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Lettre aux Préfet
de la région Nord, Jean-Michel Bérard, au Président
de la Cour de cassation, et au Président de la CEDH de Strasbourg,
relative à l'affaire du maire de la commune de Séclin (département
du Nord), Jean-Claude Willem, condamné par la justice française
et par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg,
pour avoir appelé au boycott des produits alimentaires israéliens
importés en France.
Annexe 1 : interview par Silvia Cattori, pour
le Réseau Voltaire ; (organe du FSB, http://www.voltairenet.org/fr)
du maire de Séclin.
Annexe 2 : arrêt de la CEDH
Michel DAKAR
Paris, le 5 août 2009
A l’attention de Messieurs :
Le Préfet de la région Nord, Jean-Michel
Bérard,
Le Président de la Cour de cassation
Le Président de la CEDH de Strasbourg
Objet : la condamnation de l’ancien maire
de Séclin (département du Nord), pour son appel au boycott
des produits israéliens.
Messieurs,
L’ancien maire de Séclin, M. Jean-Claude Willem, a été
condamné pour son appel au boycott des produits israéliens
alimentaires disponibles en France, cela sous les prétextes de
discrimination sur une base nationale et de manquement à la neutralité
en tant qu’élu, en ce qui concerne la justice française,
la CEDH y ajoutant le prétexte de se faire justice soi-même
en décidant d’un boycott en lieu et place des autorités
gouvernementales.
La procédure menée contre M. Willem a été
décidée par deux particuliers, à qui donc a été
reconnue, tant par la hiérarchie judiciaire française que
par celle du Conseil de l’Europe issue de 47 états, l’insigne
qualité de pouvoir parler et agir au nom d’un état,
celui d’Israël. Ces deux plénipotentiaires sont M. Jean-Claude
Komar, qui préside une association cultuelle israélite départementale,
et M. Guy Bensoussan, dont les activités ne sont pas connues. De
plus, la qualité de partie civile de ces deux personnages importants
a été reconnue valable par la justice française,
qui a donc considéré qu’ils ont subi personnellement
un préjudice matériel ou moral, du fait de cet appel au
boycott, rendant possible leur indemnisation par M. Willem.
Le Préfet de la région Nord, M. Jean-Michel Bérard,
a considéré comme légitime de refuser de remettre
une décoration honorifique à M. Willem, pour ses trente
années passées comme maire de Séclin, en raison de
cette condamnation. La promotion d’officier des palmes académiques
lui a été refusée par le ministère de l’éducation,
pour la même raison.
Messieurs, vous avez participé, pour des
motifs dérisoires et triviaux, sans doute d’avancement dans
votre carrière personnelle, à l’inversion des deux
valeurs les plus fondamentales qui cimentent toute société,
le crime devenant la vertu et la vertu le crime.
Vous avez tout simplement œuvré à la dislocation de
la société, à la disparition de la civilisation.
M. Willem, lui, est un exemple pour tous. Le vôtre est l’exemple
caricatural, grotesque, pitoyable de ce qu’il ne faut pas être,
de ce qu’il faut combattre, de ce qui doit être regardé
avec dégoût.
Mais plus grave encore si c’était possible dans votre cas,
par votre action, vous forcez la population non seulement à accepter
le crime, mais à en être complice, à y participer,
à y collaborer, autrement dit, vous demandez à la population
française de devenir à son tour criminelle, de suivre votre
chemin.
Je vous le dis tout net, vous n’y parviendrez pas, et vous trouverez
sur votre route de plus en plus d’honnêtes gens pour s’y
opposer, et cela, jusqu’à ce que justice soit faite, jusqu’à
ce que le crime et la vertu retrouvent leur place naturelle dans la hiérarchie
des valeurs.
Il ne saurait être question, pour clore cette lettre, d’une
formule de politesse, la politesse étant selon le Littré,
la culture intellectuelle et morale d’une société,
société que vous vous employez à détruire,
comme donc la politesse.
M. DAKAR
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Annexe 1 : Entretien avec Jean-Claude Willem
Le boycott des produits israéliens est-il légal ?
par Silvia Cattori*
Jean-Claude Willem, 75 ans, raconte dans cet entretien
comment, alors qu’il était maire (PCF) de Seclin, une bourgade
française de 12 000 habitants, il a été emporté
par une tornade judiciaire de sept ans et condamné à 1 000
euros d’amende pour avoir déclaré son intention d’écarter
des cantines de l’école communale les jus de fruit provenant
des colonies illégales israéliennes. En définitive,
son recours vient d’être rejeté par la Cour européenne
des droits de l’Homme de Strasbourg (CEDH).
Tout en reconnaissant l’intention légitime de Jean-Claude
Willem de lutter contre l’apartheid, la Justice française
a considéré qu’en l’espèce, un boycott
des produits de l’apartheid israélien revenait à une
discrimination économique contre les producteurs de nationalité
israélienne. De ce fait, elle l’a condamné à
la fois comme un citoyen appelant à la discrimination sur une base
nationale et comme un élu manquant à la neutralité
de sa charge.
Franchissant un pas supplémentaire, la
Cour européenne lui a reproché de faire justice lui-même
en décidant d’un boycottage en lieu et place des autorités
gouvernementales.
Alors que les partisans de l’apartheid font
pression pour que la loi française assimile l’anti-sionisme
à de l’antisémitisme, la Cour européenne vient
de l’assimiler à une haine des Israéliens dans un
arrêt tiré par les cheveux.
Toutefois, la Cour a reconnu la supériorité de la liberté
d’expression sur la prohibition du boycott. Elle a elle-même
indiqué que l’appel au boycottage des produits de l’apartheid
reste légal lorsqu’il prend place dans une « libre
discussion sur un sujet d’intérêt général
».
Silvia Cattori : Voudriez-vous résumer
brièvement ce qui s’est passé depuis ce jour où,
vous aviez annoncé, au cours d’une réunion du conseil
municipal de la commune de Seclin, votre intention de boycotter les produits
israéliens provenant de ces colonies juives qui exploitent des
terres appartenant au peuple palestinien ?
Jean-Claude Willem : Cela a commencé en
octobre 2002. J’étais alors maire de Seclin. Un soir j’ai
eu une réaction de colère quand j’ai vu à la
télévision les troupes israéliennes intervenir à
Naplouse, (une grande ville au nord de la Palestine) en violentant aussi
bien les habitants que leurs habitations. Ce même soir, nous avions
une réunion du Conseil municipal ; nous discutions des mesures
à prendre par rapport à la crise de la vache folle en Grande
Bretagne. À l’issue de la discussion où nous avions
décidé de maintenir le refus gouvernemental de laisser la
viande anglaise arriver en France, dans le cadre de cette mesure de boycott,
j’ai ajouté, en réaction aux violences israéliennes
contre le peuple palestinien, que j’avais décidé que
la cuisine municipale de Seclin n’achèterait plus de produits
provenant d’Israël, notamment les jus de fruits, que l’on
savait provenir des colonies implantées sur des terres palestiniennes.
Que c’était là une manière de protester par
le boycott contre ces violences meurtrières, comme on l’avait
fait en d’autres circonstances.
Suite à cela, il y a eu beaucoup de réactions
positives ou négatives sur le site de la mairie. Alerté
par l’association « Action Cultuelle Israélite du Nord
» [1], le procureur a décidé de me poursuivre.
J’ai comparu en mars 2003 devant le tribunal correctionnel qui,
huit jours après, me relaxait en disant qu’il n’y avait
pas de délit constitué dans l’intention de boycottage
exprimée, que cela relevait de ma liberté d’expression.
Dans les quelques heures qui ont suivi, le ministre de la Justice, Dominique
Perben, a ordonné au Parquet de faire appel. En juin 2003 j’ai
comparu devant la Cour d’appel, qui en septembre 2003 m’a
condamné à mille euros d’amende. Et, en septembre
2004, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté mon
pourvoi [2]. J’ai alors saisi la Cour européenne pour violation
de la liberté d’expression. Cette dernière m’a
débouté le 16 juillet 2009.
Silvia Cattori : L’arrêt de la CEDH
vous a-t-il surpris ? [3]
Jean-Claude Willem : Non, car je ne me faisais
pas d’illusions. Vous savez, l’Union européenne est
complice d’Israël ; même après l’agression
israélienne contre Gaza (de décembre 2008 et janvier 2009),
la position de l’UE n’a pas changé, elle n’a
toujours pas condamné Israël. Tout pouvait nous laisser pressentir
que la Cour européenne n’allait pas déjuger les 27
pays de l’Union européenne [4]. Sur les sept juges, seul
le juge tchèque, Karel Jungwiert, m’a soutenu. Il a estimé
que les déclarations incriminées reflétaient l’expression
d’une « opinion ou d’une position politique d’un
élu sur une question d’actualité internationale ».
Silvia Cattori : La Cour européenne ne
vous a-t-elle pas condamné, non pas en tant que citoyen mais en
tant qu’élu local dont la fonction impose de « conserver
une certaine neutralité » ? Ai-je bien compris ?
Jean-Claude Willem : Le maire que j’étais
a été poursuivi ; mais également le citoyen. Dans
l’argument donné en réponse à la Cour européenne
par rapport à mon recours, le gouvernement français a affirmé
que ma liberté d’expression comme citoyen et ma liberté
complémentaire d’expression comme élu, n’étaient
pas mises en cause. La Cour européenne a repris ces arguments à
son compte pour me débouter. Elle m’a condamné aussi
bien comme élu que comme citoyen.
Silvia Cattori : Il ne s’agirait donc pas
uniquement d’interdire la pratique du boycottage dans le cadre d’une
collectivité publique mais d’un jugement qui interdirait,
de façon générale, d’appeler au boycott de
produits israéliens ?
Jean-Claude Willem : C’est en cela que la
décision de la Cour européenne est choquante. C’est
un vrai scandale qu’elle se prononce contre la liberté d’expression
non seulement d’un ressortissant de l’Union européenne
mais d’un élu du peuple d’un pays membre de l’Europe.
Je tiens à souligner qu’en ce qui me concerne je ne suis
en contravention ni avec la loi française ni avec la loi de l’Union
européenne ; puisque l’Union elle-même s’oppose
à l’importation de fruits, de légumes, de matériaux,
venant des colonies [5]. Si l’Union européenne respectait
ses propres décisions, elle arrêterait immédiatement
le commerce avec Israël. Mais rien n’est fait.
Il convient ici de rappeler que, quand cette affaire a été
portée devant les tribunaux, je n’avais fait qu’exprimer
l’intention de boycotter des produits en provenance de colonies
illégales contraires aux droits internationaux ; c’est-à-dire,
de cultures effectuées par les colons israéliens en terre
palestinienne.
Silvia Cattori : Ce jugement de la Cour européenne
est donc, selon vous, un jugement politique ?
Jean-Claude Willem : Oui. C’est une condamnation
politique car elle ne vise pas uniquement ma personne mais tous ceux qui
pourraient annoncer leur intention de boycotter Israël. C’est
une confirmation d’une atteinte à la liberté d’expression,
à la liberté tout court.
Il s’agit d’un jugement politique. Car ce n’est pas
moi seul qui suis visé ici. Je suis celui par qui la sentence se
justifie ; mais derrière tout cela on annonce à tous les
Français, et par extension à tous les citoyens de l’Union,
que s’ils veulent condamner Israël pour ses violations, ils
auront des problèmes.
Silvia Cattori : C’est le monde à
l’envers ! On punit le citoyen qui n’accepte pas l’impunité
dans laquelle l’État colonial d’Israël est laissé
! Le fait qu’aucun média européen n’a commenté
ce verdict surprenant, si lourd de conséquence pour la liberté
d’expression, vous a-t-il choqué ?
Jean-Claude Willem : Oui bien sûr. Mais
vous savez, même le quotidien communiste L’Humanité
n’en a pas parlé, alors que j’appartiens au Parti communiste.
Depuis 2002, jamais L’Humanité n’a parlé de
cette affaire ! Je leur ai du reste écrit pour leur signifier mon
étonnement !
Silvia Cattori : L’argument des tribunaux
français, validé par la Cour européenne, est qu’un
élu ne peut se substituer aux autorités gouvernementales
pour déclarer le boycott d’un État. Ce point de vue
peut-il justifier le jugement de la Cour selon lequel votre liberté
d’expression n’a pas été violée ?
Jean-Claude Willem : Non cela ne le justifie pas.
Premièrement, il est vrai que par mon appel au boycottage j’engageais
la collectivité ; mais il n’y a eu aucune désapprobation
de la part des habitants de Seclin. Au contraire, en leur majorité
ils m’ont approuvé.
Deuxièmement, un maire est une figure politique. Dans une ville
industrielle comme Seclin, le maire occupe une place politique importante.
J’étais aussi vice-président de la communauté
urbaine de Lille. De ce fait, j’étais amené à
prendre des positions politiques.
D’autres en ont fait autant. Ils ont pris avec moi des décisions
qui ne sont peut-être pas conformes à la loi telle que conçue
aujourd’hui. Peu avant cette affaire du boycottage, j’avais
comparu devant le tribunal correctionnel avec quatre autre maires du Nord
Pas-de-Calais parce que nous refusions de faire des appels d’offre
pour les séjours de vacances des enfants. Nous estimions que l’on
ne pouvait pas organiser un séjour de vacances pour enfants comme
on le fait lorsque l’on met en concurrence des travaux, et que,
dans ce cas, il ne devait pas y avoir d’appels d’offres. Nous
avions alors été relaxés. Cet exemple montre que
l’on peut ne pas respecter intégralement la loi quand on
a le bons sens et la justice avec soi.
Silvia Cattori : Le jugement de la Cour européenne
contribue à protéger Israël de ce qu’il redoute
le plus : un boycottage selon le modèle appliqué en d’autres
temps à l’Afrique du Sud. En préconisant le boycottage
contre un État qui se considère au dessus des lois —ceci
malheureusement avec la complicité de nos démocraties—
vous avez agi honorablement ! Mais une question se pose : n’avez-vous
pas sous-estimé la force écrasante de l’adversaire
?
Jean-Claude Willem : Je ne le pense pas, d’abord
parce que je ne me considère pas comme battu. Vous savez, ma prise
de position a été largement soutenue, pas seulement en France
[6], mais dans le monde. Et j’ai reçu beaucoup de soutiens
lors de ma première condamnation en appel [7]. De partout, je reçois
de nombreux messages de gens qui se mobilisent en faveur de la justice
en Palestine. Peut-être que ce qui était alors mon statut
de maire a contribué à ce qu’il y ait autant de réactions.
Cela dit, je ne cesse de répéter que cette position de la
Cour européenne ne va pas me faire abandonner le combat que j’ai
engagé. Il y a de plus en plus de gens autour de moi pour le poursuivre.
Silvia Cattori : Le but des pro-Israéliens
qui vous ont poursuivi n’était-il pas d’adresser un
avertissement à toute collectivité locale qui serait tentée
de suivre votre exemple ? Et de vous faire payer cher cette intention
de boycott que vous aviez exprimée ?
Jean-Claude Willem : Oui bien sûr. Je suis,
depuis quatorze ans, chevalier des palmes académiques ; c’est
une décoration qui est donnée aux gens qui interviennent
dans le domaine de l’enfance et de l’éducation. Normalement
j’aurais dû passer officier. Quand un inspecteur de l’académie
m’a proposé à ce grade, cela a été refusé
par le Ministère parce que j’avais été condamné
dans cette affaire de boycott. Plus que cela encore : normalement, au
bout de 30 ans d’activité comme élu, un élu
a droit à une médaille d’honneur départementale
et régionale. En avril dernier, le préfet a refusé
que cette médaille me soit remise parce que j’avais un casier
judiciaire. Cela n’en finit pas.
Ce jugement affirme que, par ce geste de boycott là, le maire que
j’étais portait atteinte à l’activité
commerciale des agriculteurs israéliens. Ce qui justifiait surtout
ma position envers Israël c’est que, notamment les fruits et
les légumes, proviennent des colonies implantées illégalement
sur les terres des Palestiniens. Et qui, de par la loi de l’Union
européenne, sont interdites dans les États de l’Union.
Ce qui ressort clairement est que tout est fait pour éviter de
toucher au fond du problème : à la question politique. Donc
tout va dans le sens de la défense de l’activité commerciale
d’Israël.
Silvia Cattori : Ce préfet avait-il un
parti pris pro-israélien ?
Jean-Claude Willem : Oui. Ce préfet est
réputé pour être un proche de Nicolas Sarkozy. Lorsque
le maire actuel de Seclin a annoncé qu’il ne pouvait pas
me remettre la médaille parce que le préfet s’y opposait,
tout le personnel présent, 300 agents communaux, m’a ovationné.
Cela vaut plus que la médaille que le préfet m’a refusée.
Silvia Cattori : Ce jugement, ne va sans doute
pas dissuader les gens, révoltés par les crimes de l’État
israélien, de s’engager individuellement dans des actions
de boycottage. Mais ne va-t-il pas dissuader les élus, qui se sont
jusqu’à présent défilés, de répondre
efficacement à l’appel « Boycott Désinvestissement
Sanctions » lancé par la société civile palestinienne
dès 2004 [8] ?
Jean-Claude Willem : Je crois que je suis le premier
élu à être condamné. Cela dit, il y a beaucoup
de gens qui pratiquent le boycott ; qui, au moment d’acheter un
produit, en regardent la provenance et ne l’achètent pas
quand il vient d’Israël.
Silvia Cattori : Vous avez, par votre geste courageux,
placé les autorités de l’Union européenne en
face de leurs responsabilités. Compte tenu du jugement de la Cour
européenne, pourquoi n’appelleriez-vous pas les élus
locaux, à faire voter des motions par leurs conseils municipaux
pour engager leurs administrés à pratiquer le boycottage
et à intervenir au nom de cette liberté d’expression
que vous souhaitiez fondamentalement exercer ?
Jean-Claude Willem : Maintenant, ce sont plutôt
les associations engagées en faveur de la paix et la justice au
Proche-Orient qui pourraient le faire. Moi-même je n’ai plus
de pouvoir.
Il y a des Conseils municipaux qui ont pris des positions claires sur
l’injustice qui frappe les Palestiniens. Qui ont réclamé
que les sanctions prévues par la loi soient prises par l’UE
vis-à-vis d’Israël. Il y a régulièrement
des élus qui vont en Palestine exprimer leur soutien aux Palestiniens.
Je vous l’ai déjà dit : il faut quelquefois savoir
ne pas respecter la loi quand elle est contraire à notre morale
; quand elle s’oppose à nos idéaux de justice et de
fraternité.
D’autant qu’il n’y a pas de quoi être optimiste.
Depuis l’arrivée de Sarkozy les choses n’ont fait qu’empirer.
La France ne va pas dans le bon sens.
Silvia Cattori : Nous vous remercions.
Documents joints « Affaire Willem contre
France », arrêt de la Cour européenne, 16 juillet 2009.
(Word - 291.5 ko)
Silvia Cattori
Journaliste suisse
[1] L’« Association cultuelle israélite
» est une association présente dans de nombreuses villes
et régions de France. C’est le président de l’
« Association cultuelle israélite du Nord », M. Jean-Claude
Komar qui, avec un particulier, M. Guy Bensoussan, a porté plainte
contre Jean-Claude Willem pour son appel au boycottage contre la politique
illégale d’Israël. Mais c’est le parquet de Lille
qui a pris l’initiative des poursuites, MM. Bensoussan et Komar
se portant parties civiles.
[2] Dans son arrêt du 28 septembre 2004, la Cour de cassation considère
que M. Willem : « en annonçant son intention de demander
aux services de restauration de la commune de ne plus acheter de produits
en provenance de l’État d’Israël, a incité
ceux-ci à tenir compte de l’origine de ces produits et, par
suite, à entraver l’exercice de l’activité économique
des producteurs israéliens, cet appel au boycott étant fait
en raison de leur appartenance à la nation israélienne ».
Voir : le texte complet de cet arrêt
[3] Voir également une bonne chronologie et analyse de l’affaire
sur le blob Combatsdroitshomme.
[4] La Cour européenne n’est pas un organe de l’Union
européenne (les 27), mais du Conseil de l’Europe (les 47).
Cependant, elle n’est jamais entrée en conflit avec l’Union
européenne avec laquelle elle a des origines communes.
[5] Voir l’analyse très documentée de Me Gilles Devers.
Il relève, au sujet de l’activité des entreprises
installées dans les territoires occupés :
« Lisons l’article 55 de la 4° Convention de La Haye concernant
les lois et coutumes de la guerre : « L’État occupant
ne se considèrera que comme administrateur et usufruitier des édifices
publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant
à l’Etat ennemi et se trouvant dans le pays occupé.
Il devra sauvegarder le fond de ces propriétés et les administrer
conformément aux règles de l’usufruit ». Et
je rappelle la résolution 446 du 22 mars 1979 du Conseil de Sécurité
: « La politique et les pratiques israéliennes consistant
à établir des colonies de peuplement dans les territoires
palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n’ont
aucune validité en droit et font gravement obstacle à l’instauration
d’une paix générale, juste et durable au Moyen-Orient.
»
Là, il ne s’agit pas d’organiser des mesures discriminatoires,
mais d’appliquer les bases du droit de la guerre, quant aux obligations
de l’occupant.
Le but ? Impossible de poursuivre des objectifs illégaux, tels
la construction du tramway qui détruirait l’avenir de Jérusalem-Est
ou des ventes d’armes qui seraient utilisées en violation
du droit international. Veolia et Alsthom ont dû renoncer au marché
sur le tramway, et d’importantes commandes britanniques d’armes
viennent d’être annulées.
Les conditions de réalisation ? C’est toute la question des
implantations industrielles dans les territoires occupées. La puissance
occupante ne peut tirer profit depuis les terres placées sous son
contrôle. Un marché conclu entre une entreprise relevant
de l’un des 47 pays du Conseil de l’Europe avec une entreprise
dont l’un des ateliers est installé dans les territoires
occupés peut être attaqué en nullité, pour
violation des conventions de Genève. Et là, la CEDH ne pourrait
qu’encourager des Maires qui œuvrent pour une meilleure application
du droit. »
[6] En ce qui concerne l’arrêt de la CEDH, voir notamment
le communiqué de soutien de l’AFPS à Jean-Claude Willem
publié le 19 juillet 2009.
[7] Voir par exemple :
« Le maire de Seclin condamné pour le boycott de produits
israéliens », AFPS Nord Pas de Calais, 19 septembre 2003.
« Un verdict particulièrement inique », par Silvia
Cattori, silviacattori.net, 15 septembre 2003.
[8] Voir : « Appel de la Société Civile Palestinienne
au Boycott, aux Sanctions et aux Retraits des Investissements contre Israël
jusqu’à ce qu’il applique le Droit International et
les Principes Universels des Droits de l’Homme », 9 juillet
2005.
Annexe 2 :
Arrêt de la CEDH
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE WILLEM c. FRANCE
(Requête no 10883/05)
ARRÊT
STRASBOURG
16 juillet 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans
les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Willem c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section),
siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil
le 16 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 10883/05)
dirigée contre la République française et dont un
ressortissant de cet Etat, M. Jean Claude Fernand Willem (« le requérant
»), a saisi la Cour le 17 mars 2005 en vertu de l'article 34 de
la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté devant la Cour par
Mes D. Joseph et D. Dendouga, avocats à Lille. Le gouvernement
français (« le Gouvernement ») est représenté
par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au
ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue une violation de son droit à
la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention.
4. Le 4 avril 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête
au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention,
elle a en outre été décidé que seraient examinés
en même temps la recevabilité et le bien-fondé de
l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1934 et réside à
Seclin.
6. Le 3 octobre 2002, au cours de la réunion du conseil municipal
de la ville de Seclin, et en présence de journalistes, le requérant,
maire de la commune, annonça son intention de boycotter les produits
israéliens sur le territoire de sa commune, en particulier les
jus de fruits.
7. Ses propos furent retranscrits dans l'édition du 5 octobre 2002
du journal « la Voix du Nord », dans les termes suivants :
« SECLIN : La municipalité boycotte les produits israéliens.
– Jean Claude Willem a annoncé, jeudi soir, au conseil municipal,
qu'il avait demandé à ses services de restauration de boycotter
les produits israéliens, en particulier les jus de fruits. Pour
le maire (PC) de Seclin, il ne s'agit pas d'un choix en faveur d'un parti,
d'un camp, mais d'une protestation contre une politique « antidémocratique
». « Le peuple israélien n'est pas en cause, c'est
un homme, Sharon, qui est coupable d'atrocités, qui ne respecte
aucune décision de l'ONU et continue à massacrer ».
»
8. En raison des réactions suscitées par cette publication,
le requérant diffusa quelques jours après, sur le site internet
de la commune de Seclin, une lettre ouverte, rédigée comme
suit :
« L'annonce du boycott des produits israéliens que j'ai faite
lors de la dernière réunion du conseil municipal, relayée
par la presse locale, a suscité quelques réactions sur Internet.
Y compris quelques réactions négatives, émanant de
personnes qui se révèlent être des supporters inconditionnels
d'Ariel Sharon, de sa politique et du génocide palestinien qu'il
a entrepris.
Je ne souhaite pas engager la polémique avec ces gens-là.
Néanmoins, je tiens à réaffirmer que ma décision
est avant tout une réaction contre les massacres et tueries quotidiennes
commises contre les enfants, les femmes, les vieillards palestiniens ;
elle traduit ma ferme opposition à la politique de destruction
massive de maisons, d'équipements publics, y compris hôpitaux,
commise par l'armée de l'Etat d'Israël ; elle exprime un soutien
actif à ceux qui, nombreux en Israël, se battent pour la paix
au Moyen-Orient, à ceux qui refusent de porter des armes dans les
territoires occupés.
Malgré les attentats perpétrés par les extrémistes
palestiniens, contre lesquels Ariel Sharon se garde bien de réagir
car ils sont l'alibi de sa politique sanglante, ce n'est pas Israël
qui est menacé de disparition, mais bien l'Autorité palestinienne
et le Peuple palestinien tout entier.
C'est pourquoi mon soutien et ma solidarité vont aux victimes et
non aux auteurs des massacres. Il y a une continuité dans cette
logique de guerre menée par Sharon depuis les massacres de Sabra
et Chatila au Liban, la provocation de l'Esplanade des Mosquées
et les crimes de Jenine.
C'est contre tout cela, pour le droit des Israéliens à vivre
en paix, chez eux, pour le droit des Palestiniens à vivre libres
dans leur pays, indépendant, qu'avec la Municipalité de
Seclin, nous agissons.
Le refus d'aider économiquement le pouvoir militaire de Sharon
dans ses pratiques de répression, d'invasion et d'occupations militaires,
se traduit donc par cette décision de boycott, au même titre
que l'exposition et le débat organisés à Seclin sur
la Palestine. »
9. Une plainte fut déposée auprès du procureur de
la République par Monsieur B. ainsi que par l'association culturelle
israélite du Nord représentée par son président,
Monsieur K.
10. Le ministère public décida de déclencher l'action
publique à l'encontre du requérant, sur le fondement de
« provocation à la discrimination nationale, raciale, religieuse
par parole, écrit ou moyen de communication audiovisuelle »
en vertu des articles 23 et 24 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Les plaignants se constituèrent parties civiles.
11. Par un jugement du 26 mars 2003, le tribunal correctionnel de Lille
prononça la relaxe du requérant, aux motifs suivants :
« (...) Attendu que le fait d'appeler à une telle mesure,
[(à savoir le boycott des jus de fruits israéliens)] de
nature commerciale, vise des produits et n'entre donc pas dans les prévisions
du texte visé dans les poursuites ; qu'il ne s'agit pas en effet
d'une discrimination à l'égard d'une personne ou d'un groupe
de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou
non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion
déterminée ;
Attendu que le prévenu, en l'espèce, n'a fait qu'utiliser
sa liberté d'expression, liberté fondamentale garantie par
la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et
des libertés fondamentales (...) ; »
12. Le 26 mars 2003, le Procureur général interjeta appel
de ce jugement, sur demande du ministre de la Justice en exercice à
l'époque des faits. Dans ces réquisitions, déposées
le 5 mai 2003, il demanda la requalification des faits en discrimination
définie à l'article 225-1 commise par une personne dépositaire
de l'autorité publique lorsqu'elle consiste à entraver l'exercice
normal d'une activité économique quelconque (délit
prévu par l'article 432-7, alinéa 2 du code pénal,
et puni à l'époque des faits de trois ans d'emprisonnement
et de 45 000 euros (EUR) d'amende). Il soutint notamment :
« (...) Il appartient à chacun de pouvoir s'exprimer librement,
le maire titulaire de ce droit peut exprimer ses opinions et choix politiques.
Toutefois, il échet à ce dernier, pris en sa qualité
d'autorité publique représentante de l'Etat, de rester neutre
dans l'exercice de ses fonctions. Le maire ne peut se substituer aux autorités
gouvernementales pour ordonner un boycott des produits d'une nation étrangère.
En toute hypothèse, il ne saurait être toléré
aucune discrimination de quelque nature et quelque importance qu'elle
soit ; (...)
Il n'est pas reproché à M. Willem ses opinions politiques
ou une idéologie antisémite. Cependant, il apparaît
qu'il a sciemment cherché à entraver les activités
économiques en provenance de la nation israélienne en ordonnant
à ses services, dans la cadre d'une réunion municipale,
de ne pas contracter à l'achat de produits israéliens. Cette
mesure discriminatoire, si elle devait être prise, relèverait
exclusivement de la compétence gouvernementale. Il n'avait pas
le droit d'ordonner de telles mesures discriminatoires ; (...) »
13. Le 2 avril 2003, l'association culturelle israélite du Nord,
représentée par Monsieur K., ainsi que Monsieur B. interjetèrent
également appel.
14. Par un arrêt du 11 septembre 2003, la cour d'appel de Douai
décida de ne pas requalifier les faits sous l'angle de l'article
432-7 du code pénal. Elle infirma le jugement attaqué, déclara
le requérant coupable du délit de provocation à la
discrimination sur le fondement de la loi de 1881 et, en répression,
le condamna à une peine d'amende de 1 000 EUR.
15. Sur l'action civile, la cour d'appel estima que Monsieur B. ne justifiait
pas d'un préjudice direct et, en conséquence, le débouta.
L'association fut, quant à elle, déclarée irrecevable
en sa demande, n'ayant pas pour objet la lutte contre les discriminations.
16. L'arrêt, dans ses attendus pertinents, fut motivé comme
suit :
« (...) Attendu que les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet
1881 incriminent le fait de provoquer par des discours ou par des écrits
à la discrimination emportant entrave à l'exercice normal
d'une activité économique quelconque ;
Qu'en effet, ces textes renvoient aux dispositions des articles 225-1
et 225-2 du Code pénal qui, pour le premier, définit la
discrimination comme étant le fait d'opérer une distinction
entre les personnes physiques à raison de leur appartenance à
une nation et, pour le second, prévoit qu'elle consiste à
entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque
;
Attendu que les faits doivent être examinés sous leur exacte
qualification et que le tribunal à tort s'est limité à
rechercher si les propos de Jean-Claude Willem constituaient une discrimination
à l'égard des personnes et a décidé qu'il
n'avait entendu que boycotter des produits, sans examiner les faits sous
toutes les qualifications possibles compte tenu des termes de la prévention
; (...)
Attendu que Jean-Claude Willem, en annonçant son intention de demander
à ses services de ne plus acheter de produits en provenance de
l'Etat d'Israël, a incité ceux ci à tenir compte de
l'origine des produits et par suite à entraver l'exercice normal
de l'activité économique des producteurs israéliens
; que les propos qui lui sont reprochés ont été tenus
devant le conseil municipal et en présence de journalistes et qu'en
conséquence, ils l'ont été publiquement ;
Attendu qu'il importe peu que les producteurs en question ne soient pas
plus précisément déterminés ; que l'appel
au boycott de produits ayant une certaine provenance constitue une entrave
à l'exercice normal de l'activité économique des
producteurs en raison de leur appartenance à une nation ; qu'il
est constant qu'il a pris en considération la nation israélienne
à l'appui de sa décision ; qu'en effet, il visait, selon
ses explications la politique menée par le chef du gouvernement
israélien et par voie de conséquence a demandé aux
services municipaux de tenir compte de la nation que le chef du gouvernement
représente ;
Attendu que Jean-Claude Willem a manifesté par les propos qu'il
a tenus une volonté discriminatoire et que le mobile qu'il a invoqué,
protester contre la politique du premier ministre de l'Etat d'Israël,
est sans incidence ; qu'en effet, le dol prévu par les articles
225-1 et 225-2 du Code pénal est caractérisé par
la seule conscience de traiter différemment les producteurs israéliens
;
Attendu que ce texte n'exclut pas de la répression les actes commis
par les personnes privées et que Jean-Claude Willem soutient donc
vainement que sa qualité de titulaire de l'autorité publique
n'a pas été visée dans les poursuites ;
Attendu qu'aucun texte n'autorisait ou n'imposait une telle discrimination
qui ne résultait que de prises de positions personnelles de Jean-Claude
Willem à l'égard de la politique menée par un premier
ministre, qui ne constituent pas des raisons objectives étrangères
à l'appartenance des producteurs israéliens à la
nation israélienne ; (...) »
17. Le requérant se pourvut en cassation.
18. Par un arrêt du 28 septembre 2004, la chambre criminelle de
la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, au motif que
la cour d'appel avait justifié sa décision en retenant que
la diffusion sur le site internet de la commune de la décision
prise par le maire de boycotter les produits israéliens, accompagné
d'un commentaire militant, était de nature à provoquer des
comportements discriminatoires.
II. LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE INTERNES PERTINENTS
19. Les articles pertinents de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté
de la presse se lisent comme suit :
Article 23 (dans sa rédaction au moment des faits)
« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime
ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés
dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits,
imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images
ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus
ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou
réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés
au regard du public, soit par tout moyen de communication audiovisuelle,
auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre
ladite action, si la provocation a été suivie d'effet.
Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation
n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue
par l'article 2 du code pénal. »
Article 24 (dans sa rédaction au moment des faits)
« (...) Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à
l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à
la haine ou à la violence à l'égard d'une personne
ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur
appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation,
une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines
seulement.
En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par l'alinéa
précédent, le tribunal pourra en outre ordonner :
1o Sauf lorsque la responsabilité de l'auteur de l'infraction est
retenue sur le fondement de l'article 42 et du premier alinéa de
l'article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas
de l'article 93-3 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication
audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux
2o et 3o de l'article 131-26 du code pénal pour une durée
de cinq ans au plus ;
2o L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée
dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal.
»
20. L'entrave à l'exercice d'une activité économique
était précédemment incriminée par l'article
416-1 de l'ancien code pénal issu de la loi no 77-574 du 7 juin
1977, loi dite « anti-boycott ». Lors de la rédaction
de ce texte, le législateur national avait pour objectif de lutter
contre certaines pratiques de boycott économique dans le commerce
international et, notamment, le boycott d'Israël. Les dispositions
pertinentes du code pénal sont les suivantes :
Article 225-1 (dans sa rédaction au moment des faits)
« Constitue une discrimination toute distinction opérée
entre les personnes physiques à raison de leur (...) appartenance
ou de leur non-appartenance (...) à une nation.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée
entre les personnes morales à raison de l'appartenance ou de la
non-appartenance à une nation. »
Article 225-2 (dans sa rédaction au moment des faits)
« La discrimination définie à l'article 225-1, commise
à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de
deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende lorsqu'elle consiste
: (...)
2º A entraver l'exercice normal d'une activité économique
quelconque ; (...) »
La jurisprudence en la matière est peu nombreuse. En 1994, la Cour
de cassation a jugé que l'établissement d'un certificat
attestant que la livraison des biens exportés n'interviendrait
pas par le canal d'un transporteur israélien, ni ne transiterait
par Israël, constituait un agissement discriminatoire (crim. 9 nov.
2004). Récemment, dans un arrêt du 18 décembre 2007
(no 06-82.245), la chambre criminelle a considéré que «
selon les articles 225-2, 2o, et 225-1 du code pénal, constitue
une discrimination punissable le fait d'entraver l'exercice normal d'une
activité économique quelconque en opérant une distinction
entre les personnes, notamment en raison de leur appartenance ou de leur
non-appartenance à une nation déterminée ».
Il s'agissait d'une société française qui, souhaitant
conclure un contrat avec une société des Emirats arabes
unis, avait fourni des certificats mentionnant que la fabrication des
produits ne faisait intervenir aucun matériau israélien,
aucune main-d'œuvre israélienne, ni aucun transporteur israélien.
Ces documents avaient été visés par la chambre de
commerce dont dépendait la société française,
lesquelles furent toutes les deux poursuivies. Par cet arrêt, la
chambre criminelle a estimé qu'« une discrimination en matière
économique ne peut être justifiée par l'existence
d'un boycott prohibé, que l'article 225-2, 2o a précisément
pour but de sanctionner ».
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONALES
21. Le principe d'égalité de traitement a été
consacré dans une directive 2000/43/CE du Conseil de l'Union européenne,
adoptée le 29 juin 2000. Cette directive a pour objet d'établir
un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race
ou l'origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les Etats
membres, le principe de l'égalité de traitement. Cela vaut
particulièrement dans l'environnement professionnel et les relations
commerciales.
22. En droit international, une mesure de « boycott-sanction »
à l'encontre d'un Etat peut être menée dans certains
cas, après autorisation expresse du Conseil de Sécurité
des Nations Unies. Cette mesure, très encadrée, ne peut
être mise en œuvre que par des autorités gouvernementales
agissant dans le cadre de l'article 41 du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, qui prévoit « l'interruption complète
ou partielle des relations économiques » en cas de «
menace contre la paix, de rupture de paix ou d'acte d'agression »,
situations mentionnées à l'article 39 de la Charte. Une
telle mesure a en pratique été utilisée une vingtaine
de fois, mais jamais contre l'Etat israélien.
Il existe par ailleurs des mesures coercitives que les Etats peuvent prendre
eux-mêmes, telles des restrictions ou interdiction totale de relations
commerciales avec un autre Etat. La pratique démontre que les Etats
ont recours à ces mesures afin d'exercer des pressions sur un Etat
en réaction à un acte commis par ce dernier. Le Comité
International de la Croix-Rouge (C.I.C.R.) définit ces mesures
de restrictions commerciales comme des « représailles »,
lesquelles sont « illicites mais exceptionnellement justifiées
à la lumière d'un acte antérieur commis par l'Etat
contre lequel elles sont dirigées ».
IV. LE CONTEXTE INTERNATIONAL
23. Les faits litigieux s'inscrivent dans un contexte d'escalade du conflit
israélo-palestinien en 2002. A la suite d'une intensification sans
précédent des attentats, attaques et représailles
de part et d'autre en mars 2002, le Conseil de sécurité
de l'ONU adopta, le 13 mars 2002, la résolution 1397 préconisant
pour la première fois un Etat palestinien à côté
d'Israël. De son côté, par une résolution sur
le Proche-Orient, adoptée le 10 avril 2002, le Parlement européen
demanda à la Commission et au Conseil la suspension de l'Accord
d'association économique avec Israël :
« Le Parlement (...) demande au Conseil et à la Commission
de convoquer d'urgence le Conseil d'association UE-Israël pour transmettre
sa position au gouvernement israélien en lui demandant de respecter
les dernières résolutions de l'ONU et de réagir positivement
aux efforts déployés actuellement par l'UE pour parvenir
à une solution pacifique au conflit ; demande à la Commission
et au Conseil, dans ce contexte la suspension de l'Accord d'association
euroméditerranéen UE-Israël (...) »
Par ailleurs, le 25 avril 2002, l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe adopta la résolution 1281 (2002) appelant les parties
israéliennes et palestiniennes à un cessez-le-feu. Tout
en reconnaissant et en respectant le droit légitime de l'Etat d'Israël
à protéger sa propre sécurité et celle de
ses citoyens, l'Assemblée estima que l'action menée par
son armée dans les territoires palestiniens était inadéquate,
et condamna le recours disproportionné et sans discernement à
la force. Elle se déclara « bouleversée par les informations
sur les violations du droit international humanitaire lors des opérations
menées dans les territoires palestiniens par l'armée israélienne
sous la conduite du Premier ministre, M. Ariel Sharon, en particulier
dans le camp de réfugiés de Jénine ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
24. Le requérant dénonce une violation de son droit à
la liberté d'expression, résultant de la condamnation pour
« provocation à la discrimination ». Il invoque l'article
10 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression.
Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de
recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il
puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération
de frontière. (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités
peut être soumis à certaines formalités, conditions,
restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des
mesures nécessaires, dans une société démocratique,
(...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui
(...) »
A. Sur la recevabilité
25. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé
au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève
par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le bien-fondé du grief
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
26. Le Gouvernement estime que l'ingérence était «
prévue par la loi », qu'elle visait un « but légitime
», à savoir la protection des droits d'autrui, et qu'elle
était « nécessaire dans une société
démocratique ». Il rappelle la marge d'appréciation
des autorités nationales et considère que la cour d'appel
a caractérisé, par une argumentation développée,
l'infraction de provocation à la discrimination. Il soutient que,
même si le requérant a fait l'objet de poursuites pénales,
la condamnation est modérée et proportionnée au but
poursuivi. Le Gouvernement reconnaît que le requérant, en
tant qu'élu, disposait d'une liberté d'expression élargie.
Il estime cependant que celui-ci, en tenant les propos litigieux dans
le cadre de ses fonctions, a outrepassé les compétences
qu'il détenait en sa qualité d'autorité exécutive
de sa commune. Dans la condamnation prononcée à l'encontre
du requérant, était en cause non pas la manifestation d'une
opinion, auquel cas la jurisprudence traditionnelle de la Cour relative
à la liberté d'expression des élus pourrait trouver
à s'appliquer, mais l'incitation à une action discriminatoire.
Le Gouvernement conclut que rien dans le dossier ne permet de penser que
le requérant avait entendu donner au boycott une dimension uniquement
symbolique.
b) Le requérant
27. Le requérant estime que sa condamnation pour provocation à
la discrimination a violé l'article 10 de la Convention. Il indique
notamment que les propos incriminés ont été tenus
dans le cadre d'un débat politique touchant à la question
du conflit israélo-palestinien, lequel relève sans conteste
de l'intérêt général. Il estime avoir pris
toutes les précautions nécessaires afin d'éviter
toute méprise quant à ses intentions. Il rappelle que ce
boycott avait été envisagé comme pouvant permettre,
ou du moins contribuer à contraindre l'Etat d'Israël à
cesser les violations des lois humanitaires, et à se conformer
aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations
Unies. Il cite également la résolution du Parlement Européen
du 10 avril 2002. Il conteste l'assertion du Gouvernement selon laquelle
la condamnation serait modérée et rappelle qu'il s'agissait
d'une sanction de nature pénale, symboliquement forte. Rappelant
la liberté d'expression élargie dont bénéficient
les élus, en se fondant notamment sur l'arrêt Brasilier c.
France (no 71343/01, 11 avril 2006), il affirme qu'en qualité de
maire d'une commune, et dans le cadre de manifestations organisées
par celle-ci (débats sur la Palestine, expositions), il pouvait
tenter, à son niveau, de vouloir mettre fin à « cette
escalade insupportable de la violence ».
2. Appréciation de la Cour
28. La condamnation litigieuse s'analyse en une « ingérence
» dans l'exercice par l'intéressé de sa liberté
d'expression, ce que reconnaît le Gouvernement. Pareille immixtion
enfreint l'article 10, sauf si elle est « prévue par la loi
», dirigée vers un ou des buts légitimes au regard
du paragraphe 2 et « nécessaire » dans une société
démocratique pour les atteindre (voir, parmi beaucoup d'autres,
Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, §§ 34-37, série
A no 103 ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 41, CEDH
1999-I).
29. La Cour constate que les juridictions compétentes se sont fondées
sur les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse,
lesquels renvoient, selon la cour d'appel, aux dispositions des articles
225-1 et 225-2 du code pénal. Leurs décisions étaient
motivées, comme le soutient le Gouvernement, par un but légitime
: protéger les droits d'autrui, en l'occurrence les producteurs
israéliens.
30. La Cour doit cependant examiner si cette ingérence était
« nécessaire, dans une société démocratique
», notamment si elle était proportionnée et si les
motifs fournis par les autorités nationales pour le justifier étaient
« pertinents » et « suffisants ».
31. Elle renvoie aux principes fondamentaux qui se dégagent de
sa jurisprudence relative à l'article 10 (voir, entre autres, Jerusalem
c. Autriche, no 26958/95, §§ 32-34, CEDH 2001 II ; Brasilier,
précité, §§ 31-32 ; Mamère c. France, no
12697/03, §§ 19-20, CEDH 2006 ...).
32. Quant à la position du requérant, la Cour rappelle également
que sa qualité de maire est un élément important
en l'espèce. En effet, précieuse pour chacun, la liberté
d'expression l'est tout particulièrement pour un élu du
peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations
et défend leurs intérêts. Partant, des ingérences
dans la liberté d'expression d'un maire commandent donc à
la Cour de se livrer à un contrôle des plus stricts (Jerusalem,
précité, § 36 ; Roseiro Bento c. Portugal, no 29288/02,
§ 41, 18 avril 2006).
33. Enfin, pour la Cour, il est fondamental, dans une société
démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique,
qui se trouve au cœur même de la notion de société
démocratique (Almeida Azevedo c. Portugal, no 43924/02, §
32, 23 janvier 2007). La Cour accorde la plus haute importance à
la liberté d'expression dans le contexte du débat politique
et considère qu'on ne saurait restreindre le discours politique
sans raisons impérieuses. Y permettre de larges restrictions dans
tel ou tel cas affecterait sans nul doute le respect de la liberté
d'expression en général dans l'Etat concerné (Feldek
c. Slovaquie, no 29032/95, § 83, CEDH 2001 VIII). Il ressort ainsi
de la jurisprudence de la Cour que si tout individu qui s'engage dans
un débat public d'intérêt général est
certes tenu de ne pas dépasser certaines limites quant au respect
– notamment – des droits d'autrui, il lui est également
permis de recourir à une certaine dose d'exagération, voire
de provocation, c'est-à-dire d'être quelque peu immodéré
dans ses propos (Mamère, précité, § 25).
34. En l'espèce, le tribunal correctionnel de Lille a prononcé
la relaxe du requérant en estimant que l'appel au boycott visait
des produits et non pas des personnes et que celui-ci n'avait «
fait qu'utiliser sa liberté d'expression». En revanche, la
cour d'appel, infirmant le jugement, a considéré qu'il importait
peu que les producteurs en question ne soient pas plus précisément
déterminés dès lors que l'appel au boycott de produits
ayant une certaine provenance constituait une entrave à l'exercice
normal de l'activité économique des producteurs en raison
de leur appartenance à une nation. Les juges d'appel ont souligné
que « le mobile invoqué par le requérant, protester
contre la politique du premier ministre de l'Etat d'Israël, était
sans incidence ». La Cour de cassation a confirmé ce raisonnement,
estimant qu'il ne s'agissait pas de la manifestation d'une opinion mais
d'une « provocation à la discrimination ».
35. A l'instar de la juridiction d'appel et de la Cour de cassation, la
Cour constate que le requérant n'a pas été condamné
pour ses opinions politiques mais pour une incitation à un acte
discriminatoire. C'est d'ailleurs ce qu'avait souligné le Procureur
général en précisant qu'il n'était pas reproché
au requérant une idéologie antisémite (voir paragraphe
12 ci-dessus). En effet, le requérant ne s'est pas contenté
de dénoncer la politique menée à l'époque
par Ariel Sharon, mais il est allé plus loin, en annonçant
un boycott sur les produits alimentaires israéliens.
36. La Cour note que la Cour de cassation a non seulement pris en compte
l'annonce du boycott faite oralement lors du conseil municipal mais également
le message diffusé sur le site Internet de la commune. A cet égard,
ce message a aggravé le caractère discriminatoire de la
position du requérant, confortée ainsi par l'utilisation
de termes polémiques.
37. La Cour relève qu'en sa qualité de maire, le requérant
avait des devoirs et des responsabilités. Il se doit, notamment,
de conserver une certaine neutralité et dispose d'un devoir de
réserve dans ses actes lorsque ceux-ci engagent la collectivité
territoriale qu'il représente dans son ensemble. A cet égard,
un maire gère les fonds publics de la commune et ne doit pas inciter
à les dépenser selon une logique discriminatoire.
38. La Cour conçoit que l'intention du requérant était
de dénoncer la politique du premier ministre de l'Etat d'Israël,
mais elle estime que la justification du boycott exprimée tant
lors de la réunion du 3 octobre 2002 que sur le site internet correspondait
à une démarche discriminatoire et, de ce fait, condamnable.
Au-delà de ses opinions politiques, pour lesquelles il n'a pas
été poursuivi ni sanctionné, et qui entrent dans
le champ de sa liberté d'expression (voir, a contrario, Jerusalem,
précité), le requérant a appelé les services
municipaux à un acte positif de discrimination, refus explicite
et revendiqué d'entretenir des relations commerciales avec des
producteurs ressortissants de la nation israélienne. Ce faisant,
par l'exposé d'une communication effectuée tant lors de
la réunion du conseil municipal, sans donner lieu à débat
ni vote, que sur le site internet de la commune, le requérant ne
peut soutenir avoir favorisé la libre discussion sur un sujet d'intérêt
général.
39. La Cour note encore que dans ses réquisitions devant les juridictions
internes, le procureur de la République a fait valoir que le maire
ne pouvait se substituer aux autorités gouvernementales pour ordonner
un boycott de produits provenant d'une nation étrangère
(paragraphes 12 et 22 ci-dessus).
40. Dans ces conditions, la Cour considère que les motifs avancés
par les juridictions françaises pour justifier l'ingérence
dans le droit du requérant à la liberté d'expression
étaient « pertinents et suffisants » aux fins de l'article
10 § 2 de la Convention.
41. Par ailleurs, pour la Cour, l'amende infligée en l'espèce,
d'une relative modicité, n'est pas disproportionnée au but
poursuivi.
42. Partant, et eu égard à la marge d'appréciation
dont jouissent les autorités nationales en pareil cas, la Cour
considère que l'ingérence litigieuse était proportionnée
aux buts légitimes poursuivis. Dès lors, il n'y a pas eu
en l'espèce violation de l'article 10 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable
;
2. Dit, par six voix contre une, qu'il n'y a pas
eu violation de l'article 10 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16
juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux
articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement,
l'exposé de l'opinion séparée du juge Jungwiert.
P.L.
C.W.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE JUNGWIERT
Je ne suis pas en mesure de me rallier aux conclusions de la majorité.
Mon avis diverge de celui exprimé par mes collègues surtout
sur plusieurs questions qui me semblent centrales dans cette affaire :
Comme le rappelle la majorité, « il est fondamental, dans
une société démocratique, de défendre le libre
jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de
la notion de société démocratique. La Cour accorde
la plus haute importance à la liberté d'expression dans
le contexte du débat politique et considère qu'on ne saurait
restreindre le discours politique sans raisons impérieuses. Y permettre
de larges restrictions dans tel ou tel cas affecterait sans nul doute
le respect de la liberté d'expression en général
dans l'Etat concerné » (voir § 33).
En l'espèce, existe-t-il vraiment des raisons impérieuses
? A mon avis, tout ce qui s'est passé à Seclin et ce qui
peut arriver ailleurs dans le futur doit être considéré
comme débat public d'intérêt général
dans le cadre duquel il est permis de recourir à une certaine dose
d'exagération, voire de provocation.
Or, on peut facilement imaginer que dans une situation similaire, un maire
(qui est presque toujours membre d'un parti politique) appelle par exemple
au boycott des produits en provenance des États-Unis pour protester
contre la guerre en Iraq, des produits russes à cause du conflit
en Tchétchénie ou encore de la marchandise chinoise pour
soutenir le Tibet.
J'ai la ferme conviction qu'une société démocratique
doit tolérer voire parfois même susciter un tel débat
ou une incitation à l'action.
Contrairement aux juridictions françaises, et contrairement à
l'avis de la majorité, j'estime que les déclarations du
requérant incriminées dans la présente affaire reflètent,
compte tenu des circonstances de l'espèce et de la tonalité
générale de ses propos, l'expression d'une opinion ou d'une
position politique d'un élu sur une question d'actualité
internationale.
Je constate tout d'abord l'application extensive de la loi sur la presse
qui a été faite par les juridictions internes, et notamment
par la cour d'appel. Cette dernière a condamné le requérant
pour « provocation à la discrimination » sur le fondement
de la loi sur la presse, et a estimé que les articles 23 et 24
de la loi de 1881 « renvoyaient » aux dispositions du code
pénal, sans plus de précisions. Or, ces dispositions ne
font nullement référence à une discrimination fondée
sur des motifs « économiques ». En outre, je relève
que la jurisprudence de la Cour de cassation sur le boycott économique
est éclairante quant aux éléments constitutifs d'un
tel délit (paragraphe 20). Si l'article 225-2 alinéa 2 du
code pénal a précisément pour but de sanctionner
le boycott économique selon la Cour de cassation, lequel était
manifeste dans les arrêts rendus par la chambre criminelle en 1994
et 2007, je considère qu'il n'en est pas de même en l'espèce.
Tout d'abord, le contenu de l'annonce était relativement vague
quant à sa mise en œuvre effective dans les relations commerciales.
Ensuite, l'impact de la mesure se trouvait limité, s'agissant des
services de restauration d'une petite commune. Enfin, quant aux effets
concrets de l'annonce, les conséquences pratiques de celle-ci n'ont
pas été démontrées. Dès lors, et eu
égard à tout ce qui précède, les propos tenus
pas le requérant ne pouvaient être assimilés à
de véritables mesures de boycott économique au sens des
dispositions du code pénal précitées. Il s'agissait
de l'expression d'une position politique qui relevait de la liberté
d'opinion, élément fondamental du droit garanti par l'article
10.
Je pense par ailleurs que les juridictions nationales n'ont pas pris en
compte l'intention du requérant dans le contexte général
de l'affaire. Les propos litigieux ont pour toile de fond une escalade
de la violence dans le conflit israélo-palestinien et font suite
à une position unanime des organisations internationales en 2002.
Ils ont été prononcés dans un contexte politique
international particulier portant sur une question d'intérêt
général et, au niveau local, dans le cadre de manifestations
organisées par la commune. Ils ont été surtout tenus
par le maire en séance du conseil municipal, lieu privilégié
du débat public. La place à accorder au lieu dans lequel
la déclaration a été faite est essentielle, puisqu'il
permettait aux membres du conseil municipal de protester contre cette
décision et au requérant de s'expliquer directement.
Mais la question la plus importante qui se posait à la Cour était
celle de savoir si l'ingérence était « nécessaire
dans une société démocratique ».
En vérité, il existe une certaine lacune dans la motivation
de l'arrêt : la majorité reconnaît bien qu'il faut
examiner cette question, mais l'argumentation pertinente justifiant le
caractère « nécessaire » n'apparait pas dans
l'arrêt.
En conclusion, à la lumière de l'ensemble des éléments
de la cause, il me paraît évident que la condamnation du
requérant s'analyse en une ingérence non nécessaire
et disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression.
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