Roberto Saviano, tiré
de son livre : « Extra pure , voyage
dans l'économie de la cocaïne ». Titre
original : « Zero Zero Zero ».
Gallimard 2014, première publication
2013.
Chapitre 1 Titre : « La
leçon », page 17 à
29
Introduction :
…
Des discours de philosophie morale tenus par des mafieux,
j'en avais entendu des dizaines dans les déclarations de
repentis et les enregistrements d'écoutes téléphoniques.
Pourtant, celui-ci avait une caractéristique insolite, il
se présentait comme un dressage de l'âme. C'était
une critique de la raison mafieuse …
Discours :
« Le
monde de ceux qui croient pouvoir vivre dans une société
juste, avec des lois identiques pour tous, avec un bon travail,
de la dignité, des rues propres, les femmes égales
aux hommes, n'est qu'un monde de tapettes, de gens qui se
trompent eux-mêmes. Et trompent ceux qui les entourent. Les
conneries sur un monde meilleur, laissons-les aux autres. Aux
riches idiots qui peuvent s'offrir ce luxe. Le luxe de croire en
un monde heureux, en un monde juste. De riches qui se sentent
coupables ou qui ont quelque chose à cacher. Who
rules just does it, that's all. Ceux qui
commandent commandent c'est tout. Ou bien on peut prétendre
commander pour faire le bien, pour servir la justice et la
liberté. Mais ce sont des histoires de gonzesses,
laissons-les aux riches, aux idiots. Ceux qui commandent
commandent. Un point, c'est tout. »
« Les
règles de l'organisation sont celles de la vie. Les lois
de l'Etat sont les règles d'un camp qui veur baiser
l'autre. Et nous, personne ne nous baise. Il y a des gens qui
gagnent du pognon sans prendre de risques et qui auront toujours
peur des autres, et ceux, au contraire, qui en gagnent en misant
tout. If you risk all, you get all, pigé ?
Mais si tu t'imagines que tu dois sauver ta peau ou que tu
peux y arriver sans te retrouver en prison, sans cavale et sans
planque, alors il vaut mieux dire les choses clairement : tu
n'est pas un homme. Et si vous n'êtes pas des hommes,
sortez de cette pièce. Pas la peine d'espérer :
vous êtes peut-être des hommes, mais jamais vous ne
deviendrez des hommes d'honneur. »
« Crees
en el amor ? El amor se acaba. Crees en tu corazon ? El
corazon se detiene. No ? No amor y no corazon ?
Entonces crees en el cono ? Mais la chatte
finit aussi par sécher. Tu as foi en ta femme ? Dès
que tu n'auras plus de fric, elle te dira que tu la négliges.
Tu as foi en tes enfants ? Si tu ne leur donnes plus de
pognon, ils te diront que tu ne les aimes pas. Tu as foi
en ta mère ? Si tu ne lui sert pas de nounou, elle
prétendra que tu n'est qu'un ingrat. Escucha lo
que digo : tienes que vivir. On doit vivre
pour soi-même. C'est pour soi-même qu'il faut savoir
se faire respecter, puis respecter à son tour. La
famille. Respecter ceux qui vous sont utiles et mépriser
les autres. Ceux qui peuvent vous donner quelque chose méritent
votre respect. Les inutiles, non. Ceux qui veulent obtenir
quelque chose de vous, ils ne vous respectent pas,
peut-être ? Ceux qui ont peur de vous ? Et quand
vous n'avez plus rien à donner ? Quand vous vous
retrouvez sans rien ? Quand vous ne servez plus à
rien ? On vous considère comme de la merde. Quand
vous n'avez plus rien à donner, vous n'êtes plus
rien. »
« Moi, je vous parle,
et parmi vous il y en a qui me sont sympathiques. D'autres, je
leur péterais volontiers la gueule. Mais même le
plus sympa d'entre vous, s'il a plus de pognon et de chattes que
moi, je veux qu'il crève. Si l'un de vous devient mon
frère et que je le désigne comme mon égal au
sein de l'organisation, le destin est écrit, il essaiera
de me baiser. Don't think a friend will be forever a
friend. Je me ferai buter par quelqu'un avec
qui j'ai partagé des repas, un toit, tout. Je me ferai
buter par quelqu'un qui m'a fait à manger, qui m'a
planqué. Je ne sais pas qui, sinon je l'aurais déjà
éliminé. Mais ça viendra. Et s'il ne me tue
pas, il me trahira. La règle est la règle. Et les
règles ne sont pas les lois. Les lois sont pour les
lâches. Les règles sont pour les hommes. C'est pour
ça que nous avons des règles d'honneur. Les règles
d'honneur ne nous disent pas qu'on doit être bon, juste,
correct. Elles nous disent comment exercer
le pouvoir. Ce qu'il faut faire pour diriger les personnes, gérer
l'argent, être un chef. Les règles d'honneur nous
disent comment exercer le pouvoir, quoi faire pour baiser
celui qui est juste au-dessus de nous sans nous faire baiser par
celui qui est dessous. Les règles d'honneur, pas la peine
de les expliquer. Elles existent, c'est tout. Elles se sont
créées seules, dans le sang et avec le sang de
chaque homme d'honneur. Comment peux-tu décider
quoi faire, en quelques secondes, en quelques minutes ou en
quelques heures ? Si tu te trompes, tu paieras pendant des
années un choix fait en un court instant. Les règles
sont là, elles sont toujours là, mais tu dois
savoir les reconnaître et tu dois comprendre quand elles
s'appliquent. Et aussi les lois de Dieu. Les lois de Dieu
font partie des règles. Les lois de Dieu : mais les
vraies, pas celles qui servent à faire trembler de
trouille les minables. Souvenez-vous de ça : il peut
y avoir toutes les règles d'honneur qu'on voudra, il
n'existe qu'une seule certitude. Vous êtes des
hommes si, au fond de vous, vous connaissez votre destin. Les
minables, eux, rampent par commodité. Les hommes
d'honneur savent que chaque chose meurt, que tout passe et que
rien ne dure. Les journalistes commencent par vouloir
sauver le monde, puis finissent par rêver de diriger une
rédaction. C'est plus facile de les manipuler, que de les
corrompre. Chacun n'a de valeur que pour soi et pour
l'Honorable Société. Et l'Honorable Société
nous dit qu'on ne compte que si on commande. Duespés,
puedes elegir la forma. Puedes controlar con dureza o puedes
comprar el consentimiento.
Tu peux commander en faisant couler le sang ou en versant le
tien. L'Honorable Société sait que chaque homme est
faible et vaniteux, qu'il a des vices. Elle sait que l'homme ne
change pas, voilà pourquoi la règle est tout. Les
liens fondés sur l'amitié ne sont rien sans la
règle. Tous les problèmes ont une solution, que ta
femme te quitte ou que ton groupe se divise. Et cette solution ne
dépend que de ce que tu es prêt à offrir. Si
ça se passe pas comme vous le vouliez, c'est que vous
n'avez pas offert assez, que vous avez proposé trop peu,
inutile de chercher d'autres raisons. »
« Il
s'agit de comprendre qui tu veux être. Si tu braques,
tires, violes, deales, tu gagneras de l'argent pendant quelques
temps, puis ils t'attraperont et te briseront. Tu peux faire ça.
Oui, tu peux. Mais pas longtemps, parce que tu ne sais pas ce qui
peut t'arriver, les gens n'auront peur de toi que si tu leur
colles
un flingue dans la bouche. Et dès que tu tournes le dos ?
Dès qu'un braquage dérape ? Mais si tu fais
partie de l'organisation, tu sais qu'il y a une règle pour
chaque chose. Si tu veux faire du fric, il y a des moyens pour y
arriver, si tu veux tuer il y a des raisons et des méthodes,
si tu veux grimper les échelons tu peux, mais tu dois
gagner le respect et la confiance, tu dois te rendre
indispensable. Même pour changer les règles, il y a
des règles. Si
tu agis contre les règles, tu ne peux pas savoir comment
ça finira. Au contraire, si tu agis suivant les règles
d'honneur, tu sais parfaitement où ça te conduira.
Et tu sais quelles seront les réactions de ceux qui
t'entourent. Si vous voulez être des hommes ordinaires,
faites donc. Mais
si vous voulez devenir des hommes d'honneur, vous devez suivre
des règles. Et la différence entre un homme
d'honneur et un homme ordinaire, c'est que l'homme sait toujours
ce qui se passe, alors que l'homme ordinaire se fait enculer par
le hasard, par la malchance et la bêtise. Il lui arrive des
choses. L'homme d'honneur, lui, sait que ces choses-là
arrivent et il prévoit quand. Il sait exactement ce qui
est à lui et ce qui ne l'est pas, il sait exactement
jusqu'où aller s'il veut dépasser les règles.
Tout le monde veut trois choses : pouvoir, pussy
et dinero.
Même le juge
qui condamne les méchants, même les hommes
politiques veulent ça : dinero,
pussy
et pouvoir. Mais ils prétendent les obtenir en se rendant
indispensables, ils
sont les défenseurs de l'ordre, des pauvres ou de qui sait
quoi d'autres . Money :
tout le monde en veut, en faisant mine de vouloir autre chose ou
d'agir dans l'intérêt général. Les
règles de l'Honorable Société sont des
règles qui permettent de s'imposer à tous.
L'Honorable Société sait que tu peux posséder
pouvoir, pussy
et dinero,
mais elle sait aussi que celui qui est capable de renoncer à
tout décide de la vie des autres. La cocaïne. C'est
ça la cocaïne : all you can
see, you can have it.
Sans la cocaïne,
tu n'es parsonne. Avec la cocaïne, tu peux être ce que
tu veux. Si tu en prends, c'est comme si tu te tirais une balle
dans le pied. Si tu ne fais pas partie de l'organisation, rien au
monde n'existe. L'organisation
fournit des règles pour trouver sa place dans le monde.
Elle fournit des règles pour
tuer et fournit aussi celles qui nous disent comment on sera tué.
Tu veux mener une
vie normale ? Tu préfères être une
nullité ? Tu peux. Il suffit de ne pas voir et de ne
pas entendre. Mais rappelles-toi une chose : au Mexique, où
tu peux faire ce que tu veux, te droguer, baiser des petites
filles, monter en voiture et foncer aussi vite que tu veux, celui
qui suit vraiment les règles commande pour de bon. Si vous
faites des conneries, vous n'aurez plus d'honneur et, sans
honneur, pas de pouvoir. Vous êtes comme tout le
monde. »
« Tu
travailles. Beaucoup. You have some money, algo
dinero. Tu as
peut-être de belles femmes. Mais elles finissent par te
quitter pour un autre plus beau et plus riche que toi. Tu
pourras peut-être mener une vie décente, mais c'est
peu probable. Ou bien une vie de merde, comme tout le monde.
Quand tu te trouveras en taule, ceux qui seront dehors
t'insulteront, ceux qui se croient propres, mais tu auras dirigé.
Ils te haïront, mais tu te seras
offert la belle vie et tout ce que tu voulais. L'organisation
sera avec toi. Peut-être que tu souffriras pendant quelques
temps et peut-être qu'ils te tueront. L'organisation suit
le plus fort, c'est normal. Avec des règles de chair, de
sang et d'argent, vous
pouvez escalader des montagnes. Si vous faiblissez, si vous
commettez l'erreur de déclencher la guerre, vous êtes
foutus. Si vous ne savez pas garder le pouvoir, vous êtes
foutus. Mais ces guerres sont licites, are
allowed. Ce
sont nos guerres. Vous pouvez gagner ou perdre. Mais dans un cas,
vous perdrez définitivement et de la façon la plus
douloureuse : si vous trahissez. Ceux qui tentent de
s'opposer à l'organisation sont condamnés. On peut
échapper à la loi, mais pas à
l'organisation. On peut même échapper à Dieu,
car Dieu sait qu'il y aura toujours un de ses fils pour le
tromper. On ne peut pas échapper à l'organisation.
Si tu trahis et que tu t'enfuis, si
tu te fais baiser et que tu t'enfuis, si tu ne respectes pas les
règles et que tu t'enfuis, quelqu'un paiera pour toi. They
will look for you. They will go to your family, to your allies.
Tu seras toujours
sur la liste et rien ne pourra jamais effacer ton nom. No
time, no money. Tu es
définitivement foutu, et ta descendance avec
toi. »
Commentaire
de Roberto Saviano : page 28 :
…
« Pour la première fois, les parrains italiens,
les derniers calvinistes d'Occident, donnaient des leçons
aux nouvelles générations mexicaines et
latino-américaines, la bourgeoisie criminelle née
du trafic de drogue, la relève la plus féroce et la
plus affamée du monde. Un mélange prêt à
s'imposer aux marchés, à dominer les
investissements. Des producteurs d'argent, des bâtisseurs
de richesse. »
… « Ces
paroles entendaient transmettre la tradition des organisations
italiennes à leurs homologues latino-américaines. »
Scan
des sept feuillets du
livre : http://www.aredam.net/scan-la-lecon-zero-zero-zero-roberto-saviano.html
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