités
nationales qui la refusèrent?..
Tout autant que la pensée de croyance, la pensée sioniste
cherche à construire une histoire extraordinaire des communautés
juives. Histoire extraordinaire, élection extraordinaire, histoire
hors l'histoire qui doit accréditer l'idée d'un antisémitisme
inscrit au coeur de toutes les autres visions du monde, d'un antisémitisme
immuable dans sa forme et son contenu quels que soient le lieu et le temps,
un antisémitisme inhérent à l'humanité. Mais,
pour être tout à fait précis, cet axiome de la pensée
sioniste exige son complément, formulé de la manière
suivante: n'est-ce pas une nécessité fondamentale que d'attribuer
à autrui sa propre vision du monde pour en justifier les implications
pratiques? Je laisse la réponse à ceux qui souhaiteraient
réfléchir sur les discours moraux, historiques et politiques,
utilisés par les sionistes pour justifier la pratique politique
israélienne.
Dans cette exceptionnalité de l'histoire, quoi qu'ils fassent,
le Juif ou les communautés juives doivent apparaître sans
volonté, comme agis de l'extérieur, forcés par l'événement,
perpétuellement en situation de défense6. C'est le modèle
du "bouc émissaire" intemporel qui devient la norme de
l'histoire juive. C'est grâce à lui que l'on évita
et que l'on évite les contradictions inhérentes à
l'entrée de toute société dans le champ du capitalisme
et de l'impérialisme puisque tout comportement peu conforme à
l'humanisme trouve sa justification comme réponse à la situation
de "bouc émissaire". On élimine, annule, ainsi
les rapports de classes qui viendraient à coup sur troubler l'unité
recherchée. Ainsi fi des collusions entre les instances des pouvoirs
économiques et politiques des divers groupes ethniques! Fi aussi
du rôle déterminant des juifs dans le développement
des diverses versions du socialisme, du communisme ou du stalinisme! puisque
cette émergence du sujet de l'histoire contredit la théorie
du "bouc émissaire" qui ne doit s'achever qu'en 1948,
à l'aube de la naissance d'Israel. Pour l'historiographie sioniste,
le sujet ne peut être que le pionnier de l'Etat hébreu parce
qu'il avait fait le "bon choix" Mais cette démarche de
l'esprit ne possède aucun caractère exceptionnel, elle parcourt
tous les livres d'histoire des pays d'Europe orientale quels que fussent
leurs régimes politiques. Une fois encore, les intellectuels sionistes
n'ont point innové, ils se sont moulés dans l'esprit d'un
temps et d'un lieu qui n'était autre que le lieu d'émergence
de leur théorie politique: l'Europe centrale et orientale. Quant
à moi, je me refuse à cautionner ces mythes historiques.
Je voudrais achever ce chemin de l'intégration en évoquant
quelques traits de la version diasporique de l'élection qui me
touchent plus personnellement, dans la mesure où ils attentent
aux êtres qui me sont les plus chers. Aujourd'hui la véhémence
avec laquelle les intellectuels sionistes de la Diaspora tentent de différencier
les Juifs des "goyim" confine à l'indécence. Elie
Wiesel en est un exemple. Voici quelques mois, commentant dans Le Monde
du 19 juin 1981 le livre de Bernard Chouraqui, il reprenait au compte
d'une politique les propos purement théologiques de l'auteur qui
se résument par la question suivante: où se trouvait Dieu
pendant l'apocalypse concentrationnaire? Elie Wiesel ajoute à cette
question sa propre interrogation: où se trouvait Dieu, "alors
que dans ces usines de mort son peuple s'élevait à Lui sur
des montagnes de cendre?". La question initiale me paraît s'adresser
à tous les croyants et non à une partie d'entre eux! Pourquoi
cette sélection des morts? Les autres ne partageaient-ils point
le même Dieu? Interrogeons les croyants polonais, allemands ou français
disparus dans l'univers concentrationnaire! Dieu séparerait-il
le bon grain (ses élus) de l'ivraie (les hérétiques)
au moment de la rédemption des victimes? La réponse de B.
Chouraqui peut surprendre: "Le goy -- ou la goyité -- est
ce qui diminue l'homme et l'enferme pour le priver de son avenir messianique."
Cependant, le propos demeure admissible si on le maintient dans son cadre
théologique. Il devient inadmissible lorsque E. Wiesel en déplace
l'application au domaine de la politique: "Ce que Chouraqui déclare
c'est qu'il existe en chaque juif un goy -- donc son ennemi -- et en chaque
goy un juif -- donc un frère capable de le sauver." Si je
comprends bien le propos, le "goy" ne possède aucune
valeur humaine intrinsèque, et lorsqu'il en détient une
part, celle-ci ressortit à une essence juive en sommeil, latente
en son âme. Aussi quoi qu'il fasse, le "goy" demeure-t-il
un être humain inachevé. Pour atteindre à l'humanité
il doit faire émerger cette judéité latente. Dès
lors, E. Wiesel a beau nous vanter la tradition humaine et humaniste juive,
sa formulation n'est qu'une version plus contournée de la pensée
raciste et xénophobe. Et, lorsqu'il conclut son propos avec ces
mots: "La mission du peuple juif n'a jamais été de
judaiser le monde, mais seulement de le rendre plus humain", il oublie
(mais est-ce un oubli) de nous rappeler que cette mission s'accordait
avec celle de la victime expiatoire. Mais lorsque celle-là en vient
à posséder son Etat, alors l'argument se transforme inéluctablement
en une justification du pouvoir politique. Présentement, si le
"goy" prétend à l'humanité, il ne le peut
qu'en réveillant sa judéité latente pour l'offrir
aux desseins d'Israel.
D'aucuns auront compris que cette rationalisation politique de la culpabilité
des "goyim" légitime toutes les théories expansionnistes,
y compris et surtout celles qui s'alimentent aux sources du messianisme
juif comme cette déclaration relevée par Paule Darmon dans
la Yéchivah du Merkaz Ha Rav ("Les jeunes israéliens
reviennent au judaisme", Le Monde, 18 octobre 1981): "Le Rav
Kook avait une vision universaliste du monde. Pour lui, l'évolution
de l'humanité fait partie de la rédemption, car l'humanité
tout entière doit participer à la rédemption de l'Etat
d'Israel." Et, l'auteur du présent propos d'ajouter: "Regardez
donc autour de vous! Les regards des nations sont tournés en permanence
sur l'Etat d'Israel. Nous préparons l'ère messianique. Le
Messie fils de Joseph prépare la venue du Messie fils de David,
et cela ne va pas sans bouleversements. L'ère messianique nous
mènera à la résurrection nationale et à la
reconstruction du troisième temple." Ces déclarations
se passent de commentaires parce qu'elles font naître en moi la
remembrance d'un autre discours qui scella naguère le destin apocalyptique
de l'Europe contemporaine.
J'ai donc attendu quelques jours pour entendre l'écho d'une voix
juive s'élever et protester aussi bien des propos d'Elie Wiesel
que des assertions racistes des zélateurs de la Yéchiveh.
Dans un cas, comme plus tard dans l'autre, rien, sinon le silence. Pas
un seul juif de gauche n'osa prendre sa plume pour répondre à
ces affirmations d'une xénophobie perverse. Que faire lorsqu'on
est confronté à une telle démission surtout chez
ceux qui, en d'autres moments, font profession d'humanisme pointilleux.
Que faire sinon renoncer à une quelconque appartenance à
cette communauté, à ce peuple ou à toute autre de
ses variantes qui accepte ces présupposés. Si j'approuvais,
même de manière tacite, de telles affiliations, je me verrais
contraint de renier, hormis mes parents, les êtres que j'aime le
plus. Comment alors pourrais-je regarder tendrement ma femme? Comment
pourrais-je éprouver une profonde et sincère affection pour
mes enfants? Comment enfin fraterniser avec mes amis? Tous des Untermenschen!
Eh bien, non monsieur Wiesel! je ne peux souscrire à vos opinions
sur les "goyim" sans vous renvoyer à ceux qui vous déportèrent
jadis. Votre souffrance d'Auschwitz, pour laquelle j'éprouve le
plus profond respect, ne vous donne cependant pas le droit d'insinuer
que chaque "goy" est ennemi du juif. Ce fut au nom d'assertions
identiques que l'on vous déporta. Ne l'oubliez jamais! Si je suivais
votre raisonnement je me verrais contraint encore à mépriser
les "goyim" chez qui je vécus pendant la guerre. Etaient-ils
des ennemis? Avaient-ils seulement réveillé en eux-mêmes
une judéité en en sommeil ou bien assumaient-ils simplement,
mais avec un modeste et silencieux courage, l'humanisme de l'homme toujours
possible, quand bien même les lumières de la raison sembleraient
un temps obscurcies sous les vagues des haines xénophobes? Dites-moi
de quelle humanité judaique étaient bâtis ces Juifs
de l'establishment hongrois ou français qui maquignonnèrent
leurs communautés pour assurer leur propre salut (cf. H. Arendt,
Eichmann à Jérusalem et M. Rajfus, Des Juifs dans la collaboration,
Paris, 1980)! Je souhaiterais une réponse qui satisfasse à
la fois au théologique et au politique.
Toutefois, au-delà des élucubrations sectaires d'esprits
animés de mysticisme sommaire et raciste, la pensée ne découvre-t-elle
point un gouffre béant à la contemplation de l'ancienne
victime (le Juste) transformée en bourreau? La raison et l'entendement
se brouillent lorsqu'ils retrouvent dans son discours les mêmes
mots traduisant des pensées identiques à celles de son tortionnaire!
Le sol des certitudes s'effrite sous mes pieds et j'éprouve le
sentiment d'un incommensurable désarroi devant ce retournement
tragique, devant ce renversement de la pensée de la victime atteinte
d'une gangrène identique à celle qui animait les chimères
de son bourreau. Le Malin s'ingénierait-il toujours à rejaillir
là où l'on ne l'y attend point?
Quoique dispersées, les cendres des chefs nazis n'ont pas fini
de rallumer les feux des génocides, car, semblable au phoenix renaissant
de ses cendres, la pensée raciste ne peut s'éteindre tant
que les conditions présidant au gouvernement des hommes demeurent
fondées sur la violence idéologique, économique et
politique. L'histoire possède, me semble-t-il, cette suprême
et unique qualité de n'épargner personne, pas même,
et surtout, ceux qui s'en prétendent les élus hors de sa
raison. Mais y aurait-il d'autres voies possibles afin d'échapper
à sa loi quand, après la victoire sonnant le glas des fascismes
européens, se profilait l'ombre de l'Etat hébreu, son idéologie
nationaliste--et socialiste--inscrite dans la nouvelle expansion de l'impérialisme
occidental?
Israel, ou la justice immanente d'un Etat dû.
S'il est un thème favori du discours politique sioniste contemporain,
c'est sûrement celui qui traite de la trahison de l'Etat français
envers ses citoyens d'origine juive tout au long de la Seconde Guerre
mondiale.
Cette trahison nous oblige à rester sans cesse vigilants, à
ne pas relâcher notre attention dès que l'antisémitisme
fait mine de resurgir ici ou là. Cela doit encore nous rendre soupçonneux
et enfin intransigeants au point de ne plus admettre une quelconque réserve
~ l'égard de la politique israélienne qui est, comme chacun
le sait, la plus parfaite incarnation du juste droit des juifs. Bref,
tous les "goyim" sont, par essence, antisémites au point
qu'il faille toujours le leur rappeler, à tout propos et hors de
propos.
Qu'il faille demeurer vigilant devant la montée ou, plus précisément,
la permanence du racisme, j'en suis tout à fait conscient et avec
d'autant plus de force, que je suis plus convaincu de son extension que
de sa régression, en dépit de la défaite partielle
subie par ses formes politiques européennes. Le racisme manifeste
toujours une effrayante vitalité, jamais il n'a été
altéré même si son objet a changé de couleur,
de religion ou de lieu. Et, quoi qu'en disent les aveugles, le temps du
mépris et de la dérision n'a pas fini de déchaîner
ses violences. Cette vigilance sioniste, toute légitime qu'elle
soit, ne devrait pas toutefois servir d'écran et masquer un problème
bien plus crucial: la trahison de l'Etat. Or, la trahison de l'Etat français,
entre 1940 et 1944, n'était que la manifestation locale d'une trahison
plus générale affectant tous les Etats européens;
d'une trahison de l'humanisme et du libre arbitre à l'heure des
nationalismes xénophobes et des intolérances internationalistes.
La plupart des Etats européens (à l'exception des pays anglo-saxons
et nordiques) rompirent le contrat avec tous leurs citoyens qui, soit
n'entraient point dans les catégories définies par le discours
nationaliste, soit refusaient d'admettre leur xénophobie nationale
ou internationale. Temps des totalitarismes de toute sorte, des plus messianiques
aux plus localisés, des plus forcenés aux plus indécis,
chacun oeuvrait selon des situations locales et concrètes toujours
animé du même esprit d'intolérance nationaliste. C'était
le temps du nazisme, du fascisme, du stalinisme, du croatisme, du franquisme,
du roumanisme expansif, de l'hongourisme irrédentiste, etc. Dans
cette situation le sort des juifs français ne me paraît point
exceptionnellement différent de celui des Serbes en Croatie, des
Ukrainiens en U.R.S.S., des communistes en Allemagne, en Espagne ou en
France. La trahison de l'Etat français n'est autre que la version
française de la trahison du contrat établissant les principes
juridiques et politiques fondateurs de l'Etat-nation démocratique:
aussi, la vigilance consiste-t-elle à élaborer les prolégomènes
d'une critique radicale de l'Etat dans ses formes et ses idéologies
nationales.
La solution adoptée par le sionisme appartient à une tout
autre démarche qui consiste à reproduire des solutions dangereuses
ou, du moins, qui recèlent des dangers contre lesquels il prétend
s'élever. Mais le prétend-il réellement? En créant,
en Palestine, un Etat conçu sur le modèle des Etats successeurs
d'Europe centrale et orientale, les sionistes déplacèrent
leur problème national au Moyen-Orient (comme une sorte de pédagogie
nationaliste) sans pour autant régler le problème des juifs
de la diaspora qui est encore celui de toutes les diasporas. Seuls les
naifs, les ignorants ou les exploiteurs peuvent se laisser abuser et croire
à une quelconque différence essentielle entre l'Etat hébreu
et les autres Etats conçus sur le modèle national. En tant
qu'Etat, Israel représente et manifeste un Etat empirique appartenant
à la catégorie générale et abstraite Etat,
de sorte qu'il en possède potentiellement tous les traits constitutifs,
y compris ceux qui le conduisent à trahir ses citoyens...
L'irruption de l'Etat hébreu sur la scène internationale
exigea de nouveaux arguments visant à lui donner la spécificité
nécessaire pour en fa1re une espèce hors de l'histoire de
l'Etat-nation. Il fallut donc légitimer cette forme moderne du
pouvoir juif installée au coeur d'un monde à peine sorti
de la féodalité et toujours soumis aux allégeances
coloniales. Comment échapper aux références antiques
et à la pensée de croyance dans un monde où la religion
tient lieu à la fois de morale, de politique et d'institutions
pour l'Etat précapitaliste? C'est en effet ici qu'interviennent
de manière décisive la pensée de croyance et son
mythe fondateur. Les juifs possèdent le droit "naturel"
d'installer un Etat national et ethnique dans ce coin du monde puisque
plus de cinq mille ans auparavant le peuple d'Abraham, le peuple élu
par Dieu y avait fixé ses tentes de nomades, son royaume et ses
temples. C'était donc le même peuple qui retrouvait enfin
ses anciens pénates après des siècles d'errance et
de tourments sans nombre. Voilà une assertion fort commode et très
largement répandue par tous les discours originels des Etats qui
fondent leur citoyenneté privilégiée sur une définition
ethnique ou religieuse des individus.
Au tournant du siècle, sur le thème, "nos ancêtres
les Gaulois", le nationalisme français utilisa de semblables
arguments. Mieux que les conceptions universalistes de la Révolution
française, cette idéologie nationaliste s'adaptait à
une version populaire du nationalisme dans une Troisième république
laique et capitaliste où de nombreuses populations rurales, abandonnant
les valeurs et les rites attachés à la vie agraire, se trouvaient
plongées dans le vide culturel du prolétariat. Lire, compter,
maîtriser quelques idées simples sur l'histoire et la légitimité
du pouvoir politique et économique, voilà la théologie
de l'école laique et obligatoire. Son résultat: la boucherie
de 14-18. C'est encore la construction du mythe originel qui offrit aux
Allemands cette puissante idéologie du germanisme paien dont on
connaît l'usage, le succès et l'efficacité. Tous ces
discours procèdent d'une manière identique par télescopage
temporel, par ellipses, omissions; ils raccourcissent l'histoire, abolissent
les médiations, annulent des siècles de transformations
sociales et politiques pour mettre en valeur la permanence de valeurs
archaiques; ils mêlent le présent capitaliste ou socialiste
à une origine imaginaire chargée d'une prétendue
pureté raciale et morale. C'est le discours du paradis perdu, de
l'âge d'or à reconstruire avec les moyens de la technologie
moderne qui délaisse volontairement les réalités
sociales dans lesquelles elle se construit7. Les Etats-nations et leurs
idéologues évitent ainsi de poser les problèmes des
influences, de l'extension et de la régression des cultures, des
langues ou des religions qui affectèrent toute l'histoire de l'Europe
depuis l'aurore des temps modernes, tant il est vrai que ce continent
connut depuis des époques fort reculées une large circulation
des biens et des personnes qui n'a laissé place qu'à de
rares isolats.
Je pourrais ainsi multiplier les exemples de ces discours fondateurs,
le modèle qu'ils dévoilent demeurerait identique; celui
qu'offrent les Roumains ressemble tant à une caricature qu'il en
révèle les ressorts idéologiques avec plus de précision.
Dès avant la reconnaissance internationale du royaume de Roumanie
(1877), les intellectuels nationalistes se sont attachés à
construire et à nourrir d'informations "scientifiques"
le mythe des origines daces des peuples roumains8. Que ce soit la monarchie
oligarchique, la dictature militaire ou celle du prolétariat, chacun
de ces pouvoirs reprit à son compte cette théorie des origines
hypothétique et contestable qui fait cependant l'objet d'une croyance
quasi absolue. Avant de poursuivre, je tiens à préciser
immédiatement mes intentions; je n'écris pas ces lignes
pour défendre la théorie inverse avec les arguments de l'irrédentisme
et du chauvinisme hongrois; ces combats douteux ne sont pas les miens.
Tout autant que le "dacisme", le mythe historique hongrois est
irrecevable: en effet, comment concevoir l'irruption au VIII' siècle
des cavaliers hongrois dans une Transylvanie vide de toute humanité!
C'est ainsi que l'histoire ancienne sert d'argument politique pour justifier
les luttes contemporaines. Lorsqu'en 1918 le royaume roumain (Moldavie,
Valachie) s'agrandit par l'adjonction de la Transylvanie (ex-hongroise)
et de la Bessarabie (ex-russe), les intellectuels nationalistes ont parlé
d'une "justice immanente de l'histoire9". Or, celui qui regarde
avec quelque attention cette période des relations internationales
européennes ne peut manquer de s'apercevoir combien la création
de la grande Roumanie répond à la stratégie des grandes
puissances de ce temps. Installée sur le flanc méridional
de la jeune Union soviétique, la Roumanie jouait le même
rôle de garde-fou anticommuniste que la grande Pologne sur le flanc
septentrional des Soviétiques (à l'époque leurs frontières
se rejoignaient au sud de la Podolie). Non seulement contenir le communisme
et protéger l'Europe centrale de la contagion rouge, mais encore
offrir aux capitaux occidentaux de vastes territoires et de nombreuses
populations pour de fructueux investissements, voilà la triste
et banale réalité qui présida au destin de la grande
Roumanie. Que cela ait répondu aux aspirations du mouvement nationaliste,
c'est évident, mais c'est une autre analyse qu'il faut conduire
pour comprendre cette formation territoriale. Or c'est en refusant ou
en déformant délibérément cette réalité
des stratégies politiques que les idéologues peuvent en
appeler à la "justice immanente de l'histoire". S'il
s'agissait d'une "justice immanente" l'équilibre, ainsi
établi, ne constituerait pas une injustice pour d'autres peuples!
N'oublions point que les Alliés chargèrent les troupes roumaines
(aidées par les Tchèques) de rétablir l'ordre politique
et moral en Hongrie en éliminant par la force le gouvernement de
Bela Kun. Et, sans faire aucune concession au chauvinisme revanchard des
Hongrois, on peut affirmer que le dépeçage de ce pays et
sa réduction à la plaine danubienne sont le résultat
d'une stratégie des dominos visant à protéger l'Europe
des influences communistes. Rien qui puisse tenir d'une "justice
immanente" ou simplement du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Tout ressemble à l'établissement d'un nouvel équilibre
international sanctionnant l'effondrement de l'ancien ordre impérial
et dynastique...
Si l'on s'en souvient, la Déclaration Balfour date de cette époque,
et, en dépit des contradictions et des habiletés de l'impérialisme
britannique--de son jeu entre Arabes et juifs--, l'idée d'un foyer
national juif doit être comprise dans le cadre de cette stratégie
mondiale qui suivit immédiatement la fin de la Première
Guerre mondiale. C'est une raison supplémentaire qui me conduit
à voir et à comprendre Israel comme le produit politique
et idéologique de ce temps. Toutefois, ces réalités
ne peuvent pas servir d'arguments pour d'habiles idéologues; elles
portent trop peu de rêves, trop peu d'illusions humanistes, trop
peu de fausse compassion pour le malheur des hommes. L'idéologie
a besoin de raisons irréelles, moins vérifiables, plus émotives,
bref d'arguments qui tiennent plus de la révélation que
de la démonstration. L'idéologue a pour devise: éviter
les cyniques vérités des relations internationales pour
leur préférer le conte merveilleux d'une antériorité
qui annule le temps et renforce la solidarité ethnico-généalogique.
La fondation de l'Etat hébreu s'inscrira quelque trente ans plus
tard dans un même procès de réorganisation de l'ordre
international: Yalta. Suivant la défaite de la démocratie
en Europe et le massacre massif des juifs, l'Etat d'Israel n'eut point
de difficulté pour présenter cette instauration comme la
réalisation d'une "justice immanente de l'histoire",
dont la reconnaissance par la communauté internationale sanctionnait
la dette de la mort, et d'une souffrance exceptionnelle. Si ce n'était
qu'au même moment l'Occident coupable oubliait que cette "justice"
entraînait une nouvelle injustice envers les Palestiniens qui ne
pouvaient accepter un Etat-nation fondé sur l'ethnie judaique et
la religion juive.
Or, c'est précisément le contenu de la notion d'Etat dû
qui est utilisé par la propagande sioniste pour justifier toutes
les actions des juifs d'Israel, y compris le terrorisme précédant
la proclamation de l'Etat. En soi, cette notion me paraît quelque
peu naive et simpliste; cependant elle possède une efficacité
qui soulève de sérieux problèmes. Cette idée
aurait sûrement tenté nombre d'élites des Etats-nations
nouveau-nés; mais c'est Israel qui en a fait, me semble-t-il, le
plus largement usage, ce qui montre, peut-être, sa fragilité
idéologique et, à plus long terme, sa fragilité politique!
La dette fonctionne sur deux plans historiques: d'une part, l'antiquité
vraie ou fausse de l'ethnie et, d'autre part, le présent, l'actualité.
Mais qu'est-ce qu'une dette? La notion suppose un sujet privé d'un
objet qu'il possédait auparavant, et, s'il s'agit d'un sujet collectif,
d'un peuple, d'une communauté, la dette compenserait une spoliation
territoriale, physique, culturelle, ou morale. Il faut convenir, aussi,
que toute instance souveraine, tout Etat, quelle que soit sa forme, se
fonde sur une spoliation, lors même qu'il procède d'une souveraineté
populaire. C'est là peut-être l'essence même du pouvoir,
et l'Etat-nation n'échappe pas à ce caractère universel
inscrit au centre de l'activité politique. Toute souveraineté
qui s'instaure procède donc, soit d'un coup de force direct, soit
du bouleversement d'un équilibre permettant à telle ou telle
force sociale de manifester concrètement son pouvoir politique.
Ainsi connaît-on des peuples européens qui n'ont jamais eu
ni la puissance nécessaire pour imposer leur pouvoir, ni le bénéfice
d'une géopolitique favorable à leur désir de souveraineté.
Or la théorie-- en est-ce une?--de l'Etat dû possède
l'apparence de la tolérance et semblerait respecter certaines unités
culturelles et historiques. Mais, fondée sur le mono-ethnisme ou
le mono-théisme de l'Etat-nation, la dette recouvre un principe
politique expansionniste et xénophobe.
Si j'applique la notion de dette politique au discours français
qui énonce cette "vérité", "nos ancêtres
les Gaulois", et qu'ensuite je veuille lui donner une réalité
politique, il me faudrait imaginer la fiction suivante: après avoir
effacé un univers géopolitique issu d'une lente et violente
gestation, offrir aux peuples d'origine celtique le privilège du
pouvoir politique sur la plus grande partie de l'Europe occidentale et
centrale, sur l'Italie en raison du sac de Rome, et enfin sur le centre
de la Turquie puisque saint Paul y prêcha le message du Christ devant
les Galates. D'aucuns ont compris le ridicule de ces propositions qui
eurent néanmoins le plus grand succès dans leurs versions
germanique pour les nazis ou italique pour les fascistes. C'est encore,
sous des formes plus modestes, les prétentions polonaises à
l'extension de son territoire aux limites de son ancien empire féodal
et fédéral, dont les Ukrainiens et les Lituaniens firent
les frais en 1920.
L'Etat-dette c'est d'abord une dette imaginaire qui utilise les arguments
d'une ancestralité à la fois révolue et, en partie,
inventée pour valider les besoins des pouvoirs contemporains. Car
ce qui caractérisa et caractérise toujours l'Europe centrale
et orientale tient d'une contradiction entre les souverainetés
politiques et l'extension des langues, des religions et des groupes ethniques.
Et jamais, depuis l'effondrement des empires centraux, l'argument de la
dette et de l'ancestralité n'a résolu aucun des problèmes
politiques et économiques qui se sont posés à ces
pays. Au contraire, ces Etats, toujours soumis à des impérialismes
conquérants, se sont épuisés en propagandes interne
et externe, toutes deux aussi vaines qu'illusoires. L'Etat-dette n'a jamais
été qu'une manipulation des émotions populaires (souvent
justifiée par les souffrances des peuples) pour masquer la réalité
des coups de force opérés par des élites opportunistes,
aveuglées par l'appât du pouvoir, inconscientes ou cyniques
devant les aventures sanglantes qu'elles préparaient10.
Ce n'est pas le coup de force que je reprocherais aux sionistes, même
si je suis profondément convaincu (comme Raymond Aron) de l'erreur
historique commise avec la fondation de l'Etat d'Israel; ce que je n'admets
point (comme je ne l'admets point d'autres idéologies nationalistes),
c'est le maquillage moral au service duquel cette dette fonctionne. Que
les sionistes aient recouru au terrorisme le plus sanglant (qu'ils reprochent
aujourd'hui aux Palestiniens!) pour imposer leur Etat dans un contexte
favorable à leurs desseins, je l'admets comme une nécessité
historique incontestable; en revanche je refuse de me laisser berner par
un discours en trompe-l'oeil, qui, au-delà d'une vulgaire et traditionnelle
manipulation de la réalité historique, n'en finit pas de
justifier et de légitimer les actions les plus banalement colonialistes
et racistes de l'Etat hébreu. Est-ce au nom de l'essence de l'Etat
juste et du que des agents des services de sécurité israéliens
supervisaient les agissements de la trop sinistre S.A.V.A.K.? Au nom de
quelle justice, l'Etat juif supplée-t-il habilement les Etats-Unis
pour acheminer le matériel militaire nécessaire aux besoins
de répression des régimes les plus fascistes d'Amérique
latine? Est-ce encore au nom de cette dette ancestrale qu'Israel noue
des rapports privilégiés avec l'Afrique du Sud dont l'élite
raciste ne manqua point naguère de soutenir l'Allemagne nazie?
Il me serait aisé de multiplier les exemples montrant que les actions
politiques de l'Etat hébreu appartiennent bien à l'Etat
moderne et, dans ce cadre, à l'action des alliés privilégiés
des U.S.A. De ce point de vue, les sionistes m'apparaissent davantage
comme les héritiers de John Foster Dulles que de David ou de Salomon...
Pourtant, le phénomène qui donne à l'Etat d'Israel
une tonalité spécifique de nationalisme et un cynisme politique
bien particulier doit être recherché dans la culpabilité
rétroactive du monde occidental envers les juifs. L'Etat-dette
est possible parce que les pays d'Europe occidentale et d'Amérique
du Nord se doivent de l'offrir et de le garantir pour compenser les centaines
de milliers de morts. Dette qui ne s'acquittera jamais puisqu'elle compense
les morts de la diaspora de tout temps et en tout lieu. La dette demeure
éternelle comme la haine vouée aux "goyim" en
général et aux Allemands en particulier. Etat-dette encore,
parce que l'idéologie sioniste (et elle n'est pas seule dans ce
cas) définit les enfants de déportés, et au-delà
tous les juifs sans distinction, comme les héritiers moraux de
leurs pères: ils portent, de par la vertu des généalogies,
la justice immanente qui définit toute victime face à son
bourreau. La "race" des Justes ne peut s'éteindre, le
sionisme se l'est appropriée pour toujours! La réalité
historique est cependant bien différente, et précisément
ce qui définit le Juste dans le mouvement de l'histoire c'est qu'il
n'appartient à aucune "race", aucun peuple, aucune religion,
pour autant que le bourreau tienne aussi d'une possibilité universelle.
Aujourd'hui, les conditions politiques et économiques auxquelles
les juifs participent ayant radicalement changé, il ne peut plus
être question d'assimiler les anciennes communautés à
cette nouvelle entité: Israel. De par la présence de l'Etat,
les enfants des Justes sont entraînés dans et par une autre
logique du pouvoir qui, présentement, se trouve mêlée
à la formidable puissance américaine. On aurait pu concevoir
une dette momentanée si le sionisme s'était attaché
à résoudre le problème juif et celui de la démocratie
dans les Etats européens, si le sionisme s'était fait le
héraut d'une démocratie fondée sur la tolérance
ethnique et religieuse. Dès l'origine le mouvement sioniste refusa
cette voie difficile et novatrice (seuls les austro-marxistes tentèrent
de la théoriser mais pratiquement ils échouèrent
à la réaliser) pour construire à leur profit une
forme politique semblable à celle qui avait exclu leurs ancêtres
de la dignité humaine. Aussi ne faut-il pas s'étonner si
l'Etat hébreu est entraîné à refuser cette
dignité humaine au peuple qu'il a lui-même spolié
pour établir la suprématie civile et politique des Juifs.
En sorte que la dette morale perd la valeur universelle du Juste pour
se transformer en instrument idéologique au service du pouvoir
d'Etat.
Toutefois, on peut admirer l'aisance avec laquelle cet argument pseudo-moral
opère sur les Etats, les institutions ou les individus. La réalité
historique ou l'actualité contemporaine se dissolvent à
son contact comme s'il avait la propriété d'annihiler toute
réalité. En effet, si les enfants des Justes n'en possèdent
plus les fondements moraux, les enfants de l'Allemagne nazie ou ceux de
l'Italie fasciste ne sont pas des anciens fascistes comme les royalistes
français ne représentent plus que les résidus obsolètes
d'une ancienne histoire qui a achevé son parcours. Le fascisme
actuel a pris d'autres visages, sous la tutelle américaine, il
a envahi le tiers monde, et s'il est des lecteurs curieux, qu'ils portent
leurs regards sur le Nicaragua de Somoza, le Paraguay de Stroessner, l'Argentine,
le Chili, le Salvador, l'Indonésie... L'Europe occidentale n'a
plus besoin de camps de concentration sur ses territoires, elle les a
déplacés ailleurs, là où il est aisé
de reproduire facilement le capital à l'aide du travail esclave...
Et Israel ne se prive point de cette facilité...
Pour saisir pleinement le succès de la dette-culpabilité,
il faut aussi comprendre que les nations occidentales ont déplacé
l'objet de leur racisme, ou mieux ont concentré ce racisme sur
les peuples du tiers et du quart monde. L'Europe a épuisé
chez elle ses matières premières ou, comme les U.S.A., les
tient en réserve; par ailleurs, un certain développement
de la démocratie politique et sociale ne permet plus d'exploiter
sauvagement le prolétariat européen ou américain
(à l'exception des travailleurs émigrés). Pour trouver
des conditions avantageuses au capital, la servilité de certains
pays socialistes ne suffit plus, il faut les vastes possibilités
des pays sous-développés, leurs gouvernements et leurs élites
militaires ou civiles dévotement soumis à la puissance américaine
où l'establishment juif possède une fort bonne position.
Entre les deux guerres mondiales, après la création des
Etats-nations, c'était l'Europe centrale et orientale qui fournissait
au capital occidental ses énormes possibilités de plus-values.
Ainsi, comment oublier que les banques occidentales (catholiques, protestantes
et juives) avaient massivement investi dans le pétrole roumain,
les anglaises dans le charbon roumain ou polonais, les allemandes dans
l'industrie tchèque. Ces pays, à l'époque essentiellement
ruraux s'offraient encore aux premiers essais fructueux de l'industrie
agroalimentaire. La masse miséreuse des Juifs y jouait un double
rôle: d'une part, source importante de main-d'oeuvre à bon
marché dont ne s'est jamais privé le capital, y compris
le capital juif, et, d'autre part, "bouc émissaire" au
moindre coût dans le contexte idéologique de l'Etat-nation
qui exploitait avec une violence identique ses nationaux. Enfin, et l'argument
n'est pas négligeable, les gouvernements occidentaux pouvaient
aussi se servir de cette masse juive, difficilement intégrable
dans des économies pauvres et dépendantes, pour orienter
la politique de l'Etat-nation au mieux des intérêts étrangers.
On jouait avec les Juifs miséreux comme aujourd'hui on joue avec
les réfugiés vietnamiens ou cambodgiens, avec une différence
notable: à l'époque, les contradictions entre les Etats
d'Europe occidentale et les Etats-Unis étaient plus accusées
et laissaient donc place à des luttes où chaque Etat-nation
pouvait gagner un profit, tandis que, présentement, l'unification
des pouvoirs autour de deux super-puissances a fermé plus encore
les possibilités d'indépendance. Enfin, il faut souligner
l'importance du rôle joué par les classes moyennes juives
dans l'implantation du capitalisme en Europe centrale et orientale. Sans
développer le thème fort connu de l'intendant juif du propriétaire
latifundiaire, il existait toute une frange non négligeable de
la communauté juive qui gérait les entreprises du capital
étranger et qui, de ce fait, entrait en compétition avec
les classes moyennes de l'ethnie privilégiée par l'Etat-nation.
Bref, cette histoire s'arrêta, à l'aube de la Seconde guerre
mondiale lorsque l'impérialisme allemand, et son idéologie
raciste, tenta de s'approprier l'Europe centrale et orientale après
l'avoir partagée un moment avec le totalitarisme soviétique.
Or, dès avant la fin de la guerre, les deux Grands instaurent à
Yalta un nouvel ordre international, et ce n'est pas l'effet du hasard
si la naissance d'Israel s'effectua sous les doubles auspices de l'Union
soviétique et des Etats-Unis. Chacun tentait d'installer au coeur
de l'empire britannique du Moyen-Orient un pion fidèle. On comprendra
aisément qu'Israel se soit ensuite éloigné de l'U.R.S.S.
au fur et à mesure que les juifs établis dans les instances
de pouvoir des pays satellites se trouvaient éliminés par
un communisme national (le parti-nation, version stalinienne de l'Etat-nation)
qui les expulsait. En outre, jamais à ma connaissance les sionistes
officiels ne formulèrent de critiques particulières à
l'égard des Etats staliniens et des déportations massives
de l'époque stalinienne. N'était-ce point parce qu'ils furent,
pour la plupart, des alliés de l'Allemagne? Que valaient ces milliers
de paysans ou de "bourgeois" qui refusaient l'ordre collectif?
Tout change lorsqu'il s'agit d'atteindre aux droits des juifs! Encore
deux poids, deux mesures. Ainsi, l'interprétation de la crise polonaise
de 1968 par les sionistes comme une vague d'antisémitisme ne fut
jamais sérieusement critiquée: il était entendu que
la Pologne était familière de cet état d'esprit et
que toute faille de l'humanisme marxiste est bonne à prendre pour
la contre-propagande des pays capitalistes. Cependant, cette version traduit
mal la situation réelle dans le parti communiste polonais. Certes
l'antisémitisme polonais n'est point une chimère, toutefois,
on peut s'étonner de voir se développer cette campagne dans
un pays où la communauté juive ne comptait plus qu'une petite
minorité de personnes. Si l'on s'attache au déroulement
de l'affaire, on remarque qu'il s'agit pour l'essentiel d'un règlement
de comptes entre apparatchiks où le groupe dominant--les communistes
nationalistes --utilisa une terminologie disponible et sémantiquement
efficace pour masquer aux masses l'enjeu du conflit. On employa ainsi
l'antisionisme teinté d'un réel antisémitisme pour
éliminer le groupe juif qui gênait les ambitions du groupe
Moczar. D'autres fois dans l'histoire du mouvement communiste où
ils furent nombreux, jamais les apparatchiks juifs ne se sont privés
de l'usage de ces manipulations; à l'heure de leur pouvoir, ils
accusaient leurs camarades, leurs compagnons de lutte, de déviationnisme
de droite ou de gauche, d'espionnage au profit de l'Intelligence Service
ou du Deuxième Bureau ou, même, de sionisme quand ce n'était
point de judaisme rétrograde (cf. Isaac Babel, Cavalerie rouge
et Trotski, Ma Vie). Que les apparatchiks juifs aient ensuite voulu renforcer
cette interprétation pour éviter que l'on se penchât
avec trop d'attention sur leurs comportements politiques précédents,
je n'y verrais qu'un comportement "humain, trop humain".
Le lent et irrésistible déplacement d'Israel vers le camp
américain est tout aussi compréhensible si l'on tient compte
de la puissance, inespérée voici trente-cinq ans, de la
communauté juive américaine. Et, sans vouloir établir
une comparaison pas trop simplificatrice, il n'est pas négligeable
de souligner à quel point l'Etat hébreu semble jouer le
rôle de l'intendant surveillant le Moyen-Orient pour le compte de
l'impérialisme américain. Parfois je me surprends à
penser que le destin du peuple juif ne peut échapper à celui
de l'intendant, c'est-à-dire à celui de l'intermédiaire,
celui qui permet aux autres d'assurer toutes leurs violences et leurs
pouvoirs sur leurs semblables. Mais n'est-ce point retrouver là
une sorte d'intériorisation, à l'échelle des communautés
et de l'histoire, de la notion religieuse d'élection?
Pour en revenir à l'Etat-dette, je remarque qu'il satisfait tout
le monde, toutes les bonnes consciences des âmes pieuses rétroactivement
coupables, le redéploiement de l'impérialisme américain,
le maintien des Allemands dans une éternelle culpabilité
et, bien entendu, la spécificité du projet sioniste. L'impérialisme
soviétique y trouve aussi sa pâture, car, en favorisant l'idée
d'une permanente menace israélienne, il peut intervenir sur la
politique des Etats arabes "progressistes", c'est-à-dire
maintenir sa présence en ce lieu de richesse pétrolière
et d'intérêt stratégique. Seuls les Palestiniens,
ces trouble-fête, ces "sanglants terroristes" qui soumettent
à leurs "noirs desseins" d'innocenter victimes (n'est-ce
pas, monsieur Begin, vous qui êtes, me semble-t-il, un expert en
terrorisme aveugle), bref, seuls les Palestiniens refusent d'admettre
cette dette et d'entendre raison. Eux aussi se sentent créditeurs
de l'histoire et souhaiteraient profiter quelque peu de cette "justice
immanente" que leurs oppresseurs ne manquent jamais d'invoquer quand
il leur faut repousser par quelque moyen que ce soit tout règlement
pacifique et démocratique de cette spoliation. J'attends avec intérêt
le jour où la conscience malheureuse de l'Occident découvrira
cette nouvelle dette... Ne sera-t-il pas alors trop tard pour éviter
un nouveau conflit mondial?..
Etat juste! Quel Etat oserait aujourd'hui se proclamer tel? En général
ceux qui le font réservent ce thème à l'usage de
leur propagande interne, et se gardent bien d'insister sur la dette dans
la mesure où certaines de leurs minorités--regardant au-dehors--pourraient
s'interroger sur la dette étatique dont elles sont créditrices.
Même les deux grandes puissances éprouvent parfois des bouffées
passagères de culpabilité quand bien même celles-ci
servent leurs desseins futurs: voir le rapport Khrouchtchev au XX' congrès
du P.C.U.S., ou les Etats-Unis après le Viêt-Nam.
Comment un Etat peut-il être juste (hormis pour ses zélateurs
les plus fervents) lorsqu'il fonde ses lois sur des principes à
la fois ethniques et religieux: il procède ainsi d'une axiomatique
exclusiviste et donc injuste dans la mesure où seul un rapport
de force favorable est à même de donner à ces principes
une réalité politique. Or, je me souviens d'avoir été
profondément bouleversé par la lecture d'un passage du livre
d'H. Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité
du mal; l'auteur y soulignait combien les sionistes avaient applaudi lors
de la promulgation des lois de Nuremberg! Aujourd'hui, je ne m'en étonne
guère, car je vois se dessiner le vrai visage d'Israel, agressif,
conquérant, spoliateur, raciste et religieux11 , tant et si bien
que son protecteur américain s'en émut, fût-ce pour
de mauvaises raisons liées à sa stratégie globale
antisoviétique au Moyen-Orient. Enfin, un simple survol de certaines
dispositions législatives ou administratives israéliennes
prouve la nature raciste de cet Etat. N'est-ce point l'Etat hébreu
qui oblige ses citoyens d'origine arabe (quelle que soit leur religion)
à porter sur leurs cartes d'identité cette mention ethnique:
Arabe. Pourquoi alors reprocher aux Russes de procéder de manière
semblable avec le passeport intérieur (vieille pratique autocratique)
et de contraindre les citoyens soviétiques d'origine juive à
voir inscrit sur ce document la mention: juif? Faut-il rappeler aux sionistes
que cette mesure, décrétée en son temps par les premiers
bolcheviques, donnait aux juifs le statut officiel de minorité
nationale que leur avait toujours refusé le régime impérial
et autocratique! Certes, aujourd'hui cette mention n'a plus le même
sens qu'autrefois, encore devais-je l'évoquer afin de montrer la
différence de pensée entre la mention soviétique
et celle appliquée aux citoyens arabes vivant en Israel. Que dire
enfin d'un Etat moderne sans état civil quand beaucoup s'accordent
à considérer la séparation de l'Eglise et de l'Etat
comme l'une des bases essentielles de la démocratie moderne! Un
Etat peut-il se parer du manteau de la justice éternelle lorsqu'il
ne reconnaît pas la citoyenneté aux conjoints "goyim"
des juifs de la diaspora tandis que ceux-ci possèdent automatiquement
la citoyenneté israélienne? Quels furent les Etats qui,
au cours du XX' siècle, fondèrent leurs lois organiques
ou leur constitution sur de tels principes racistes? Je n'ose donner la
réponse de peur, une fois encore, de me faire accuser de vouloir
réhabiliter le nazisme ou les nationalismes les plus xénophobes...
"Diffamation du peuple juif", ou la religion de l'"holocauste".
J'en viens maintenant au coeur du sujet: l'affaire Faurisson. L'affaire
Faurisson, c'est, en premier lieu, la volonté de trois associations,
la L.I.C.R.A., le M.R.A.P. et l'Amicale des déportés d'Auschwitz,
qui, épousant totalement les thèses sionistes, accusèrent
Robert Faurisson de "diffamation envers le peuple juif". Il
s'agit d'une réponse judiciaire à une phrase, aujourd'hui
célèbre, prononcée par Faurisson devant les micros
d'Europe 1 en réponse à une interview d'Ivan Levai: "Les
prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu
génocide des Juifs forment un seul et même mensonge historique,
qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont
les principaux bénéficiaires sont l'Etat d'Israel et le
sionisme international, et dont les principales victimes sont le peuple
allemand--mais non pas ses dirigeants--et le peuple palestinien tout entier."
Certes la formulation est rude, je ne l'apprécie guère,
j'aurais préféré une pensée et un énoncé
plus nuancés, plus analytiques, moins à l'emporte-pièce.
Faurisson n'a pas résisté à ces phrases-massues dont
les media sont si friands. Que Faurisson ait sacrifié à
ce genre de discours pour résumer un sujet aussi délicat,
je le regrette; toutefois, s'il faut l'accuser, je souhaiterais voir sur
le même banc ces cohortes de journalistes bien-pensants qui n'hésitent
pas à proclamer quotidiennement de trop courtes vérités
sur le mode sensationnel. De combien de mensonges ne nous abreuvèrent-ils
pas au "beau temps" de la guerre d'Algérie et, plus récemment,
combien de fadaises ne nous contèrent-ils point sur les événements
cambodgiens? Mais, pour donner à l'action judiciaire toute sa valeur
exemplaire, quelques remarques complémentaires illustreront la
nature politique de l'affaire Faurisson.
Il m'est arrivé de lire la prose de certains historiens et de politicologues
qui ne s'embarrassent point de scrupules pour parler de la "pseudo-révolution"
bolchévique... Ils y voient la modernisation de la vieille autocratie
ou la trahison des intérêts du prolétariat. Imaginons
la réaction d'un homme convaincu du bien-fondé des interprétations
fournies par l'historiographie soviétique? Comment accepterait-il
cette dénégation de la valeur de la première révolution
prolétarienne? On attente au credo de sa foi, aux fondements même
de ses assurances, on bouleverse son système de référence
et d'intellection du monde. Je remarque, par ailleurs, que de tels doutes
furent proférés par des historiens soviétiques, mais
chacun de nous sait trop bien où ils mènent: vers les camps
à régimes spéciaux! Le pouvoir soviétique
les accuse de "diffamation envers l'Union soviétique."
Pour répondre à cette question posée par l'intolérance
persistante des hommes, il faut rappeler quelques idées élémentaires
sur la valeur de l'hypothèse historique et son application au domaine
controversé de l'univers concentrationnaire. Le fait qu'une hypothèse
quelconque, qu'une affirmation fondée ou infondée, puisse
être utilisée comme argument d'une procédure judiciaire
relève de la pensée totalitaire ou d'un nationalisme xénophobe.
Ce sont ces formes de pouvoirs étatiques qui ont institué
l'histoire en tant que pratique politique normative. L'Etat totalitaire
et national refuse et enfouit sous le silence de la répression
toutes interprétations de l'histoire qui ne satisfont point les
idées conçues par lui comme autant de vérités
éternelles--même si elles traduisent l'éternité
d'un moment dans les rapports politiques! Les hypothèses et les
interprétations "révisionnistes"12 sont plus que
fausses, elles constituent un attentat à l'essence de la Nation,
du Parti, de l'Etat, du Peuple ou de la Religion officielle. Oserais-je
raviver la mémoire de quelques amnésiques et leur immortaliser
le souvenir des hypothèses et des conclusions racistes prononcées
par de dangereux savants germaniques, sans évoquer le sort de ceux
qui s'y opposèrent... Si j'avais osé écrire en 1941,
contre l'idéologie paysanniste, nationaliste et xénophobe
de l'Etat français, il m'en aurait coûté quelques
ennuis. Si, enfin, citoyen soviétique, j'avais émis en 1939
quelques doutes sur la culpabilité de Boukharine ou de Toukhatchevski,
je n'aurais pas donné très cher de ma peau. Pourtant, à
chaque fois, j'aurais trouvé de nombreux témoins pour affirmer
que je n'étais qu'un vil menteur, un traître, un destructeur
des plus hautes valeurs de la nation... Les miracles de la Vierge ont
aussi leurs témoins qui jurent leur grand Dieu que tout est vrai...
Aujourd'hui, toute affirmation qui ne loue pas la version sioniste de
la Seconde guerre mondiale est considérée comme diffamatoire.
Il y a une vérité et une seule, à prendre ou à
laisser, mais en silence! Certains historiens, aujourd'hui grands zélateurs
du sionisme, connurent intimement ces modes d'accusation, au service d'autres
idéologies, pour en avoir été les procureurs! Ils
appartiennent toujours aux institutions universitaires les plus prestigieuses
sans qu'on leur tienne rigueur de leurs mensonges de naguère. Toujours
deux poids, deux mesures!
Georges Duby écrivait un jour que l'histoire, c'est aussi l'opinion
des historiens; or, si l'histoire est affaire d'opinions, on m'accordera,
d'une part, qu'elles peuvent être nombreuses et contradictoires
et, d'autre part qu'elles traduisent des vérités relatives
sans cesse révisables, qui s'approchent ou s'éloignent de
la véracité des faits, suscitant des dialogues courtois
ou discourtois qui participent toujours de l'esprit du temps et du lieu
social où son auteur les énonce. Entendons-nous, il s'agit
des hypothèses d'une histoire qui se veut une science sociale et
empirique et non de l'histoire qui se veut décryptage et herméneutique,
des principes abstraits oeuvrant dans les actions, les institutions et
les pensées humaines. Je parle ici de cette histoire empirique,
celle dont les prétendues vérités universelles et
éternelles permettent de conduire Faurisson au banc des accusés13.
Pourtant, s'il fallait constituer des dossiers d'accusation à l'encontre
des historiens ou des politicologues qui professent de fausses hypothèses
et proclament des discours attentatoires à la dignité de
certains régimes politiques ou de certains peuples, je conseillerais
aux associations antiracistes et à la justice de procéder
à des vagues d'épurations universitaires! Combien d'intellectuels
avancent à l'encontre des pays socialistes ou des pays du tiers
monde des propos qui se confondent avec la propagande la plus vulgaire?
Combien de journalistes omettent des informations qui dérangeraient
les conformismes de notre pays; il leur faut rendre l'actualité
plus confortable et l'idéologie plus crédible.
Tous ces textes, tous ces dires, toutes ces professions de foi sont acceptables,
à la seule condition qu'ils puissent faire l'objet de débats
publics, de controverses, de mises au point différentes. Je sais
que la "science humaine" universitaire préfère
parfois les sirènes des conformismes, les succès mondains
du star-system ou les débats sans fin sur de faux objets, pourtant
il faut les tolérer si l'on prétend assumer en toute circonstance
la liberté d'opinion. Aussi la question se pose-t-elle à
nouveau: pourquoi les affirmations de Faurisson, fussent-elles outrancières,
entraînent-elles ces procès indignes de la justice d'un pays
réputé démocratique?
Je n'ai jamais dit ou écrit publiquement que Faurisson nous révèle
enfin la Vérité absolue, le nouveau dogme, qu'il faut courir
l'adorer comme le nouvel oracle. J'ai simplement exprimé devant
le tribunal que ses hypothèses et ses conclusions méritent
qu'on s'y arrête parce qu'elles soulèvent de manière
convaincante bon nombre de problèmes encore obscurs qui méritent
discussions et objections.
Deux phénomènes traités par Faurisson et les "révisionnistes"
semblent déclencher les foudres des idéologues sionistes:
le nombre des victimes juives dues à la terreur nazie et les chambres
à gaz comme instrument de la mise à mort. N'étant
pas spécialiste de cette période de l'histoire récente,
je me garderai bien de traiter ce problème par le détail;
toutefois, grâce à mon travail d'ethnologue de l'Europe orientale,
à quelques lectures et à l'activité de l'esprit critique,
je me suis permis de réfléchir sur les principes guidant
les accusateurs de Faurisson.
Je commencerai donc par le problème du chiffrage des victimes,
et quoique cette thématique n'ait rien de plaisant, que je la trouve
malsaine, morbide et trop souvent complaisamment et gratuitement dramatique
(elle est tragique), je m'y attacherai car elle fut au centre de ma déposition
devant le tribunal de la dix-septième chambre correctionnelle de
Paris. Je traiterai pour l'essentiel de la Pologne avec quelques incursions
en Roumanie. Le chiffre de six millions de morts est aujourd'hui admis
comme la loi de la chute des corps, comme vérité intangible
et irréfutable. Parmi ces victimes, les juifs polonais représenteraient
la moitié, trois millions, soit la presque totalité de la
communauté polonaise massacrée dans la machine concentrationnaire.
Or, à présent, on feint d'oublier que, avant l'attaque allemande
du 22 juin 1941, la Pologne avait été partagée entre
l'Allemagne et la Russie soviétique depuis le 30 octobre 1939.
Ainsi, pendant un an et demi, la moitié de ce pays (dans ses frontières
issues des traités de 1919 et des guerres polono-russes) plus les
Pays baltes, le nord de la Bukovine et la Bessarabie (roumaines), tous
gouvernés par des régimes plus ou moins capitalistes, furent
soumis à l'administration soviétique et à la pédagogie
socialiste du N.K.V.D. déjà dirigé par Béria
(personnage politique dont le témoignage ne souffre aucun doute!).
Si l'on s'en remet aux chiffres fournis par L'Universal Jewish Encyclopaedia
(1940-1943), on notera qu'environ 40% des Juifs polonais passèrent
sous contrôle russe. D'autre part, toujours selon cette encyclopédie
et divers témoignages (je connais personnellement des témoins),
la presque totalité de ces Juifs furent déportés
en Sibérie. Or pourquoi les sionistes s'acharnent-ils à
présent à les compter parmi les morts du génocide
germanique? A quels intérêts politiques ces morts (ou ces
vivants) doivent-ils le fait d'avoir changé de camp? Veut-on nous
cacher que des apparatchiks soviétiques d'origine juive prirent
part à ces décisions? Quelles sont les manipulations sous-jacentes
à cette virevolte? Après avoir énoncé ces
simples questions de bon sens devant le président de la dix-septième
chambre, je fus copieusement injurié, insulté par l'assistance
qu'une haine aveugle et une passion xénophobe rendait sourde à
tout argument quel qu'il fût! Or voici que, quelques jours après
ma déposition, Le Monde du 5 juillet 1981 reproduisait une interview
de Nahum Goldmann, ancien président du C.J.M. (Conseil juif mondial),
dans laquelle on pouvait lire ce passage: "Au cours de la Seconde
Guerre mondiale, l'Union soviétique a sauvé des centaines
de milliers de Juifs des territoires occupés par les Allemands,
en leur permettant de se réfugier en Sibérie. Après
la guerre, une grande partie de ces Juifs a pu retourner en Pologne et
de là en Israel." (Souligné par moi.)
Ces précisions appellent quelques remarques. En premier lieu, je
relève que non seulement les Russes "protégèrent"
les Juifs dans les territoires qu'ils occupaient, mais qu'ils poussèrent
leur mansuétude à étendre leurs mains secourables
aux Juifs vivant dans les territoires soumis à l'administration
allemande, c'est-à-dire à l'autre partie de la Pologne occupée.
Ainsi ce n'est plus la moitié des Juifs polonais, mais une quantité
supérieure (non précisée) qui se seraient trouvés
du côté soviétique pour s'en "retourner, une
fois la guerre terminée, en Pologne et de là en Israel".
Ce texte, et les informations qu'il apporte, va bien au-delà de
mes affirmations lors du procès Faurisson. Je serais donc conduit
à réviser mes chiffres et ceux de l'historiographie sioniste:
les morts dus à la soldatesque teutonique seraient encore moins
nombreux! N'y aurait-il pas ici un motif pour traduire N. Goldmann devant
une cour de justice ou bien ne serait-il pas plus sérieux de s'atteler
à ce problème et tenter de l'approcher avec plus de précision?
Il reste que nous avons là un domaine incertain auquel les sionistes
prétendent répondre par des certitudes...
Je suis d'ailleurs quelque peu surpris qu'un homme aussi intelligent et
bien informé que N. Goldmann puisse affirmer que, en pleine ère
stalinienne, la déportation de Juifs en Sibérie par le N.K.V.D.
puisse s'apparenter à la protection des populations juives. Aucun
témoignage ultérieur ne signale à l'attention cette
entreprise de protection (cf. The Great Terror et L'Archipel du Goulag).
Je connais, en outre, des témoins qui m'ont conté les conditions
effroyables de transport et du travail forcé auxquels ils furent
contraints (sans doute par soucis de protection!). Certaines estimations
suggèrent que plus du tiers des Juifs déportés par
les Soviétiques périrent au cours du voyage et de leur première
année de détention... Pourquoi N. Goldmann fournit-il des
faits qui contredisent la vulgate sioniste tout en leur donnant une interprétation
quelque peu surprenante?
Il semble que l'auteur cherche à ménager l'Union soviétique
(ce que ne faisait point l'Encyclopaedia Judaica) tout en faisant porter
toute la responsabilité du génocide sur l'Allemagne nazie
(cf. la suite de l'interview). Il lui faut absolument présenter
la Russie comme un pays inclus dans le camp de la liberté. Or chacun
sait que le C.J.M. a toujours entretenu des rapports officieux ou officiels
avec l'Union soviétique pour ce qui concerne la communauté
juive et l'émigration. C'est encore avec l'Union soviétique
que l'Etat d'Israel doit négocier au Moyen-Orient, même s'il
agit par Etat interposé (Roumanie). En revanche, l'Allemagne nazie
est un régime déchu, banni des mémoires dans les
deux Allemagnes, qui n'a plus aucune valeur dans les stratégies
politiques mondiales, tout en conservant une valeur symbolique irremplaçable.
Aussi n'est-il pas surprenant qu'on lui fasse supporter tous les crimes,
y compris ceux qu'elle n'a point commis, comme si les massacres ressortissant
à sa seule responsabilité ne suffisaient point à
la condamner irrévocablement. Enfin, il ne faudrait point omettre
le rôle décisif de N. Goldmann dans la négociation
des dommages de guerre marchandés avec Konrad Adenauer. Etablis
sur la base de six millions, il fallait les trouver. Où? Dans l'incalculable
génocide nazi14? Comment cet homme habile aurait-il pu, aujourd'hui,
se déjuger et, de ce fait, attenter à l'honneur de l'Etat
d'Israel? On comprend alors que le vieil homme donne des gages d'humanisme
à l'U.R.S.S. et voue aux gémonies de l'enfer l'Allemagne
nazie. Toutefois, cette concession faite au stalinisme ne peut s'accomplir
sans révéler un fait qui tend à donner raison aux
"révisionnistes". Que chacun par la suite interprète
ce fait selon sa propre théorie de l'histoire ou selon ses préférences
idéologiques, libre à lui, mais à une seule et unique
condition: ne point traîner en justice ses contradicteurs en vertu
d'une orthodoxie politique qui départagerait la vérité
de l'erreur. Tout est révisable, l'infaillibilité de Staline,
de Mao et du Pape, la justesse de la politique américaine ou française,
la démocratie libérale, etc., y compris la légitimité
des Etats.
Or la révision des chiffres des victimes avait déjà
été l'objet de vives controverses au cours du procès
d'Eichmann, tant et si bien que le président du tribunal de Jérusalem
dut fréquemment interrompre de violents débats beaucoup
trop dangereux pour la version officielle de la déportation (cf.
H. Arendt, op. cit.). C'est encore avec étonnement que j'ai noté
la virtuosité de M. Wellers qui jongle avec les chiffres en se
fondant uniquement sur les données démographiques soviétiques
ou nazies que tout le monde s'accorde à trouver fausses ou du moins
largement manipulées lorsqu'il s'agit d'une thématique autre
que celle concernant les juifs. Mais le fait le plus significatif, c'est
son omission des données juives contradictoires.
De la part de l'un des spécialistes mondiaux de la déportation
et du génocide des juifs, je ne peux imaginer qu'il fasse preuve
d'une telle ignorance, il s'agit d'autre chose... Je pense qu'il aurait
dû en discuter avec N. Goldmann de manière à ne point
offrir au monde de si grossières contradictions. Que les documents
historiques soient sujets à de multiples variations, à des
inexactitudes, des absences, des amputations et des manipulations, j'en
suis convaincu; et c'est bien là le premier travail de l'historien
(comme celui de l'ethnologue) que de critiquer les documents écrits,
les témoignages et tous les discours. Tout cela me paraît
bien banal et, sans ces circonstances exceptionnelles, je n'oserais jamais
évoquer ces principes méthodologiques qui constituent l'apprentissage
minimal du travail d'historien. Il m'a semblé néanmoins
nécessaire de les rappeler à nouveau dans la mesure où
l'acte d'accusation s'est appuyé sur une pétition signée
par quelques-uns de nos plus brillants universitaires (15).
Il est donc souhaitable d'engager un vrai débat au cours de séminaires
et de colloques afin d'en informer un large public et ne plus laisser
les gens nourrir leurs fantasmes, leur culpabilité ou leurs passions
idéologiques avec des oeuvres qui s'apparentent plus à celles
de la presse à scandale, du spectacle et de la marchandise de l'horreur
qu'à la présentation d'études minutieuses De trop
nombreuses contradictions demeurent dans les faits relevés par
les versions officielles de l'histoire concentrationnaire16 pour que les
interrogations et les doutes ne s'éveillent et ne suggèrent
de nouvelles problématiques. Trop d'excommunications sanctionnent
les contempteurs de l'historiographie sioniste ou stalinienne pour étouffer
toute volonté cherchant à réexaminer les documents.
Et lorsque les censeurs en appellent au respect des morts pour éliminer
de la scène des débats tout contradicteur, je décèle
de trop puissants intérêts politiques pour ne point dénoncer
cette utilisation douteuse des victimes. Une manière, pour certains
parmi les vivants (et non les survivants) de se draper dans une morale
bienfaisante pour bien masquer leur enjeu. La France connut aussi un semblable
phénomène avec l'historiographie de la Première Guerre
mondiale dont l'un des plus récents avatars fut, en 1958, l'interdiction
du film de Stanley Kubrik, Les Sentiers de la gloire; il attentait à
la mémoire des milliers d'hommes tués dans ce qu'il est
convenu de nommer, aujourd'hui, la boucherie de généraux
imbéciles et ambitieux17. Phénomène banal que la
manipulation de l'historiographie à des fins politiques comme le
montre si bien N. Chomsky dans son dernier ouvrage18. Mais que ces censeurs
prennent garde à ce que l'esprit de vengeance et d'intolérance
qui anime leur combat douteux ne rejaillisse un jour à leurs dépens.
Alors, il sera trop tard pour invoquer les dettes du passé; il
leur faudra, dans la violence du présent, assumer la haine des
autres dont ils s'étaient faits auparavant les héritiers.
Si les démographes et les historiens sionistes étaient à
ce point assurés de leurs matériaux, pourquoi les associations
qui soutiennent leurs théories chercheraient-elles à imposer
le silence à ceux qui en doutent? La cause devrait être entendue,
et le ridicule des assertions "révisionnistes" assurerait
la justice et le droit. Ces associations auraient-elles peur que certaines
révélations ne dévoilent des manipulations fort gênantes
pour la politique sioniste dirigée vers la diaspora? Je leur laisse
le soin de me répondre, mais je leur suggérerais de s'occuper
plutôt des vrais racistes et des vrais antisémites. Qu'elles
s'interrogent un peu sur ceux qui acceptent les six millions demorts en
y voyant un fait positif! Ou bien qu'elles poursuivent certains dont les
pseudo-romans d'espionnage ne sont que des appels à la haine raciale
contre les noirs, les jaunes et les Arabes. Je connais de ces historiens
antisémites qui n'ont jamais été inquiétés
par ces officines, au contraire, car, il est de notoriété
publique que le sionisme s'accommode trop bien du véritable antisémitisme
parce qu'il lui permet de justifier sa volonté politique d'émigration
massive des juifs de la Diaspora en Israel. Or, depuis quelques années,
on sait que les juifs cherchent plutôt à quitter Israel qu'à
y demeurer (comme le rappelle un récent article de l'International
Herald Tribune)19. En revanche, ce que le sionisme ne peut admettre, c'est
la mise en doute des principes Idéologiques qui fondent et justifient
la politique extérieure de l'Etat hébreu: l'expansionnisme
d'Israel au Moyen-Orient au nom des crimes commis par l'Allemagne nazie.
Et c'est en raison de ces principes que toute discussion sur le problème
des chambres à gaz provoque des réactions qui confinent
à l'hystérie collective comme si l'on osait prêcher
l'athéisme dans une communauté hassidique!
Le problème soulevé par la présence ou l'absence
de chambres à gaz dans les camps de concentration revêt aujourd'hui
les mêmes aspects idéologiques que le problème posé,
voici trente ans, par l'existence des camps de concentration soviétiques.
Souvenons-nous des déclarations des Wurmser, Daix, Desanti, Besse,
Kanapa, etc., tous convaincus des mensonges de la presse bourgeoise ou
de Kravtchenko; tous juraient leurs grands dieux (ainsi que des milliers
de gens) qu'il s'agissait là de sournoises manoeuvres de l'impérialisme
américain. Or, malgré le profit politique que l'impérialisme
tire des crimes de l'ennemi pour couvrir les siens, il n'en demeure pas
moins vrai que la déportation massive, le travail esclave et l'exécution
systématique des opposants constituèrent les armes du pouvoir
stalinien pour régler ses contradictions.
Les victimes en témoignent aussi. Ce qui n'empêche pas encore
certaines manipulations. Par exemple, je suis de ceux qui pensent que
Soljénitsyne en rajoute dans ses descriptions. Est-ce une raison
pour lui faire procès? Non! Pour en débattre contradictoirement?
Oui! Chercher à comprendre les raisons qui le conduisent à
cette présentation des faits, voilà une démarche
sérieuse et cohérente qui, tout en laissant ouvertes les
interprétations contradictoires, n'empoche nullement de respecter
les souffrances physiques et morales subies par cet homme et ses camarades
de déportation. De tels procès ressortissent à la
propagande et ne sont rien que fort banals. Une fois encore, je rappellerai
aux idéologues académiques que ces faits ne sont pas exceptionnels
en période de guerres chaudes ou froides, ou de coexistence pacifique
armée. Le fameux exemple de Katyn n'est qu'un événement
de propagande parmi tant d'autres semblables comme celui du massacre perpétré
dans la prison de Lvov par les troupes du N.K.V.D., durant l'été
1941, quelques heures avant l'arrivée des soldats allemands. Confrontée
à l'impossibilité matérielle de transporter vers
l'arrière la masse importante des prisonniers politiques de l'Ukraine
polonaise, la police secrète soviétique préféra
les grenades dans leurs cellules plutôt que de laisser derrière
elle des témoins gênants pour l'image de fraternité
idéologique que voulait donner au monde le pouvoir des Soviets.
Lorsqu'ils découvrirent ce massacre, les Allemands le photographièrent
et envoyèrent les plus sensationnels clichés aux agences
de presse mondiales afin de justifier leur lutte contre le "sanglant
communisme". Qu'ils employèrent ces témoignages réels
pour masquer leurs propres exactions, j'en suis convaincu, pourtant cela
n'ôte rien à la responsabilité soviétique.
Que les Américains, en 1981, prennent prétexte des massacres
perpétrés par les Khmers rouges pour légitimer rétroactivement
leur intervention criminelle au Cambodge, c'est ce que tendent à
démontrer quelques livres publiés récemment. Bref,
tout cela s'apparente aux jeux des propagandes et des contre-propagandes
et s'éloigne des interprétations mesurées, attentives
à toutes les versions des mêmes faits qui laissent toujours
place au doute salvateur de la tolérance politique et morale.
Mais lorsqu'on ose toucher ou retoucher à la version officielle
des instruments de la mise à mort nazie, la chambre à gaz,
les arguments et les valeurs avancées par les gardiens de la Loi
nous présentent les faits comme s'il s'agissait des canons d'un
livre sacré. Toute contestation est assimilée à une
négation de l'Etat-dette et des modalités meurtrières
de l'élection juive. Pour justifier la dette étatique, il
faut impérativement que le destin des juifs participe de principes
différents de celui des autres peuples soumis à la xénophobie
nazie. Que doit-on penser alors des assiégés de Léningrad?
Neuf cents jours sous les obus allemands sans pouvoir y échapper!
Est-ce un sort normal pour les Russes? Ces trois années ne s'apparentent-elles
point au Voyage au bout de l'enfer? Interrogeons encore les descendants
des 400 000 Serbes disparus dans les camps d'Ante Palevitch, et demandons-leur
si ce destin ne possédait point des qualités extraordinaires20?
Or, quels que soient les moyens employés, la mort d'un seul homme
au nom d'une quelconque xénophobie raciste, nationale, religieuse
ou politique est crime contre l'humanité: non seulement les crimes
civils, mais aussi la guerre --ce crime collectif sanctifié par
les lois des Etats.
Quant à moi, je ne saisis pas la différence qu'il y aurait
entre les souffrances dues aux chambres à gaz, vraies ou fausses
(c'est par ailleurs un moyen légal d'exécution aux U.S.A.),
et l'incommensurable répétitivité de la déchéance
physique due au travail esclave. Comment les sionistes ont-ils le cynisme
de surévaluer la mort par les gaz (si elle eut lieu) par rapport
au sort effroyable de ceux qui s'épuisaient journellement dans
les souterrains de Dora, dans les carrières, ou à construire
des routes stratégiques. Sous-alimentés pour ne pas dire
affamés, sans aucune aide médicale, par tous les temps,
si contrastés en Europe orientale, ils assuraient une part non
négligeable de la logistique guerrière allemande comme,
à quelques milliers de kilomètres vers l'Orient, leurs frères
du Goulag soviétique participaient, eux aussi, à l'effort
de guerre russe. L'univers concentrationnaire demeurera l'une des grandes
inventions de la modernité politique et économique de l'Occident
pour trouver une main-d'oeuvre à la fois soumise (pas de syndicats
ou de revendications salariales) et pour un temps inépuisable.
Or les bonnes âmes qui s'étonnent de la mort de si nombreux
enfants devraient se souvenir que l'industrialisation de l'Europe occidentale
s'est faite aussi avec le travail et l'exploitation massive des enfants21.
Pourquoi une économie de guerre, en mal de bras se serait-elle
privée de cette force de travail peu efficace mais gratuite ou
presque? S'il s'agissait pour ces bonnes âmes de dénoncer
ce retour à la barbarie d'une ampleur sans précédent
en raison des technologies mises au service de la mort, je me joindrais
à leur choeur. Mais comment peuvent-elles convaincre de leur bonne
foi lorsqu'elles instaurent une iniquité essentielle en proclamant
une différence ontologique entre les souffrances endurées
par les enfants juifs et celles subies par les enfants russes, serbes,
grecs... et allemands22. J'ajouterai encore, pour faire bonne mesure,
que tous les Etats qui se prétendent démocratiques n'ont
jamais hésité à employer à vil prix le travail
des enfants dans leurs colonies, ou dans les Etats du tiers-monde qui
leur sont présentement soumis. Qui n'a entendu parler de ces prostituées
de dix ou douze ans qui sont offertes en Thailande, au Brésil,
à Saint-Domingue! La différence permet une fois encore de
faire fonctionner les deux poids et les deux mesures au plus grand bénéfice
des sionistes, et de leurs alliés. Si nous devons condamner ce
monde, c'est bien la guerre moderne, la guerre totale (militaire, économique
et idéologique) qu'il nous faut honnir car rien ne lui échappe...
Une fois posées ces remarques sur les principes qui dirigent l'utilisation
propagandiste des faits concentrationnaires, il semble bien difficile
de trouver, par ailleurs, une quelconque élection différentielle.
Regardons maintenant les arguments de Faurisson et ceux de ses accusateurs.
Soulignons d'abord que ce problème de la présence des chambres
à gaz fut aussi soulevé par un chercheur dont les travaux
servent de référence à l'histoire de l'univers concentrationnaire.
Olga Wormser-Migot émet de sérieuses réserves quant
à leur présence à Mauthausen tandis que l'historiographie
officielle continue à l'affirmer sans tenir aucun compte des remarques
énoncées par une universitaire que l'on peut difficilement
accuser d'antisémitisme ou de pronazisme. Aucun doute ne doit subsister
dans la conscience populaire, la version officielle doit demeurer celle
de la Vérité. De même, tout le monde connaît
la vulgaire cabane du Struthof dont l'opinion commune affirme qu'elle
fut une chambre à gaz! Pourquoi ne pas s'en tenir à la stricte
réalité qui est déjà si terrifiante pour l'esprit.
En fait le problème majeur se pose à l'égard d'Auschwitz.
Or les arguments techniques de Faurisson me paraissent plutôt convaincants,
même si, par ailleurs, je n'admets ni son estimation du nombre des
victimes, ni son interprétation politique du nazisme pour lequel
j'ai donné ma version simplifiée dans les deux premières
parties de cet essai. Je reviendrai plus avant sur mon désaccord
avec Faurisson, pour le moment je m'en tiens à ses arguments. Rien
de ce qu'il affirme n'a été sérieusement infirmé
par ses accusateurs. Le livre de Georges Wellers (Les chambres à
gaz ont existé, Paris, 1981). Outre ses subtilités démographiques,
se résume à une nouvelle glose sur le Journal de Kremer,
sans aucune critique de la source, c'est-à-dire une critique des
conditions dans lesquelles ce témoignage fut obtenu. Or lorsqu'il
s'agit des procès staliniens ou brejnéviens, tous les spécialistes
du monde stalinien nous ont appris à nous méfier des procédures
d'enquête chères à une tradition inaugurée
par la célèbre Tchéka. Pourquoi les procédures
du N.K.V.D. seraient-elles plus objectives et respectueuses des droits
de la défense pour les méfaits d'un haut fonctionnaire nazi
que pour établir l'acte d'accusation d'un citoyen soviétique,
fût-il l'un des chefs historiques de la Révolution bolchèvique?
Si l'on pense que les mêmes services officiels agissent selon les
ordres du pouvoir et non selon une quelconque idée de la justice,
alors il faut se rendre à la raison: les documents obtenus par
la police politique soviéto-polonaise sont suspects; mais si l'on
pense le contraire, alors on doit proclamer haut et fort, quitte à
sombrer dans le ridicule, que Boukharine était bien un agent de
l'Intelligence Service infiltré dès avant la Révolution
d'octobre au sein du comité central du parti bolchevique23! Or
l'histoire, c'est aussi la mémoire non pas la mémoire des
mythes, mais la mémoire des choix et des situations politiques
antérieurs. Les Russes, quelle que soit la réalité
de leurs sacrifices et de leur courage, devaient aussi faire oublier quelques
crimes ignobles pour pouvoir entrer de plain-pied et de plein droit dans
le camp des vainqueurs, dams le camp de la Liberté recouvrée,
pour se présenter à la fois comme des victimes absolues
et Ides triomphateurs purs de tout crime contre l'humanité. La
propagande russe n'est pas prise en compte lorsqu'il s'agit de traiter
de l'univers concentrationnaire, en revanche, elle est abondamment utilisée
quand de savants politicologues24se penchent sur l'implantation des régimes
staliniens en Europe centrale et orientale! Encore deux poids et deux
mesures.
D'autre part, s'il faut douter des matériaux produits par les enquêtes
du N.K.V.D., on peut encore suspecter les documents quand ils sont utilisés
par les enquêteurs sionistes ou les témoins qu'ils manipulent.
Je ne reviendrai pas sur la brillante démonstration de Faurisson
à propos du Journal d'Anne Frank. Ce faux n'est pas à mettre
au compte du respect des victimes mais, au contraire, il pue les charognards
qui se repaissent du malheur des hommes pour en faire des drames à
grand spectacle. La disparition d'Anne Frank n'a pas besoin de ce grimoire
pour nous plonger au fond de la tragédie inhumaine du nazisme.
Pourquoi alors en rajouter? S'il est, en outre, un fait significatif de
la plaidoirie des avocats de l'accusation, c'est le peu de cas qu'ils
firent du livre de Filip Muller, Trois ans dans une chambre à gaz
d'Auschwitz, publié à point nommé ses contradictions
se révèlent si grossières qu'elles montrent par trop
les faiblesses de sa fabrication, et qu'il aurait été difficile
d'éviter la ruine de ses arguments.
Et les milliers de témoins? me demandera-t-on. Je répondrai
que les vrais témoins sont rares ou se sont manifestés très
tardivement. En revanche, on ne manque pas de témoins des massacres
perpétrés à la mitrailleuse, au fusil ou par la faim.
Pourquoi F. Muller a-t-il attendu si longtemps avant de communiquer au
public son expérience exceptionnelle? La sortie de son livre coincide
bien étrangement avec les procès de Faurisson... Cette question
demeure toujours sans réponse, malgré les explications psychologiques
de son éditeur, Claude Lanzmann. Quant à Léon Poliakov,
il me suffit de me reporter au jugement de son procès qu'il intenta
à Faurisson pour juger de ses arguments. Parmi les attendus du
jugement on peut lire ceci: " ... a pu [Poliakov], sur des points
de détail, enfreindre la rigueur scientifique sans que pour autant
il soit permis d'affirmer qu'il est un manipulateur ou un fabricateur
de textes".
Mais alors pourquoi accuse-t-on Faurisson d'enfreindre aussi la rigueur
scientifique? Encore une nouvelle version des deux poids, deux mesures!
Si j'ai des réserves ou même de franches oppositions avec
Faurisson, elles ne concernent pas les arguments techniques qu'il fournit
pour démontrer l'inexistence de chambres à gaz mais deux
problèmes interdépendants: son estimation du nombre des
victimes et son interprétation du nazisme. Je soupçonne
Faurisson de sous-estimer le nombre des victimes de l'univers concentrationnaire
dues au travail esclave, et aux effroyables conditions provoquées
par cette nouvelle forme de guerre totale dans les pays d'Europe centrale
et orientale. Là-bas, les dernières années du conflit
élevèrent la sauvagerie meurtrière au rang de norme
de la vie quotidienne non seulement de la part des Allemands, mais encore
de la part de tous les pays, de tous les groupes ethniques qui avaient
cru en la victoire allemande pour jouer, contre les Russes ou d'autres
pouvoirs nationalistes dominants, leur chance d'une indépendance
nationale. N'est-ce point le cas des Ukrainiens mais aussi, plus près
de nous, celui de la milice?.. Sur les fronts et dans les pays de l'Est,
la guerre atteignit une violence sans précédent, inconnue
de l'Europe de l'ouest ou de l'Afrique; si l'on voulait établir
une comparaison, je pense qu'il nous faudrait l'aller chercher en Extrême-Orient,
sur le front sino-japonais.
Les sionistes, comme Faurisson, ont sous-estimé toutes les conditions
réunies en ce lieu européen pour asservir et tuer les hommes,
les premiers au profit du gaz, le second par sa méconnaissance
de l'histoire moderne de l'Europe centrale prise entre ses propres nationalismes
et les impérialismes occidentaux. Ici, plus de conventions internationales
de la Croix-Rouge, pas de droits du prisonnier de guerre ou du civil,
rien que la violence aveugle des xénophobies nationales ou économiques.
Au-delà de l'Oder, la vie humaine comptait peu, quelles que fussent
la race, la religion ou l'idéologie de la personne. De Budapest
à Stalingrad, tout ne fut que ruines et désolation sans
fin. Combien de juifs sont morts épuisés de faim et de maladie
sur les chantiers des routes stratégiques de l'Ukraine et de la
Biélorussie? Combien encore tombèrent anonymes sous les
balles de la soldatesque à l'orée d'un bois, au bord d'un
champ, brûlés dans leur maison? N'est-ce pas suffisamment
horrible pour qu'il faille en rajouter!
Cette guerre, en faisant sauter tous les verrous institutionnels établis
par les Etats-nations, permit à toutes les rancoeurs accumulées
depuis 1920 de s'exprimer sous le contrôle et au profit de l'impérialisme
allemand ou russe. Lutte animée d'une haine inextinguible et archaique
entre les Germains et les Slaves, qui n'épargna ni les personnes
ni les plus belles créations humaines; lutte messianique entre
deux théologies modernes qui font perdre au présent toute
valeur au profit d'un futur et lointain âge d'or (Reich millénaire
ou accomplissement idéal du communisme). Nos parents furent les
acteurs, les complices ou les spectateurs passifs et apeurés du
plus grand carnage et du plus grand charnier que l'Europe ait jamais connus.
La modernité idéologique ancrée sur des haines traditionnelles
et les innovations techniques de cette guerre mondiale s'est jouée
à l'Est, et les juifs en furent les victimes au même titre
que les Polonais, les Russes, les Ukrainiens, les Serbes, les Grecs...
et les Allemands. Oui, les Allemands payèrent aussi leur tribut
à cette hécatombe qui coûta pour les seuls fronts
européens quelque trente-six millions de morts dont la plupart
furent des civils décimés par la faim, les représailles
et le travail esclave du système concentrationnaire. La conscience
vacille devant cette folie meurtrière. Comment cela a-t-il été
possible?
Une fois la paix revenue, et dans l'illusion d'une quiétude retrouvée
(seule l'Europe l'a retrouvée), on a forgé des réponses
simples, facilement acceptables par des hommes harassés de souffrances
et de privations; des réponses fondées sur une causalité
mécaniste qui accablait les Allemands de toutes les responsabilités
dans l'origine de la guerre (vingt-cinq ans auparavant on fit de même
à l'issue de la guerre de 14-18). Est-il possible qu'un phénomène
aussi complexe que la Seconde Guerre mondiale puisse se réduire
à une seule cause, les Allemands, et plus particulièrement
à celle du groupe des dirigeants nazis dont on affirme qu'ils furent
des fous? Mais qui donc permit aux Allemands, sans intervenir, d'acquérir
cette puissance dévastatrice? Qui donc encore s'est satisfait de
voir les nazis mettre à mal la puissance du parti communiste allemand?
Qui laissa les troupes hitlériennes expérimenter leurs tactiques
et leurs armements sur les villes espagnoles? Qui abandonna la Tchécoslovaquie
à son triste sort, trop content d'avoir sauvé par une lâcheté
le douillet confort De la paix à tout prix? Qui boycotta le commerce
allemand après 1933? Certes pas les juifs américains, si
j'en crois toujours N. Goldmann! Quel Etat démocratique, y compris
ceux où les juifs exerçaient un certain pouvoir, aurait
voulu prendre en charge cette masse de juifs miséreux d'Europe
orientale? Interrogeons les émigrés des années trente,
et demandons-leur comment legs traitait l'establishment juif français?
Les bonnes âmes de la L.I.C.R.A. ou du M.R.A.P. devraient écouter
les souvenirs de mon père, allies y découvriraient que le
racisme traverse aussi les communautés juives, comme aujourd'hui
l'exemple d'Israel le prouve clairement. Bref, je pourrais égrener
le chapelet des questions où apparaît la multiplicité
des responsabilités et des culpabilités, des fautes, des
erreurs fatales, des lâchetés confortables et surtout l'omnipotence
des intérêts des Etats, du capital et des idéologies
pour qui les masses humaines ne sont que des masses de manoeuvre et de
main d'oeuvre. J'eusse souhaité que MM. Poliakov et Wellers répondissent
à ces questions, et qu'ils délaissent un moment le judéo-centrisme
pour enquêter sur ces thèmes avec le même acharnement
qu'ils mettent à sur-accabler l'Allemagne...
Certains de mes bons amis m'accuseront à croup sûr de vouloir
réhabiliter le nazisme. J'avoue que leur accusation me fait sourire
lorsqu'elle est le fait d'adorateurs d'Israel et des Etats-Unis, ou d'anciens
adeptes de la religion stalinienne. Lorsque je suis honni par d'anciens
pieds-noirs qui applaudissaient nos paras quand "ils cassaient du
Bougnoule", je n'ai pas le sentiment de commettre une erreur de jugement.
En revanche, l'accusation me fait moins sourire lorsque je sais qu'elle
participe d'une entreprise plus ou moins consciente qui vise à
occulter une réflexion sur la nature du nazisme dans ses relations
avec l'idéologie univoque et massive des media, et la nature de
l'Etat national, ainsi que sur sa vitalité qui déborde largement
la défaite allemande pour s'inscrire, sous d'autres apparences,
au coeur de nos sociétés.
Ceux qui reportent sur l'Allemagne nazie toutes les causes de la guerre
ne font que reconstruire, une fois encore, la pseudo-théorie du
"bouc émissaire" généralisé en inversant
les termes qui qualifient les juifs. L'Allemagne devient ainsi l'élément
inverse et symétrique du peuple juif, l'exceptionnalité
du destin génocidaire des juifs exigeant le destin exceptionnel
d'un bourreau qui achève en soi-même tous les antisémitismes
et leurs cortèges de pogroms mineurs. On aura donc réussi
à résumer un long moment d'histoire moderne avec la simplicité
d'arguments "clairs" et convaincants pour les ignorants et les
amnésiques; quant aux imposteurs, aux idéologues et à
leurs maîtres, chacun y trouvera son compte. Cela rassurera les
timorés, consolera ceux qui éprouvent encore une vague culpabilité
et des bribes de doute et sanctifiera les actes des baroudeurs. Il ne
restera plus qu'à organiser cette croyance, dont on actualisera
épisodiquement les dogmes en de vastes rassemblements où
les hommes répéteront, comme des litanies, les mêmes
idées reçues. On aura construit l'image d'Epinal de la guerre
et de la déportation: une esquisse, certes grossière, mais
suffisamment colorée et explicite pour créer les émotions
instantanées qui déchaînent les haines vengeresses.
C'est un phénomène humain bien connu que les hommes préfèrent
les assurances de la croyance aux explications complexes, fluctuantes
et incertaines; pourtant, concernant les événements qui
composent la Seconde guerre mondiale, on ne peut se satisfaire de simplifications,
d'idées reçues ou de slogans publicitaires; ils concernent
trop notre vie actuelle pour qu'on puisse laisser les idéologues
propagandistes déblatérer leurs fadaises soporifiques.
Il faut en finir avec les sornettes et les actes de foi, laissons cela
aux fans des chanteurs pop. Pour se convaincre des dangers qui menacent
la pensée critique contemporaine, il suffit de se reporter aux
attendus d'un jugement condamnant Faurisson: on y lira ces phrases qui
feraient frémir de rage bien des "maîtres penseurs"
qui, contrairement à ce que certains prétendent, savaient
encore penser: "Attendu que, s'il est admissible que l'historien
spécialiste d'une époque largement révolue peut,
en toute impunité juridique, manier, voire solliciter textes et
documents et contribuer ainsi, par un exercice de virtuosité historique,
au renversement de statues ou à l'éradication de thèses
ou croyances séculaires, un tel " jeu intellectuel" ne
saurait se concevoir chez l'historien qui choisit de porter ses recherches
et ses réflexions sur une période récente de l'Histoire
douloureuse et tragique des hommes, sur une époque dont les témoins
encore vivants et meurtris méritent égards et considérations."
Si j'ai bien compris la leçon, nous avons l'autorisation de nous
amuser à renverser sans vergogne les idoles du Moyen Age en nous
livrant à des "jeux intellectuels", à des pirouettes
puisqu'elles ne concernent plus une période tragique et que les
témoins ne sont plus là pour nous rappeler à un devoir
de réserve. Que nos interprétations soient vraies, fausses
ou approximatives, nous pouvons nous permettre de jongler avec le massacre
des templiers, des cathares et peut-être celui des juifs...; leurs
histoires respectives ne sont plus douloureuses. J'en prends acte, en
espérant, toutefois, que les médiévistes répondront
un jour à cette conception de l'histoire à laquelle ils
consacrent leur vie! En revanche, attention à nos discours sur
l'actualité, laissons nos contemporains se nourrir de mythes et
d'idées toutes préparées par les idéologues
officiels qui, eux, ne sont pas tenus au devoir de décence laissons-les
adorer les idoles du pouvoir et des media, sans cela ils en éprouveraient
grand-peine et profonde tristesse. Entonnons les airs triomphants des
vérités éternelles sans quoi nous manquerions d'égards
et de respect envers leurs souffrances! Surprenante pédagogie,
qui devrait nous conduire à taire les atrocités de la guerre
d'Algérie sous prétexte que des révélations
et des interprétations pourraient blesser la susceptibilité
de nos anciens soldats. Dans le même esprit, je propose de condamner
Soljénitsyne parce qu'il manque d'égard vis-à-vis
des premiers déportés communistes, des mencheviks ou des
socialistes-révolutionnaires qu'il accuse de collusion idéologique
avec leur bourreau! Que doit-on ajouter à cet appel à la
démission de la pensée? Il nous engage à nous laisser
bercer par des ombres inoffensives dont nous apercevons les mouvements
du fond de notre douillette caverne, où la chaleur et la douceur
du confort nous protègent de l'angoisse du doute.
Ainsi, lorsque les débats du procès portèrent sur
l'ampleur généralisée des massacres, les avocats
de l'accusation tentèrent de mithridatiser le débat, assimilant
toute position non sioniste à une proclamation antisémite.
Le péché de Faurisson: c'est qu'il ose parler du "sionisme
international" que le racisme des avocats renvoie à Vidée
d'un complot juif! Que l'on fasse procès à Luc Rozenzweig
et au Monde pour le "chapeau" de son interview de N. Goldmann
(Le Monde, 5 juillet 1981). J'y lis avec surprise la phrase suivante:
"Grand défenseur de l'idéal sioniste, N. Goldmann a
joué pendant soixante ans, un rôle de premier plan dans la
politique juive internationale sans occuper aucune fonction officielle
dans un gouvernement."
Cela se passe de commentaires! Je n'en suis pas choqué, simplement
je constate une fois encore que le système des deux poids, deux
mesures fonctionne parfaitement bien. Car, avant 1918, en l'absence d'Etat,
le sionisme possédait bien une politique internationale, et des
instances supranationales. Pourquoi ne pas dire les choses telles qu'elles
sont, au lieu de chercher les faux-semblants. Tout cela ne traduirait
que le ridicule de nouveaux riches si, derrière, ne se profilait
le désir inconscient d'un nouvel antisémitisme, peut-être
justificateur des arrière-pensées sionistes, mais potentiellement
tout aussi meurtrier que les précédents sans que nous puissions
encore deviner son futur visage.
Je trouve tout simplement scandaleux et immoral que tout intérêt
pour la politique israélienne ou celle du sionisme international
ne doive exprimer que des opinions laudatives. Je ne connais que les Etats
totalitaires pour contraindre leurs citoyens, leurs alliés ou leurs
sympathisants à cette attitude. Juger de la politique israélienne,
ou de celle des organisations sionistes, se rapporte à un Etat
et à des institutions qui n'ont aucun caractère d'infaillibilité,
et ne sont habités d'aucune grâce inamissible. Mais juger
l'Etat et les organisations qui en soutiennent l'action n'implique point
un jugement global sur tous les individus qui prétendent appartenir
de près ou de loin à la judéité. Ceux qui
conçoivent le monde en assimilant antisionisme et antisémitisme
devraient être accusés de racisme, car, grâce à
cet habile télescopage conceptuel, ils espèrent faire de
tout juif, un sioniste et, de tout sioniste, un citoyen momentanément
expatrié d'Israel. Le racisme et la xénophobie de l'Etat-nation
consistent justement à transformer une solidarité culturelle,
voire religieuse, en une unité politique plus ou moins totalitaire.
L'Etat d'Israel et sa théorie politique, le sionisme, ne manquent
pas à cette loi en développant leur propre rhétorique
historique qui vise à protéger et à promouvoir leurs
points de vue.
A présent il appert que les idéologues sionistes cherchent
à clore l'histoire de l'univers concentrationnaire par un ensemble
de propositions simples, efficaces et possédant, de surcroît,
une valeur de révélation absolue qui en ferait une sorte
de religion de l'"holocauste", englobant le passé (les
pogroms et leur acmé: la déportation nazie), le présent
(la politique israélienne de conquête et le soutien que lui
apporte la Diaspora) et enfin le futur (l'achèvement du Grand Israel...).
L'offensive des zélateurs de cette religion vient à point
nommé, elle n'est pas le fruit du hasard, rien de fortuit dans
tous les aspects de cette agitation; elle s'exprime avec toute la force
des media au moment où se développe et s'affirme le "second
Israel", celui dont les gouvernements Begin expriment la nature politique.
Comment justifier auprès des citoyens d'Israel et des bailleurs
de fonds de la diaspora la fameuse théorie de l'"agression
préventive" chère aux sionistes et que M. Begin applique
avec un talent consommé par une longue pratique du terrorisme?
C'est très simple: par l'"holocauste"! Toutefois cela
me paraît un aspect superficiel des fonctions assurées par
la religion de l'"holocauste", qui recouvre un phénomène
idéologique et social plus profond mais aussi plus tragique pour
la survie d'Israel, Que j'admets car elle tient d'une réalité
politique et historique. Pour saisir l'enjeu de cette idéologie-religion
il me faut revenir sur quelques points essentiels pour comprendre la construction
d'un Etat-nation composé de populations disparates.
La différence entre les nations de l'Europe occidentale et les
nations d'Europe centrale et orientale repose sur un fait fondamental:
les Premières ont construit leur unité politique avant Que
soit réalisée l'unité culturelle et sociale des Populations
sur lesquelles elles exerçaient leur souveraineté, tandis
que les secondes furent contraintes à procéder de manière
inverse, en plaquant une unité politique octroyée sur des
populations aux cultures partiellement identiques mais à l'expérience
sociale et historique très diversifiée. Israel appartient
à cette seconde catégorie d'états, et c'est la raison
qui me conduit à l'assimiler aux Etats successeurs d'Europe centrale
et balkanique. Or tout Etat-nation confronté à cette hétérogénéité
de l'expérience historique de ses nouveaux citoyens doit nécessairement
créer les conditions favorables à l'émergence d'une
nouvelle conscience collective, où se trouve partagé le
sentiment d'un véritable "nous" politique. Ainsi, tant
qu'Israel était majoritairement peuplé d'askénazes
venus d'Europe centrale ou orientale, cette expérience commune
existait, plus ou moins marquée selon l'origine nationale et sociale
des émigrants. Toutes ces communautés européennes
véhiculaient un ensemble de traditions et de coutumes archaiques
ainsi qu'une expérience historique et tragique identiques. Plus
encore, la majorité des émigrants partageaient une langue
commune dans ses variables dialectales, le yiddish, sans compter le rôle
joué par l'allemand et le russe comme langues savantes. Or, depuis
les décolonisations française et anglaise, il se trouve
que de nombreuses communautés orientales furent contraintes d'émigrer
en Israel portant avec elles des traditions, des coutumes, des langues
et urne expérience historique sans aucun rapport avec le sionisme
et les émigrés européens. Beaucoup plus proches des
communautés arabes et de leurs valeurs sociales et ethniques, ces
juifs orientaux sont, à la différence des Askénazes,
contraints à demeurer en Israel tant est difficile ou même
impossible leur réinstallation dans les pays occidentaux. Installés
en Israel, leurs sentiments à l'égard des Arabes sont un
mélange de haine et de compréhension immédiate puisque
c'est avec eux qu'ils partagent les mêmes normes culinaires, familiales,
linguistiques... En revanche, ils ne partagent point avec leurs frères
occidentaux l'expérience concentrationnaire sur laquelle se fonde
la légitimité de l'Etat qui désormais leur sert de
patrie. A elle seule l'élection biblique du peuple juif est apparue
insuffisante parce qu'elle porte concurremment en elle les germes de ses
héritières monothéistes qui lui donnent une dimension
quasi universelle25. Et même si l'Etat hébreu utilise la
Parole du Livre pour légitimer son retour sur la terre de Judo,
sa volonté est contestée de l'intérieur par les juifs
orthodoxes qui se considèrent comme les Gardiens de la foi antique.
Il ne faut pas négliger le fait que le sionisme est aussi une idéologie
européenne nationale et socialisante (pour les seuls juifs), étrangère
aux traditions politiques; orientales toutes imprégnées
de féodalisme, de communautarisme religieux et de colonialisme.
Aussi le sionisme s'est-il nourri des idées et dies thèmes
nationaux qui se développaient parallèlement dans toute
l'Europe centrale. Déjà, pour justifier le retour à
la Terre promise, ses fondateurs avaient mis l'accent sur l'antisémitisme
des pays européens n'est-ce pas l'affaire Dreyfus qui servit de
catalyseur à la pensée de Herzl? , mais les pogroms n'avaient
pas encore cette dimension apocalyptique que la Seconde Guerre mondiale
et l'univers concentrationnaire offrirent aux idéologues. Car,
si l'on peut affirmer que les juifs sortirent vainqueurs de cette épreuve,
la plus tragique de leur histoire quelle victoire ne s'obtient pas dans
les larmes et dans le sang? , il faut ajouter qu'ils surent en tirer le
meilleur parti politique. Or donc, comment créer chez les juifs
orientaux épargnés par l'apocalypse guerrière, la
communauté idéologique qui les intégrera dans cette
histoire et cette victoire exceptionnelles? Comment unifier dans le creuset
d'une seule et même foi nationaliste l'héritier du bourgeois
viennois et le Yéménite à l'allure de pasteur biblique,
l'intellectuel parisien ou new-yorkais et l'habitant du mellah d'Afrique
du Nord, le Russe et l'Irakien, le Polonais et l'Iranien? Il y eut certes
les guerres avec les pays arabes et le sentiment de supériorité
que l'on y gagne facilement sur ses semblables, pourtant ces événements
ne sont point suffisants à créer une foi nationaliste fondatrice
même s'ils l'entretiennent. Pour ce faire, il faut construire les
imageries des épopées ou des tragédies historiques.
L'Etat-nation a toujours eu besoin de ces représentations simplifiées
de l'histoire pour agencer l'efficacité de ses mythes fondateurs
capables de jouer à son profit des émotions populaires et
collectives.
Seule une version religieuse ou mythique de la déportation et du
massacre des juifs, l'"holocauste", peut assumer ce rôle
parce qu'elle simplifie l'histoire et transforme les contradictions et
les conflits politiques, idéologiques et économiques fort
complexes en une saga manichéenne qui se résume à
l'éternelle lutte entre le Mal et le Bien, le "goy" et
le juif, l'Allemand et le juif, l'Arabe et le juif. La religion de l'"holocauste"
permet ainsi d'enclencher un procès de reconnotation de l'histoire
qui, assimilant l'Arabe au bourreau nazi et le bourreau nazi à
l'arche-antisémitisme, l'instaure comme théodicée
de l'Etat-nation et théophanie pour ses nouveaux citoyens. Grâce
à cette croyance, l'histoire se clôt, le passé, le
présent et le futur trouvent une seule et même explication
qui rétablit l'unité primitive des communautés juives
dispersées. L'Etat-nation aura réussi là où
la prophétie messianique a échoué!
Les idéologues de l'Etat hébreu ont donc trouvé dans
une réalité contemporaine --l'asservissement et le meurtre
collectif des juifs dans le système concentrationnaire-- le principe
fondateur d'une croyance, avec ses rites, ses lieux de culte (Mémorial
de la déportation à Jérusalem; pourquoi ne l'avoir
pas établi en Allemagne?), sa rhétorique et ses livres sacrés
dont personne, e ne peut mettre en doute les vérités transcendantales
qu'ils énoncent.
Et la faute impardonnable de Faurisson c'est d'avoir mis en doute les
canons de cette religion avec des propos certes provocateurs --mais ni
plus ni moins que ceux de ses accusateurs --qui ne sont exempts ni d'erreurs,
ni d'interprétations discutables. Or jamais Faurisson, encore moins
son présentateur (S. Thion) et ses éditeurs (La Vieille
Taupe) n'ont proclamé qu'il s'agissait là d'une autre vérité
tout aussi absolue que celle dont ils critiquent les présupposés.
Leur but était, au contraire, de provoquer urée débat
public, savant ou politique, débarrassé de sua gangue passionnelle.
Or, depuis qu'il y a une. "affaire" Faurisson, on assiste à
la mise en oeuvre de tous les moyens possibles pour étouffer la
controverse: la L.I.C.R.A. et le M.R.A.P. mobilisent leur pouvoir financier,
institutionnel et les media pour transformer toute discussion en un débat
théologique à l'issue duquel Faurisson doit sortir écrasé,
socialement brisé alla yeux d'une opinion publique qui préfère
ce réconfort momentané aux incertitudes des interprétations
historiques ou de l'actualité. Il faut: faire comprendre au bon
peuple que Faurisson n'est qu'un vulgaire antisémite qui utilise
certaines obscurités de l'histoire concentrationnaire pour diffamer
le peuple juif en appelant à la haine raciale. Et hop! le tour
est joué, on évite alors de bien gênantes questions...
J`ajouterai que, même si Faurisson était l'antisémite
que l'on présente à l'opinion publie que, il faudrait savoir
l'écouter sans haine ni préjugé, car tout discours
possède aussi sa part de vérité; c'est la raison
pour laquelle je lis des livres sionistes en dépit de mes idées.
Je n'oublierai jamais que la droite anticommuniste dénonça
violemment les camps de concentration soviétiques. A l'époque,
les staliniens en appelèrent aux arguments d'une croyance pour
convaincre leurs amis des mensonges de ces diaboliques impérialistes.
Or, il se révéla qu'elle avait raison. La vérité
et surtout la justice ne sont jamais ou presque jamais du côté
du pouvoir politique... Les juifs auraient dû retenir cette leçon
de l'histoire dont ils furent souvent les victimes... Mais, préférant
l'Etat-nation aux aléas d'un destin parfois exceptionnel, ils ont
choisi de se conformer au modèle politique dominant; dès
lors, il leur faudra bien un jour comprendre qu'ils ne peuvent échapper
à la règle commune, qu'ils doivent renoncer à l'Etat-dette,
à l'Etat juste et convenir que leur pays est bien le résultat
d'une victoire dans un rapport de forces international qui leur était
favorable. Ils auront alors compris que le Juste n'a point achevé
de proférer l'universalité de son message éthique
dans les crématoires nazis, mais à l'instant même
où, dans le ciel de Judée, s'élevait le drapeau frappé
de l'étoile de David. Un destin nouveau s'ébauchait, banal
et meurtrier, injuste et xénophobe; les sionistes étaient
entrés dans le concert des Etats-nations pour s'engager désormais
sur le chemin de l'intégration au monde...
***
Ainsi, pour toutes les raisons que j'ai énoncées - politiques
et morales - je ne peux accepter une quelconque appartenance à
des communautés qui accordent crédit aux principes étatiques
qui fondent l'Etat-nation ethnique ou religieux.
Les ayant refusés, tant dans mon propre pays qu'ailleurs, je ne
conçois point une réflexion et âme attitude plus indulgente
à l'égard des juifs qui s'y conforment. Un tel procédé
reviendrait à assumer des mensonges historiques et à promouvoir
une idéologie intolérable --car intolérante-- au
nom d'une prétendue solidarité ethnique et/ou culturelle
que je récuse en soi. Considérant, par ailleurs, les livres
de Faurisson comme l'essai, à la fois pertinent, erroné
et maladroit, d'une critique de l'historiographie sioniste ou judéo-centrique,
je soutiens qu'ils ne peuvent être à ce titre juridiquement
coupables, à moins que ces mêmes associations, qui l'accusent
de propager la haine raciale, ne déploient un acharnement identique
à combattre les ouvrages où la xénophobie sioniste
s'exerce à l'encontre des gentils, des Arabes et des Noirs. Dans
cette situation, le silence équivaudrait à une approbation,
aussi aide parlé, puis écrit pour ne point trahir mes principes.
Paris, octobre 1981.
Notes
11. "Revisiting zionism", Gershom Schocken,
et "Begin's Bitter Israël", Bernard Avishal, New York Review
of Books, n• 9, mai 1981 et n• 13, août 1981. Voir aussi
"Après les élections en Israël" de Amman
Kapeliouk, Le Monde diplomatique, août 1981.
12. J'entends "révisionnisme" au sens le plus large:
révisionnisme soviétique, chinois, de gauche, de droite,
du centre, etc.
13. Quant à l'autre histoire, la philosophie de l'histoire, ni
Faurisson, ni ses accusateurs n'en abordent les rivages...
14. A cet égard, il faut souligner une anomalie bien surprenante,
mais les interprétations de la Seconde guerre mondiale ne manquent
pas de ce genre de surprises. Seule l'Allemagne fédérale
fut contrainte de payer cette dette-réparation. Jamais il ne fut
question de faire payer l'Allemagne de l'Est. Est-ce l'effet bénéfique
de son régime qui dispensa ce pays de ce sacrifice ? Est-ce le
fait de reconnaître la "protection" donnée aux
Juifs par le grand frère soviétique ? Est-ce enfin l'absence
de nazis parmi les habitants de la république démocratique
? Je laisse la réponse aux lecteurs, selon leurs idées,
leurs préférences ou leurs opinions politiques. Tout compte
fait, c'est encore une question d'histoire ! voir notre article Goldmann]
15. Cette pétition constitue un scandale pour la pensée.
Comment ces brillants esprits osent-ils prétendre que l'interprétation
historique du génocide ressortit à une vérité
intangible qui ne saurait jamais être remise en question. Lorsqu'on
sait que certains d'entre eux nous servaient voici trente ans la messe
stalino-thorézienne, je me surprends à sourire devant l'amnésie
des clercs...
16. Cette critique vaut pour toute version officielle, quel que soit l'Etat
ou le groupe nationaliste qui les promeut.
17. Pourquoi a-t-il fallu attendre plus de douze ans pour projeter sur
les écrans de télévision Le Chagrin et ta Pitié?..
18. Op. cit. Je recommande la lecture de ce livre, certaines des informations
qu'il nous livre sur la collusion entre les pires aspects de l'impérialisme
américain et Israel sont de précieux arguments pour nous
suggérer le rôle symbolique assumé par la version
officielle du génocide.
19. "Israel to Halt Aid to Non-Settling Soviet Emigrants", 24
août 1981: "Israeli Immigration authorities bave decided to
stop criding Soviet Jewish emigrants who do not came to Israel..."
M. Rodinson nomme ce mouvement inverse, qui inquiète tant les autorités
israéliennes: "le vote avec les pieds".
20. Cf. Jacques de LAUNAY, Les Derniers Jours du fascisme en Europe, Paris,
1977, p. 310.
21. Sur le travail des enfants arabes dans les Kibboutz. Cf. l'article
de Ian Black, " Peace or no Peace, Israel Will Still Need Cheap Arab
Labour" New Statesman, 28 septembre 1978. Lire in N. Chomsky, E.S.
Herman, op. cit., p. 385, note 57.
22. Les bonnes âmes ne reprochent-elles point aux nazis d'avoir,
à la fin du conflit, envoyé les adolescents puis les enfants
allemands aux combats et donc à la mort...
23. Il faudrait alors donner raison aussi aux accusations portées
contre Slansky et Rajk.
24. Ethnocide des Ukrainiens en U.R.S.S., préface d'Alain Besançon,
Paris, 1978.
25. Cette dimension universaliste a une résonance politique dans
le problème posé par le statut de Jérusalem...
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