VINCENT - MANSÛR MONTEIL

Dossier secret sur Israël, le terrorisme , 1978

L'ouvrage est dédié à la mémoire du Comte Folke Bernadotte, assassiné à Jérusalem, le 17 septembre 1948

       "C'est justement pour faire respecter la trêve imposée par les Nations Unies et leur "Médiateur" Bernadotte, que je me portai volontaire, en juin 1948, comme "Observateur" militaire en Palestine. C'est bien la première fois que je fus titulaire d'une carnet à trois volets, dont un en anglais, l'autre en arabe et le dernier en hébreu. C'est aussi la dernière fois que j'ai mis les pieds à Jérusalem."

Un extrait

" C'est justement parce qu'il savait que je combats la torture partout et toujours dans le monde, que Maurice Rolland, alors président de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, m'a demandé de participer, le 3 juin 1972, à un colloque sur « La torture aujourd'hui », où j'ai parlé de l'Iran et des crimes de la police politique, la SAVAK. C'est dans un silence de mort que j'ai terminé mon « réquisitoire » en ces termes : « Puisque le Shâh fait « conseiller » sa SAVAK par des « experts» sionistes, pourquoi ne permet-il pas la création, en Iran, d'une association comparable à celle de la « Ligue israélienne pour les Droits de l'homme et du citoyen, BP 201-78, Tel-Aviv », qui a, notamment, rendu public, en toute liberté, en juin 1970, son «Mémorandum aux Nations Unies sur les pratiques israéliennes dans les territoires occupés » ? On peut y relever 27 cas de tortures. Il est vrai que ces témoignages n'ont entraîné aucune conséquence heureuse. Il est vrai aussi que le Dr. Israël Shahak, président de cette Commission, serait « fou »... Dans ce cas, pourquoi ne pas l'interner dans un asile psychiatrique? Le 10 juin 1972, soit une semaine à peine après mon intervention, je reçois un mot de Maurice Rolland : « Je vous remercie de votre exposé extrêmement nourri et vivant ». A sa demande, je lui envoie, de nouveau, le texte même que j'avais lu au colloque. Le 12 décembre 1972, il me répond : « Ayant lu attentivement votre texte » (que j'avais, bien entendu, lu en public devant lui), « j'y constate la présence de deux passages totalement étrangers au sujet qui vous était imparti, à savoir, p.1, §3 et p.2 tout le §8 ». Celui-ci, je viens de le citer. Le §3 est le suivant : « En 1956, la redoutable police politique, la SAVAK, est créée avec l'aide des Américains, auxquels se joindront les experts israéliens (chaque année, le directeur iranien de la SAVAK va faire un stage d'un mois chez les spécialistes d'Israël) ». Je réponds, le 14 décembre, et n'accepte aucune censure : «J'appelle un chat un chat et l'État d'Israël un État étranger, qui n'est pas plus au-dessus des lois que l'Empire d'Iran ». Le 18, nouvelle lettre : « Vous n'êtes pas d'accord pour cette suppression ; n'en parlons plus. Mais, dans ces conditions, nous ne pouvons pas publier votre texte ». Je tombe de haut : j'ai déchiré le voile du Temple. Et vingt ans d'amitié viennent de finir."

 

Autres citations :

 

"Le peu que j'ai appris m'est venu de gens plus ignorants que moi-même. Et ce n'était ni leur volonté, ni la mienne." (cité par V.-M. Monteil, Soldat de fortune, Bernard Grasset, 1966, p.122)

"Nous vivons au temps des imposteurs. La vie humaine et la dignité de l'homme n'ont peut-être jamais eu aussi peu de prix. Le droit à la liberté et à la patrie est dénié aux Viêtnamiens comme aux Arabes palestiniens. L'Islâm est là cependant, pour nous rappeler le sens abrahamique de l'hôte, et cette parole donnée dont Louis Massignon avait fait l'axe de sa vie."

"C'est de notre civilisation, de notre culture commune, de l'héritage commun de la Grèce, transmis et revivifié par les Arabes, qu'il s'agit, en fin de compte. Il n'y a pas opposition en l'Europe et l'Orient arabe, mais filiation complémentaire."

 

 

 

Compte rendu de Vincent Mansour Monteil sur :

 

Les Assassins de la mémoire, Paris, Éditions de La Découverte, 1987, 233 pages.

A soixante ans, Pierre Vidal-Naquet s'est acquis une solide réputation de spécialiste de la Grèce ancienne. Ses ouvrages — qui lui ont valu la cravate de commandeur de l'ordre du Phénix (1987) — Clisthène l'Athénien (1964), Mythe et tragédie (2 volumes : 1972 et 1986), Flavius Josèphe ou du bon usage de la trahison(1977), sont classiques. De nombreux articles et essais confirment la maîtrise de cet heléniste, agrégé et docteur d'État. Pendant l'abominable guerre d'Algérie, Pierre Vidal- Naquet ne se contente pas d'écrire, il prend un engagement politique, non sans courage, pour la bonne cause. Deux écrits de choc : L'Affaire Audin (éd. de Minuit, 1958) et La Raison d'État (id., 1962) en témoignent. Malheureusement, ce rejeton d'une ilustre famile israé- lite de Carpentras prend parti pour l'État des Juifs (Judenstaat) — ce qui est son droit — mais passe à l'ataque contre ceux qu'il tient pour ses adversaires politiques : notamment Noam Chomsky, Pierre Guilaume, Arthur R. Butz, Robert Faurisson, Serge Thion, Henri Roques, Jacques Vergès et moi-même. Oubliant toute courtoisie, il se permet de nous traiter de « révisionnistes » (après tout, pourquoi pas ? Il n'y a pas, en Histoire, de « parole d'évangile » et toute opinion peut et doit être remise en question) et de « paranoïaques », c'est-à-dire, cliniquement, de fous. En ce qui me concerne, tout cela m'est indiférent. Mais comment un universitaire peut-il se permetre d'écrire : quand Henri Marrou disait que c'est dans les poubeles des viles égyptiennes qu'on trouve d'importants textes historiques, il voulait aussi dire par là que même l'ordure morale doit être intégrée au récit historique, que Faurisson fait partie de l'humanité(1). La vieile technique de l'amalgame trouve encore preneur. Dans un appel (publié par L'Événement du jeudi le 28 juin 1990) lancé à la communauté universitaire par une centaine de « signatures prestigieuses » — dont cele de Pierre Vidal- Naquet — sont accusés pêle-mêle « la haine xénophobe et raciste » et « ceux qui se baptisent révisionnistes et qui ne sont que des falsificateurs de l'Histoire ». Comme il est douilet, le confort des idées reçues ! Il est autrement plus facile de hurler avec les loups que de luter contre le courant. Asséner le « prêt- à-penser » pseudo-historique (le saint « holocauste », les in- touchables chambres à gaz et le reste) sans se donner la peine de fourbir ses arguments, en réservant ses coups à ceux qui ont le malheur de n'être pas de votre avis : voilà qui est bel et bon. Et sans risque. Le professeur Vidal-Naquet est bien vivant (comme l'indique son nom provençal : Vidal). Il n'a pas, que l'on sache, et tant mieux pour lui, été ataqué physiquement, mis à mal par des brutes, comme Robert Faurisson, lâchement agressé dans un parc à Vichy, en septembre 1989, et sauvé de la mort par mi- racle. On a osé dire et écrire qu'il… « l'avait bien cherché » (il n'y a qu'à relire la bonne presse de l'an dernier, Le Monden tête).Il faut toujours prendre au pied de la letre tout ce qui ressemble à des aveux étudiés, à de fausses confidences. Surtout quand l'auteur est un historien distingué. Comment ne pas être ému par la dédicace des Assassins de la mémoire : (1) Émission sur France-Culture (Le Monde supplément radio-télévision en date des 3-4 décembre 1989, p. 25). A la mémoire de ma mère, Marguerite Valabrègue/Marseile, 20 mai 1907 – Auschwitz, 2 juin (?) 1944/Jeune éternelement. Pierre Vidal-Naquet pense que « le grand massacre » (il préfère cete expression au mot « holocauste ») a eu des précédents, dont certains sont méconnus. Tele la destruction des fameux Ilotes (grec : eilwtai ; latin : ilotae), que Vidal-Naquet afuble d'une h (Hilotes) — ces esclaves de Sparte exterminés — mais « l'arme du crime demeure inconnue » (p. 135). On lit ensuite ceci : Sur l'histoire de la tentative d'extermination [c'est moi qui souligne] — partielement réussie — des Juifs et des Tsiganes pendant la seconde guerre mondiale par le régime national- socialiste alemand, on dispose évidemment d'une documen- tation infiniment plus importante que sur l'horrible épisode de l'histoire spartiate que j'ai rappelé ci-dessus (p. 138-139). Il est évident(2) que dans les lieux d'extermination pure et simple : Chelmno, Sobibor, Treblinka, le seul travail disponible était l'entretien de la machine à tuer […]. Mais Maïdanek et surtout Auschwitz, énormes centres industriels, furent la preuve vivante que l'extermination pouvait côtoyer l'exploi- tation du travail forcé […] Entre l'exploitation et l'élimination il y eut tension, jamais rupture (p. 146-147). Que voilà une bele contradiction, dont on s'étonne que notre heléniste ne l'ait pas exploitée jusqu'à ses conséquences ultimes ! Il est vrai qu'il a ses sources, comme « ce grandiose film historique qui s'appele Shoah (1985) » (p. 143). Pierre Vidal-Naquet, d'aileurs, s'interroge : Pourquoi Shoah est-il une grande oeuvre d'histoire et non, par exemple, un recueil de contes ? Il ne s'agit ni d'une reconstitu- tion romanesque comme Holocauste, ni d'un film documen- taire […], mais d'un film où des hommes d'aujourd'hui parlent de ce qui fut hier (p. 149). Hélas, Holocaustest exécuté en note 42 : J'ai rendu compte de cete minable fiction, dont l'efet a été immense, dans « Le navet et le spectacle » (Esprit, avril 1979). (2) Évident : « Ce qui s'impose à l'esprit avec une tele force qu'il n'est besoin d'aucune autre preuve pour en connaître la vérité, la réalité » (Dictionnaire Robert). Et pourtant : Rien de plus naturel que la révision de l'histoire, rien de plus banal (p. 149). On a pu entendre, sur Europe I, le 17 mai 1990, Pierre Vidal-Naquet s'adresser aux « chers auditeurs » et dialoguer avec Pierre Chaunu et Philippe Lauzier, ancien déporté à Buchenwald, Alach (près de Munich) et Dachau — tous trois camps sans chambre à gaz —, mais refuser furieusement de parler directement aux archi-révisionnistes Henri Roques et Robert Faurisson : rien que d'y penser, « ses mains tremblent d'indignation ». Ah, ce Faurisson ! Voilà un homme qui se moquait de la révolution mondiale comme d'une guigne, mais qui, au service d'une passion antisémite délirante, rêvait pour lui d'une gloire scandaleuse (p. 158). Hélas ! Il faut certes prendre son parti de ce que ce monde comporte des Faurisson comme il comporte des maquereaux et des sociétés de films pornographiques (p. 184). On n'est pas plus aimable ! Comme disent les Polonais : « Dieu voulut un homme parfait, et il créa le Professeur. Jaloux, le diable voulut rivaliser dans l'abjection et il créa le “cher colègue” »… Mais, foin de ces fariboles ! Vidal-Naquet est un historien sérieux. Quel dommage qu'il manie l'invective avec prédilection. Traiter quelqu'un de paranoïaque (moi, par exemple), ou même d'ordure (Robert Faurisson) n'est pas un argument : cela relève des tribunaux — et du mépris. Venons-en au fond des choses : la méthode historique de Vidal-Naquet consiste à tenir pour acquis ce qui est justement l'objet du débat. Y a-t-il eu vraiment, en Pologne, des chambres à gaz homicides ? Et, s'il y en eut, quel fut le nombre de leurs inno- centes victimes ? C'est là toute la question. Vidal-Naquet cite Himmler en personne. Mais a-t-on le droit de préférer, de deux déclarations faites la même année (1943), la plus menaçante : « faire disparaître ce peuple de la terre », dieses Volk von der Erde verschwinden zu lassen (6 octobre, à Posen) à la plus aténuée : « éloigner (entfernen) les poux » (24 avril) ? Sans compter que ces fameux « Propos secrets » (Geheimreden) n'ont été publiés, en alemand (en 1974) et en français (en 1978), que plus de vingt ans après avoir été tenus(3). Le célébrissime « traitement spécial » (Sonderbehandlung) — réservé aux Juifs était déjà un mot codé [?] pour désigner l'extermination (p. 26), mais Bien entendu [il] pouvait avoir un sens parfaitement bénin (p. 192, note 19). Le mot alemand sonder a tous les sens — propres et figurés — de son équivalent français : « spécial ». On a voulu en faire un qualificatif sinistre, notamment dans le terme « action spé- ciale » (Sonderaktion), par exemple dans le Journal du Dr SS Johann Paul Kremer, tenu à Auschwitz en septembre-octobre 1942. L'interprétation assumée par Vidal-Naquet (p. 68 et 152) est, en efet, aussi épouvantable que… solicitée. Vidal-Naquet et consorts n'ont qu'à consulter un dictionnaire pour y trouver environ cinquante mots composés avec sonder- et dont la signifi- cation est aussi innocente que dans Sonderbund (ligue sépara- tiste), Sondergericht (tribunal d'exception), Sondernummer (édition spéciale), Sonderurlaub (permission exceptionnele) ou Sonderzug (train spécial) ! Quant à Sonderbehandlung, il peut être un traitement d'exception, un traitement de faveur ! Il est tout de même curieux qu'on ne puisse présenter au public ni une chambre à gaz(4) (cele d'Auschwitz est rekons- truiert par les Polonais) authentique, ni un survivant incon- testable. Qu'en est-il du chifre des victimes juives ? Pierre Vidal- Naquet fait montre d'une louable prudence sur ce point. S'agit- il des quatre milions « gazés et brûlés » à Auschwitz ? (3) Vidal-Naquet, p. 25-26 et notes 16 et 17. (4) Aucune photo de chambre à gaz homicide dans le livre de Georges Welers, Les chambres à gaz ont existé (NRF, 1981), non plus qu'à l'exposition de la déportation, au Trocadéro, en avril 1982. Le chifre est faux, bien sûr, mais il est déclaré « communé- ment admis » (p. 181). Aucun historien, certes, ne retient aujourd'hui le chifre de 4 milions d'êtres humains disparus à Auschwitz. Parler d'un milion de morts est une hypothèse raisonnable et énorme. Mais il est vrai que le chifre de 4 milions est partout afiché à Auschwitz par le soin des Polonais, et Claude Lanzmann a eu tort d'écrire que « les estimations les plus sérieuses tournent autour de trois milions et demi » (p. 184). On cite souvent une déclaration de la terroriste alemande Ulrike Meinhof : « Six milions de Juifs furent tués et jetés au fumier de l'Europe parce qu'ils étaient des Juifs d'argent (Geldjuden) » (p. 122). Voilà qui est gênant. Qu'à cela ne tienne : une note (58, p. 209) rectifie le tir en ces termes : J'avais eu le tort de citer ce texte (Frankfurter Algemeine Zeitung, 15 décembre 1972) d'après l'interprétation qu'en donnaient J. Tarnero […] et beaucoup d'autres. On retiendra cet aveu : […] il n'y a en l'espèce rien d'intouchable. Le chifre de six milions de Juifs assassinés qui provient de Nuremberg n'a rien de sacré ni de définitif et beaucoup d'historiens aboutissent à un chifre un peu inférieur (p. 28-29). De même, S[erge] Klarsfeld, par le travail minutieux qui carac- térise son Mémorial, a abaissé de plus de 40 000 le chifre donné d'habitude pour la déportation des Juifs de France (de 120 000 à un peu plus de 76 000). Qui n'approuverait de teles recherches ? (p. 29). Ce passage renvoie à la note 29, p. 194, où il est précisé, d'après le « Comité pour les Juifs » [?], que 28 162 Juifs furent déportés de France. Vidal-Naquet ajoute : Renseignements pris dans le Buletin du Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale [1973 et 1974], le Comité s'est rendu compte qu'il était parvenu à un chifre absurde. Une escroquerie de plus, donc [de la part de Faurisson]. Je me suis reporté aux numéros du Bulletin auxquels P. Vidal-Naquet fait référence. J'y ai noté que M. Henri Michel « juge inopportune une publication d'ensemble [de l'enquête] qui risquerait de susciter des réflexions désobligeantes pour les déportés » (août-septembre-octobre 1974, p. 3). Ce « jugement » date de 1974. Voilà donc seize ans que nous atendons la publication des chifres, de tous les chifres, du Comité pour les comparer avec ceux de S. Klarsfeld. Ce dernier évalue le nombre de tous les déportés juifs de France, indépendamment de leur nationalité, à 75 721. Le nombre des survivants serait approximativement de 2 500. Il est probable que le Comité a dû trouver à peu près le même chifre pour les déportés, mais son évaluation du nombre des survivants doit être bien supérieure, car il est facile de démontrer que S. Klarsfeld a minimisé le nombre qu'il nous propose. Quel est donc, d'après le Comité, le nombre de ces survivants ? C'est à M. François Bédarida, détenteur des archives du Comité, de nous apporter enfin la réponse. * Et voilà comment on écrit l'histoire, en rejetant de son discours tout ce qui ne cadre pas avec la théorie préconçue. On ne voit pas ce qu'a de minutieux — c'est-à-dire de scrupuleux — le Mémorial de Me Klarsfeld (1978), qui ne manque pas d'obscu- rités et de contradictions internes. Par exemple, l'extrait, en alemand, du Journal du médecin Dr Johann-Paul Kremer, à la date du 2 septembre 1942 (p. 245 du Mémorial : les feuiles volantes de l'édition originale ne sont pas numérotées !) men- tionne une exécution qui ne peut avoir eu lieu dans une chambre à gaz, puisque est précisé le mot « dehors » (draussen) !…(5) On sait que le travail d'historien vaut ce que valent ses sources. Celes de Pierre Vidal-Naquet sont multiples et d'inégale valeur. […] nous voilà obligés, à la limite, de prouver ce qui est arrivé. Nous qui, depuis 1945, savons, nous voilà tenus d'être démons- tratifs, éloquents, d'utiliser les armes de la rhétorique, d'entrer dans le monde de ce que les Grecs appelaient la Peiqv, la Persuasion dont ils avaient fait une déesse qui n'est pas la nôtre (p. 35-36). (5) Voir mon article dans Intolérable Intolérance, Éditions de la Diférence, Paris, 1981, p. 146. D'abord, toute une sous-litérature qui représente une forme proprement immonde d'appel à la consommation et au sadisme doit être impitoyablement dénoncée (p. 27). Les noms de Christian Bernadac, de Silvain Reiner, de Jean- François Steiner viennent immédiatement au bout de la plume […]. J'ai moi-même dénoncé en son temps une des plus infâmes de ces falsifications, Et la terre sera pure, de Silvain Reiner (Fayard, 1969) […] et contribué, avec Roger Errera, à faire saisir ce livre pour contrefaçon de Médecin à Auschwitz de M. Nyiszli [Rassinier, puis Faurisson, ont montré que ce dernier « témoignage » est un « faux avéré »…]. Je suis en revanche tombé dans le piège tendu par Treblinka de J.- F. Steiner (Fayard, 1966) ; cf. mon article du Monde, 2 mai 1966, dont je ne renie pas le fond (p. 193, note 24). Il y a, dans Les Assassins de la mémoire , bien des rappels et des mises au point d'une grande utilité. Par exemple, un théologien protestant, Charles Hauter, qui fut déporté à Buchenwald, ne vit jamais de chambres à gaz, et […] délira à leur propos (p. 27-28). [Dans] le reportage du journaliste soviétique V. Grossmann sur Treblinka [1945, réédition 1966], tout est déformé et monstrueu- sement exagéré (p. 28). Pas de cadeau non plus pour Paul Giniewski, ce « sioniste fervent », pourfendeur de la gauche et défenseur en France de l'apartheid sud-africain — ce qui ne l'empêche pas d'écrire dans Le Droit de vivre, organe de la LICRA, dont on connaît l'inflexible conception judiciaire de l'Histoire. Hélas ! Les afirmations péremptoires de Pierre Vidal- Naquet ne sont pas des arguments, encore moins des preuves. Que veut-il prouver quand il écrit : R. Faurisson a efectivement usé un nombre incalculable de journées de travail dans les archives françaises ou alemandes, à la recherche, non, comme il le prétend, du vrai, mais du faux. Bel exemple de casuistique ! Que faire contre les « néga- teurs » ? Les traîner en justice ? Le procès intenté en 197[9] à Faurisson par diverses associations antiracistes […] a reconnu le sérieux du travail de Faurisson, ce qui est un comble [?], et ne l'a, en somme, condamné que pour avoir agi avec malveilance en résumant ses thèses en slogans […]. Le mépris est peut-être une arme plus sûre (p. 182-183). Les historiens polonais sont les premiers concernés par tout ce qui touche à ce que Vidal-Naquet préfère appeler « le grand massacre ». L'évaluation du nombre des victimes d'Auschwitz (Oswiecim) — pour lequel on a avancé couramment le chifre de quatre milions de morts (celui-là même qui figurait jusqu'ici à Auschwitz sur le monument à la mémoire des victimes du nazisme) — doit être révisée à la baisse, car ele ne repose sur aucune base sérieuse. C'est ce qu'en juilet 1990 afirme le quotidien polonais Gazeta Wyborcza, à la suite d'une enquête menée par le Musée d'Auschwitz. Les spécialistes s'accordent aujourd'hui sur environ un milion de morts à Auschwitz : entre un minimum de 950 000 et un maximum d'un milion 200 000. Tele est, du moins, la position de François Bédarida, directeur de l'Institut d'Histoire du Temps présent et membre du CNRS(6). Eh bien, non ! Les chifres véritables seraient encore de beau- coup inférieurs. Les Soviétiques ont enfin mis à la disposition du Comité International de la Croix-Rouge (Service International de Recherches d'Arolsen, près de Cassel) les 46 registres mortuaires (Sterbebücher) tenus par les Alemands à Auschwitz pendant la guerre(7). Ils avaient saisi ces registres en janvier 1945 à la prise du camp. Le total des morts enregistrées serait de 74 000, mais il est vrai qu'il manque des registres pour certaines périodes. On est loin, bien loin, on le voit, du milion 250 000 avancé par des tâcherons comme Raul Hilberg dont on ne saurait parler qu'avec révérence (Vidal-Naquet, p. 129, cite « la grande synthèse »). Dans cete afaire, la sacro-sainte liberté d'expression est sérieusement mise à mal. En Alemagne fédérale (RFA), la loi dite « du mensonge d'Auschwitz » prévoit que le ministère public peut engager des poursuites pour dommage causé au « membre d'un groupe qui a été persécuté sous un gouvernement de violence ou d'arbitraire, national-socialiste ou autre » ; il arrive qu'on se serve de cete loi contre les révisionnistes. Le général Oto Ernst Remer avait difusé une bande vidéo où le (6) Le Monde 22-23 juilet 1990, p. 7. (7) Le Monde, 24-25 septembre 1989, p. 8. le professeur Faurisson affirmait « qu'il n'existait pas de cham- bres à gaz sous Hitler » ; il a été condamné. En France, le 3 mai 1990, l'Assemblée nationale vote une loi réprimant « tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ». Ele permetra de punir le crime majeur de révisionnisme, c'est-à-dire : « l'ensemble des thèses visant à nier le génocide juif, soutenu par ceux qui contestent l'holocauste ou l'existence des chambres à gaz » (Libération, 3 mai 1990, p. 7). Réaction de Me Georges Kiejman (p. 8) : « L'Histoire d'aujourd'hui peut être l'erreur de demain. Les tribunaux n'ont pas à faire l'Histoire. Dans le même temps, il faut pouvoir condamner la mauvaise foi des gens »… C'est ça, la liberté d'expression ? La simple «contestation de l'existence des crimes contre l'humanité » sera réprimée aussi bien que la négation de ces crimes (Le Monde, 4 mai 1990, p. 10). A propos, comment définit-on une loi scélérate ? On ne quite pas le domaine du sacré quand on lit, par exemple, sous la plume d'Alexandre Adler(8), que les « révisionnistes » se divisent en trois catégories : les habiles, les maladroits et les pervers. On croirait entendre un pontife ! Jean Lacouture, dans sa confession, Un sang d'encre (1974), avoue (p. 231) : « Des gens comme moi sont pétrifiés à l'égard d'Israël par le souvenir d'Auschwitz ». Qu'en est-il de Pierre Vidal-Naquet sur ce point ? Il faut saluer ici sa lucidité et son courage. C'est bien lui, et nul autre, qui dénonce ce qu'il faut bien appeler l'instrumentalisation quotidienne du grand massacre par la classe politique israélienne. Du coup, le génocide des Juifs cesse d'être une réalité historique vécue de façon existentiele, pour devenir un instrument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien pour obtenir tele ou tele adhésion politique à l'intérieur du pays que pour faire pression sur la Diaspora et faire en sorte qu'ele suive inconditionnelement les inflexions de la politique israélienne. Paradoxe d'une utilisation qui fait du génocide à la fois un moment sacré de l'histoire, un argument très profane, voire une occasion de tourisme et de commerce (p. 130). Ce texte renvoie à la note 90 (p. 214) : L'institut Yad Vashem est à la fois un institut scientifique, un musée et un lieu de recueilement, les uns et les autres admirables, mais on trouve aussi à Jérusalem dans les agences de l'Ofice du tourisme des tracts invitant à visiter une « grote de l'holocauste » sur le mont Sion qu'il vaut mieux ne pas qualifier. Le Monde du 27 mai 1989 (p. 12) apporte les précisions suivantes : « Créé en 1953 par l'État d'Israël, le Yad Vashem comprend notamment une “crypte du souvenir” à la mémoire des six milions [sic] de victimes juives, un centre pour l'ensei- gnement de l'holocauste, la sale des Noms (des victimes), l'alée des Justes, où sont plantés des arbres portant leurs noms, un musée de documentation sur l'holocauste, une valée des Communautés, où figurent les noms de celes qui ont péri (plus de cinq mile) et un “département des Justes” pour l'examen et la conservation des témoignages ». L'esprit critique de Pierre Vidal-Naquet a ses limites : celes de ceux qu'il appele « les assassins de la mémoire ». On notera le monopole, confisqué par lui-même et par ses émules, de l'exercice d'une faculté essentiele : la mémoire, comme s'ils étaient seuls à savoir s'en servir. Même nuancé, l'éloge du film- fleuve de Claude Lanzmann, Shoah (1985), reste surprenant. J'ai vu moi-même trois fois ce pseudo-documentaire et je suis chaque fois sorti avec des sentiments mêlés d'ennui et de consternation. Comment Vidal-Naquet peut-il parler de « grandiose film historique » (p. 143), même s'il précise qu'il s'agit d'un film où des hommes d'aujourd'hui parlent de ce qui fut hier. Survivants juifs s'exprimant dans un espace qui fut jadis celui de la mort, tandis que roulent des trains qui ne conduisent plus aux chambres à gaz, anciens nazis délimitant ce que furent leurs exploits, les témoins reconstruisent un passé qui ne fut que trop réel ; les témoignages se recoupent et se confirment les uns les autres, dans la nudité de la parole et de la voix. Que l'historien soit aussi un artiste, nous en avons là la preuve absolue (p. 149). Une réserve, cependant, en note 26 (p. 217) : Mon admiration pour ce film-histoire qui est immense ne saurait dissimuler des désaccords de détail, certains silences, par exemple, sur les Tsiganes, sur l'atitude des Juifs améri- cains, et surtout sur la façon cruele avec laquele l'auteur interroge les paysans polonais, habitants d'un espace où la parole est pauvre. Shoah, film somme toute « navet », a été célébré sans mesure, imposé aux élèves et aux étudiants, difusé en Ale- magne et présenté à Moscou, en 1989, dans sa version intégrale : plus de neuf heures de projection ! C'est du bourrage de crâne — sans même l'excuse du talent… Mais tout le monde se passe le mot et la moindre réserve (beaucoup trop long, très ennuyeux) fait hurler à l'antisémitisme ! Les recherches faites [en Israël] à l'Institut Yad Vashem valent aujourd'hui ce qui se fait de mieux dans le monde entier, avec, évidemment, une orientation parfois nationaliste […]. Mais surtout la Shoah sert à tout, à se justifier en permanence, à légitimer le moindre incident de frontière comme un renou- velement du massacre, à assimiler aux SS les Palestiniens envers lesquels les Israéliens ont tout de même des torts indéniables. Le résultat est peut-être eficace — bien que la grande majorité des habitants d'Israël n'aient pas eu l'expé- rience directe de la persécution nazie —, mais certains ne veulent plus entendre parler de ces temps tragiques, et on peut même, ici ou là, trouver en Israël un disciple de Faurisson ! Par contrecoup, il arrive dans la Diaspora que l'on juge Israël à l'aune du seul nazisme, ce qui n'est pas lui donner une très grande marque d'estime (p. 162-163). A ce propos, Pierre Vidal-Naquet revient sur cete fameuse « grote de l'Holocauste » sur le mont Sion dans la Vieile Vile de Jérusalem : lieu destiné à entretenir la peur d'un retour de la Shoah et non un lieu de réflexion et de pensée (p. 223, note 90) et de s'en prendre à tous ceux qui tirent de l'oeuvre de G. Dumézil l'idée, ou plutôt l'utopie rétrospective, que, en somme, l'humanité européenne s'est embarquée sur le mauvais bateau en devenant chré- tienne, c'est-à-dire juive (p. 223, note 98) et de citer le cas de J.-L. Tristani : intelectuelement, particulièrement navrant ! Au demeurant : plus que les livres d'histoire, les musées sont des expressions des idéologies nationales. Il n'est que de voyager en Israël et en Pologne (p. 225, note 112). Pour conclure cete « querele », on relèvera ici le mauvais procès fait, par Pierre Vidal-Naquet, au si inteligent et si courageux Me Jacques Vergès, accusé de tentative de « réfection de l'histoire » (p. 175). Il est vrai, cependant, que, par-delà le Cas Vergès (Jacques Givet, 1986), le procès Klaus Barbie se heurtait à d'insupportables contra- dictions dont personne n'a réussi à se sortir » (p. 176). On pourrait en dire autant du cas Vidal-Naquet, inextri- cablement prisonnier de ses préjugés que son inteligence et sa culture n'arrivent pas à lui permetre de surmonter, ce qui, à tout point de vue, est grand dommage.

VINCENT MANSOUR MONTEIL Médaillé de la Résistance
Ancien interné résistant
(1940-1941)