Article de Michel Collon paru sur
le site http://www.investigaction.net
le 16 novembre
2016 http://www.investigaction.net/arabie-saoudite-un-pillier-essentiel-de-la-politique-us-mondiale/
reproduit sur le site
aredam.net : http://www.aredam.net/strategie-americano-siono-wahhabite.html
Note préliminaire du site aredam.net :
Cet
article déni l'implication des pouvoirs américain
et sioniste dans les attentats du 11 septembre 2001 et porte
habilement la confusion quant à cette même
implication dans la constitution et le commandement des forces de
supplétifs de l'OTAN que sont les armées de
terroristes. Pour faire passer cette manipulation, l'article
apporte une vision synthétique du
caractère culturel et social et du rôle de l'Arabie
Saoudite dans le plan de domination globale américano-sioniste.
Cet article est un bon exemple de désinformation de
qualité, noyant la giclée de poison désinformatif
au sein d'une soupe copieuse et authentiquement
nutritive. On peut justement supposer que le site investigaction
(Michel Collon) est un crypto-organe de désinformation du
pouvoir américano-sioniste, comme le site
http://france-irak-actualite.com
(Gilles Munier) qui l'a relayé.
Cet
article est une manière d'introduction à l'article
plus général en matière de
désinformation : http://www.aredam.net/le-nec-plus-ultra-de-la-desinformation-en-regime-americano-sioniste-collon-munier-saviano-robert-hamza-et-consorts.html
(article en cours d'élaboration au 21/11/16)
Arabie
saoudite: un pillier essentiel de la politique US mondiale
A
l’occasion de la réimpression de la Stratégie
du Chaos, nous vous proposons la lecture du chapitre consacré
à l’Arabie saoudite. Un chapitre particulièrement
utile aujourd’hui pour mieux comprendre les racines des
attentats qui ont frappé Paris et Bruxelles. Mais aussi
pour résoudre une délicate énigme: pourquoi
les Etats-Unis, si prompts à faire la guerre pour apporter
la démocratie partout dans le monde, soutiennent-ils
infailliblement l’une des pires dictatures de la
planète?
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du Chaos sur notre
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Selon la légende, Abdelaziz Ibn
Saoud était un visionnaire qui serait parvenu à
surmonter les divisions entre des clans nomades de la péninsule
arabique pour fonder en 1932 le royaume d’Arabie saoudite.
La légende dit-elle vrai ?
Oui et non. Oui, Ibn
Saoud a fondé le Royaume d’Arabie saoudite. Mais
non, ce n’était pas un visionnaire. Il était
un instrument de l’Empire colonial britannique. Et ce n’est
qu’avec l’argent et les armes de la Grande-Bretagne
qu’il est parvenu à fonder son royaume. En réalité,
Ibn Saoud et les Britanniques avaient besoin l’un de
l’autre pour combattre un ennemi commun : les
Ottomans.
Pourquoi la Grande-Bretagne avait-elle
besoin d’Ibn Saoud ?
C’était un
empire colonial qui avait besoin d’agents à
l’étranger pour défendre ses intérêts.
Nous avons évoqué au premier chapitre la rivalité
entre la Grande-Bretagne et la France. Londres avait tenté,
mais en vain, de briser la Révolution française et
l’essor économique de son concurrent. Elle organisa
donc une alliance européenne qui déboucha sur la
bataille de Waterloo en 1815 où Napoléon fut
vaincu. La création d’un Empire français
nuisait à la domination britannique sur le monde et
notamment sur les colonies.
Mais comme nous l’avons dit, il était
trop tard pour arrêter cette révolution et cette
expansion françaises. Dès lors, entre les grandes
puissances économiques, la compétition devint
féroce. Et l’exploitation des colonies prit une
dimension nouvelle…
En quoi les colonies étaient-elles
si importantes ?
D’une part, elles
permettaient de fournir les matières premières
nécessaires pour faire tourner la machine industrielle de
l’Europe. D’autre part, elles offraient des débouchés
pour les produits et les capitaux qu’accumulaient les
puissances européennes.
Comment la Grande-Bretagne se
retrouva-t-elle en Arabie saoudite et dans toute cette région
?
Comme je l’ai
indiqué précédemment, l’Inde était
le joyau de l’Empire colonial britannique. Cette colonie
lui rapportait énormément. Londres développa
donc toute une stratégie pour protéger son joyau
des autres puissances impérialistes. Par exemple, alors
que les Français s’emparaient de Djibouti sur la
côte est de l’Afrique, les Britanniques prenaient le
contrôle du Yémen du Sud et de Bahreïn. Dans la
même optique, la Grande- Bretagne cherchait à
stopper l’expansion de l’Allemagne et de la Russie,
et à affaiblir l’Empire ottoman, principale
puissance de la région.
En fait, les Britanniques
jouaient à un double jeu avec les Ottomans. D’un
côté, ils soutenaient l’Empire turc pour
éviter que son démantèlement profite aux
concurrents européens. Mais d’un autre côté,
ils cherchaient à affaiblir les Ottomans pour contrôler
les régions stratégiques autour de l’Inde.
C’est dans cette optique que la Grande-Bretagne appuya la
famille Saoud dans une péninsule arabique largement
dominée par les Ottomans.
C’est donc grâce
au soutien britannique que le clan des Saoud parvint à
créer le Royaume d’Arabie saoudite en 1932. Mais ce
n’était pas sa première tentative…
En effet, au milieu du
18ème siècle, la tribu nomade des Saoud voulait
étendre son influence dans la péninsule arabique et
s’associa aux wahhabites, un clan de fanatiques religieux.
Cette alliance déboucha sur la création d’un
premier royaume. Mais les deux tribus, connues pour leur
sauvagerie, s’adonnèrent à des actes barbares
contre des populations de la région. Certains historiens
parlent même de profanations de lieux saints. L’Empire
ottoman – l’autorité politique qui contrôlait
une grande partie de la péninsule arabique et avait la
responsabilité de veiller sur les lieux saints de l’islam
– ordonna l’envoi de troupes égyptiennes pour
stopper les atrocités des Saoud et des wahhabites. Le chef
Abdellah Ibn Saoud fut emprisonné à Istanbul avant
d’être publiquement exécuté.
Après ce premier échec, les deux
familles tentèrent rapidement de fonder à nouveau
un royaume. Mais des querelles internes desservaient la
légitimité du clan des Saoud et les Ottomans
récupérèrent rapidement le contrôle
des territoires perdus. Chez les survivants des clans Saoud et
wahhabite, ces échecs alimentèrent une haine féroce
à l’égard des Ottomans et des Egyptiens.
Aussi, lorsque la Grande-Bretagne colonisa le Bahreïn en
1820 et se mit à chercher des opportunités pour
poursuivre son expansion, les Saoud découvrirent en elle
un allié potentiel. Rapidement, la tribu bédouine
déchue et la puissance coloniale passèrent des
accords, toutes deux cherchant à contrer l’influence
ottomane dans la péninsule arabique.
Quelle était la nature de
l’alliance entre les Saoud et la Grande-Bretagne ?
Les Britanniques garantissaient argent et
protection aux Saoud tant que ces derniers servaient les intérêts
de la puissance coloniale dans la région. En 1901, le chef
Abdelaziz Ibn Saoud écrivait au gouverneur britannique du
Golfe : « Que les yeux
du gouvernement britannique reposent sur nous et que nous soyons
considérés comme vos protégés.
»
Bien que le chef Ibn Saoud fût gratifié
du titre de Sir, la relation entre l’Empire colonial et la
tribu bédouine n’était pas respectueuse. Ibn
Saoud était en fait un laquais de la Grande-Bretagne, une
marionnette armée et financée depuis Londres pour
étendre l’influence des Britanniques en Arabie. En
1919, par exemple, Ibn Saoud envoya son fils Fayçal
rencontrer le roi Georges V. Le jeune prince apporta une lettre
de remerciements de son père, ainsi qu’un magnifique
sabre arabe orné de perles et placé dans un
fourreau d’or. En retour, Fayçal reçut une
photo dédicacée de George V avec la reine ! Cette
anecdote symbolise assez bien les rapports entre les Britanniques
et le clan des Saoud.
Mais Ibn Saoud y trouva tout de même
son compte…
Absolument. Grâce au soutien des
Britanniques, Saoud et wahhabites multiplièrent les
combats pour étendre leur influence. Au Hedjaz, une
bataille décisive fut remportée en 1924. Ce fut
également l’un des plus grands massacres de
l’histoire du monde arabe.
Situé à l’ouest de la
péninsule arabique, le royaume du Hedjaz, où sont
situées les villes saintes musulmanes de La Mecque et
Médine, était contrôlé par les
Ottomans. Mais en 1924, le nouvel Etat turc, devenu laïc,
abolit le califat musulman…
C’est-à-dire ?
Le
califat était un système de gouvernement régional
basé sur l’autorité du calife descendant du
prophète Mahomet. A ce moment, Hussein Ben Ali, chérif
de La Mecque et descendant direct du prophète Mahomet, se
proclama nouveau calife des musulmans à travers le monde.
Cette décision provoqua la colère d’Ibn Saoud
et inquiéta les Britanniques qui voyaient en Hussein un
obstacle sur leur chemin pour contrôler le monde
arabo-musulman. La puissance coloniale approuva donc le plan
d’invasion du Hedjaz mis sur pied par Ibn Saoud.
En 1924, la féroce armée des
wahhabites attaqua le royaume d’Hussein, massacrant les
populations, coupant les têtes des vieillards, assassinant
des imams dans leurs mosquées et pillant les richesses
qu’ils trouvaient sur leur passage. Ils détruisirent
également tout ce qui représentait à leurs
yeux « l’œuvre du diable », des
radios aux cigarettes.
Hussein, sa famille et des milliers d’autres
Hedjazis fuirent le royaume pour se rendre en Jordanie, en Egypte
ou dans d’autres pays arabes. Ils ne revinrent jamais. Le
royaume du Hedjaz, avec sa presse libre, ses partis politiques et
sa Constitution relativement progressiste, bascula dans
l’obscurantisme sous la direction des Saoud et des
wahhabites. La Grande-Bretagne se frottait les mains, car Hussein
Ben Ali représentait le danger d’un monde arabe uni
et indépendant des puissances coloniales.
Rapidement cependant, Ibn Saoud manifesta son
désir de poursuivre son expansion pour contrôler
toute la région. La Grande-Bretagne rappela son protégé
à l’ordre et traça les frontières de
l’Arabie saoudite, de l’Irak, du Koweït et de la
Jordanie selon le bon vieil adage : diviser pour mieux
régner. Il fallait à tout prix empêcher
la formation d’un grand royaume arabe qui aurait été
un rival dangereux.
Pour établir sa domination, la
Grande-Bretagne n’a donc pas hésité à
s’appuyer sur les éléments les plus barbares
et cruels de la région, sur les derniers esclavagistes ?
Exactement. C’est
aussi ça la « civilisation » occidentale !
Londres a régné en
maître sur le Moyen-Orient durant la première moitié
du vingtième siècle. Comment Washington est-elle
parvenue à prendre sa place ?
Le sociologue Robert
K. Merton a développé le concept de «
conséquences inattendues » pour qualifier les
résultats imprévisibles d’actions
intentionnelles. Et nous pouvons appliquer ce concept à
l’Histoire. Au début du vingtième siècle
en effet, Londres contrôlait l’Inde, décidait
du sort de la Palestine, exploitait le pétrole irakien et
avait institué le royaume des Hachémites en
Jordanie. Dans la péninsule arabique, la Grande-Bretagne
avait appuyé le clan des Saoud pour contrer l’influence
des Ottomans. Mais la « conséquence inattendue de
l’Histoire », c’est que les Britanniques
ignoraient l’existence du pétrole en Arabie
saoudite. Or, le pétrole avait acquis une importance
stratégique depuis l’exploration menée en
Iran à partir de 1901 et l’exploitation du premier
grand champ d’or noir en 1908. Mais lorsqu’Ibn Saoud
demanda un soutien financier accru à la Grande-Bretagne,
cette dernière refusa par cupidité : elle ne
voyait pas de raisons de subvenir aux largesses du roi
saoudien. Les Etats-Unis, par contre, acceptèrent et
découvrirent ensuite le plus grand gisement pétrolier
de la planète.
Pourquoi Washington a-t-elle accédé
aux demandes d’Ibn Saoud ?
En 1919, le banquier
canadien Edward Mackay Edgar écrivait :
« Tous les champs
pétrolifères connus ou potentiels en dehors des
Etats-Unis sont soit aux mains des Britanniques, soit gérés
par les Britanniques, soit financés par les capitaux
britanniques. » Washington
se devait de mettre fin à cette situation de monopole.
Une première étape fut franchie
en 1928. Londres et Paris, qui régnaient sur le pétrole
arabe, acceptèrent que Washington se joigne à
l’accord « de la ligne rouge ». Cet accord
prévoyait notamment qu’aucun des partenaires réunis
au sein de la Turkish Petroleum Company (bientôt rebaptisée
Iraq Petroleum Company – IPC), ne chercherait du pétrole
pour son propre compte. Ceci s’appliquait à l’ancien
territoire occupé par l’Empire ottoman, mais les
Britanniques avaient pris soin d’en exclure le Koweït
pour garder le contrôle de cet oasis d’or noir.
En 1933, l’IPC refusa de payer à
Ibn Saoud le montant qu’il demandait pour autoriser la
compagnie à explorer les sous-sols de son royaume.
Immédiatement, la Standard Oil of California (ancêtre
de Chevron) se jeta sur l’occasion et accorda au roi Saoud
tout ce qu’il désirait.
En négociant avec les
Etats-Unis, le roi Ibn Saoud faisait-il une bonne affaire ?
Certainement. Ibn Saoud
avait intérêt à traiter avec la compagnie US.
D’une part, les Etats-Unis étaient très
performants en ingénierie : techniques de pompage, de
transport et de raffinage de pétrole… D’autre
part, cet accord permettait à Ibn Saoud de couper le
cordon avec la puissance britannique.
Sur ce plan, les Etats-Unis ont été
très malins. Partout dans les pays du Sud, le ressentiment
grandissait à l’égard du colonialisme. Dès
lors, le président Roosevelt avait pris pour habitude de
laisser les compagnies privées défendre les
intérêts des Etats-Unis à l’étranger.
Washington marquait ainsi sa différence avec l’Europe
coloniale et paraissait plus sympathique. Ibn Saoud préféra
donc négocier avec un tel partenaire plutôt qu’avec
une puissance coloniale qui risquait de s’immiscer dans les
affaires internes de l’Arabie saoudite et de revoir
l’organisation politique du pays.
Un autre élément a fait pencher
la balance saoudienne en faveur des Etats-Unis : St. John
Philby. Cet ancien espion britannique nourrissait une certaine
aversion pour son propre gouvernement et il était devenu
un proche conseiller du roi Ibn Saoud. Philby s’était
arrangé pour que les Saoudiens décrochent un
contrat juteux avec la Standard Oil of California. Il suspectait
par ailleurs l’IPC de vouloir décrocher les
concessions saoudiennes dans le seul but de tenir la compagnie US
à l’écart du pétrole arabe. Cet
objectif atteint, l’IPC qui avait déjà bien
assez à gagner avec l’Irak, n’aurait
certainement pas exploré au plus vite les concessions
saoudiennes, et ceci aurait constitué un manque à
gagner pour Ibn Saoud.
Quel fut l’impact de la
découverte du pétrole saoudien ?
La Standard Oil of
California s’associa avec d’autres compagnies US pour
former Saudi Aramco, la compagnie nationale saoudienne du
pétrole. Tellement puissante qu’elle a parfois été
décrite comme un Etat dans l’Etat. Après
plusieurs années de recherches, l’Aramco a découvert
que l’Arabie saoudite possédait 25% des réserves
mondiales de pétrole. Sa production a d’ailleurs
littéralement explosé par la suite : de 21
millions de barils en 1945 à 2582 millions de barils,
trente ans plus tard.
Très logiquement, ce pays est donc
devenu stratégique pour Washington comme en témoigne
un mémorandum US de 1942 : « Nous
croyons fermement que le développement du pétrole
saoudien devrait être perçu à la lumière
de notre large intérêt national.
». Trois ans plus tard, alors qu’il
revient de la conférence de Yalta, le président
Roosevelt rencontre à bord du Quincy le roi Ibn Saoud. Le
chef d’Etat US assure à son homologue que la
sécurité de l’Arabie saoudite fait partie de
ses « intérêts vitaux » et soutient le
royaume pour assurer le leadership de la région. Succédant
à Roosevelt peu après, le président Truman
sera tout aussi bienveillant : « Aucune
menace ne pourrait peser sur votre royaume qui ne serait une
préoccupation immédiate pour les Etats-Unis
».
L’Aramco va même
sponsoriser une étude historique pour légitimer la
famille des Saoud. Des experts imagineront un arbre généalogique
prouvant que les membres de la tribu bédouine étaient
d’origine noble et même des descendants du prophète
Mahomet !
L’obtention des concessions saoudiennes
dans les années 30 a donc marqué un tournant dans
la politique US, car elle a permis à Washington de
s’implanter dans un Moyen-Orient largement dominé
par la Grande-Bretagne.
Après la Deuxième Guerre
mondiale, l’emprise des Etats-Unis sur la région va
devenir beaucoup plus forte…
Oui. L’Europe
était à genoux et les Etats-Unis, qui n’avaient
pas subi de pertes dans le conflit, sont sortis grands
vainqueurs. L’Empire britannique n’avait plus les
moyens de maintenir sa domination sur le monde arabe et les
Etats-Unis l’ont progressivement remplacé.
L’Arabie saoudite, est-ce
uniquement une affaire de pétrole ? D’autres pays
producteurs de pétrole n’ont pas reçu autant
d’égards…
Non, ce pays occupe
aussi une position géographique stratégique pour
Washington. En 1943, Dean Acheson, qui allait devenir secrétaire
d’Etat, écrivait : « L’Arabie
saoudite occupe un emplacement vital, entre la mer Rouge et les
voies navigables du golfe Persique, et sur la voie aérienne
qui mène directement à l’Inde et à
l’Extrême-Orient. ».
En 1945, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis passaient un
accord pour construire la base militaire de Dahran sur la rive
ouest du golfe Persique. Elle était située tout
près de la ville spécialement construite pour les
employés de l’Aramco : l’armée US
veillait donc directement sur les intérêts
pétroliers. Mais sa position centrale permettait aussi aux
Etats-Unis engagés dans la Seconde Guerre mondiale de
relier leurs bases en Afrique du Nord au champ de bataille du
Pacifique.
Lorsque la guerre prit fin, cette base
militaire avait-elle encore une utilité ?
Plus que jamais ! Au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, les Etats-Unis ont considéré
l’Union soviétique comme leur principal ennemi. Ils
craignaient que les communistes étendent leur influence
jusqu’au Moyen-Orient. La base de Dahran constituait donc
un point d’ancrage important pour intervenir militairement
dans le monde arabe.
Et là, j’en viens à
l’élément qui unit le plus l’Arabie
saoudite aux Etats-Unis : la lutte contre le communisme.
Dans sa bataille pour dominer le monde, Washington cherchait à
contrer l’influence soviétique aux quatre coins de
la planète. De son côté, la dynastie
saoudienne nourrissait une haine féroce pour le
communisme. Par exemple, peu de temps après que l’armée
US ait largué une bombe atomique sur Hiroshima, le roi Ibn
Saoud s’empressa d’envoyer un message au président
Truman pour lui demander de larguer une autre bombe sur l’Union
soviétique. Quelques années plus tard, le même
roi Ibn Saoud lançait à un officiel étasunien:
« Trouvez-moi un communiste
en Arabie saoudite, et je vous donnerai sa tête
».
Comment expliquer cette haine du
communisme chez les Saoud ?
L’Arabie saoudite est un Etat féodal
arriéré qui n’a même pas de
constitution. Avec Brunei, le Sultanat d’Oman et le
Swaziland, l’Arabie saoudite est la dernière
monarchie absolue de l’Histoire. Il n’y a donc pas de
parlement et le peuple n’a rien à dire dans la
gestion du pays. Le royaume est en fait considéré
comme la propriété personnelle de la famille Saoud.
D’ailleurs, Ibn Saoud n’a-t-il pas donné son
nom à ce pays ? En fait toute la population saoudienne
est, comme on dit là-bas, un « Saoudi ».
Ce qui veut dire ?
« Tu nous
appartiens » ! Et si vous refusez, ils vous enlèvent
votre nationalité ! « Saoudi » est une
personne… ce n’est pas une nation… C’est
juste un seul homme : le Roi Abdul-Aziz Ibn Saoud qui a
donné son nom à la nation. Vous comprenez pourquoi
la dynastie saoudienne a toujours redouté le communisme,
ses idées égalitaires et le nationalisme
progressiste qu’il inspirait dans le monde arabe et
ailleurs sur la planète. Si le peuple saoudien se laissait
gagner par de telles idées, la légitimité de
la famille royale et son despotisme auraient été
remis en cause.
On n’a pas organisé des
élections en 2005 ?
Une comédie ! Il
y a quelques années, l’hebdomadaire US Newsweek
avait inclus le roi Abdallah dans le top 10 des dirigeants
œuvrant pour faire avancer la démocratie dans le
monde. C’est ridicule ! Le seul scrutin organisé en
Arabie saoudite portait sur des élections municipales en
2005. D’après les analystes sur place, il s’agissait
surtout d’une farce. La moitié des conseillers
municipaux étaient élus par le peuple, l’autre
moitié par le prince en charge des affaires locales. Mais
concrètement, les représentants n’avaient
aucun pouvoir. De nouvelles élections devaient se tenir en
2009, mais ont été repoussées tant les
citoyens n’y croient pas !
La question de la démocratie, à
part ce leurre, le régime dictatorial y répond
toujours par la violence. Au début des années 90
par exemple, de jeunes cheikhs indépendants de
l’institution officielle réclamaient une série
de réformes. Le pouvoir répondit en créant
une assemblée consultative dont les membres étaient
nommés par le roi. Les islamistes réformateurs
manifestèrent alors leur mécontentement devant ce
renforcement du pouvoir royal à l’opposé de
leurs revendications. Le gouvernement emprisonna les principaux
leaders de cette opposition !
L’Arabie saoudite, c’est
le régime le plus oppresseur envers les femmes…
Oui, un pays où
les femmes n’existent pas. La discrimination a leur égard
est littéralement institutionnalisée, elles n’ont
donc pas moyen de se défendre. Il est, par exemple,
interdit pour une Saoudienne de prendre le volant ! De même,
une femme ne peut être admise dans un hôpital ou
voyager sans l’accord de son tuteur masculin (époux,
père, frère…). Mais l’absurde de cette
discrimination tourne souvent au drame.
En 2002, un incendie a frappé une école
de filles à La Mecque. La Muttawa, la police religieuse du
royaume, est intervenue en même temps que les pompiers.
Comme l’incendie s’était déclaré
tôt au matin, certaines jeunes filles n’étaient
pas vêtues comme il aurait fallu pour être vues par
les hommes du service d’incendie. La Muttawa empêcha
donc les filles qui n’étaient pas accompagnées
d’un tuteur masculin de quitter le bâtiment en
flammes. Selon différents témoignages, dont ceux de
Human Rights Watch, quinze fillettes sont ainsi décédées
et une cinquantaine d’autres ont été
blessées. Le directeur de l’école a été
limogé, mais la Muttawa et le Comité pour la vertu
et la prévention du vice n’ont pas été
inquiétés.
Quand on voit les campagnes
médiatiques déchaînées contre l’Iran
par exemple, n’est-ce pas étonnant, ce silence des
grands médias à propos de l’Arabie saoudite ?
Oui, surtout que les
Etats-Unis prétendent « se battre pour les femmes »,
en Afghanistan ou en Iran. Ce silence soulève beaucoup de
questions sur le rôle de nos médias !
Revenons au combat contre le
communisme, il a été mené en étroite
liaison avec les Etats-Unis…
Oui, après la Deuxième Guerre
mondiale, beaucoup de pays d’Afrique, du Moyen-Orient et
d’Asie se libérèrent progressivement du joug
colonial. Mais Washington craignait alors que ces nouveaux Etats
ne basculent dans le giron soviétique. Alors, dans les
années 50, le président Eisenhower et son
secrétaire d’Etat, John Foster Dulles, élaborèrent
une stratégie confiant un rôle très important
à l’Arabie saoudite. Il fallait présenter les
Etats-Unis comme un pays opposé au colonialisme. Et
l’Arabie saoudite était censée démontrer
au reste du monde la réussite d’un Etat qui s’était
tourné vers Washington.
En réalité, Eisenhower et Dulles
avaient juste adapté le colonialisme en lui donnant une
autre forme : les compagnies privées jouaient le rôle
des Etats coloniaux d’autrefois et pillaient les matières
premières des pays dominés tandis que Washington
finançait dans ces néo-colonies une élite
pour réprimer les peuples. Ceux-ci étaient, encore
une fois, les grands perdants.
Mais nous avons vu qu’un grand
pays arabe avait osé affronter le colonialisme. En
renversant le roi égyptien Farouk en 1952 et en instituant
une république socialiste, le lieutenant-colonel Nasser
lançait un sacré défi à Washington et
à Riyad. Quelle a été leur réaction ?
Pour l’Arabie
saoudite, c’était une catastrophe. Nasser avait
renversé une monarchie et cet exemple invitait à
renverser les monarchies féodales pour instaurer des
républiques. De plus, il prêchait le nationalisme
arabe dans toute la région, c’est-à-dire
l’indépendance vis-à-vis des puissances
néo-coloniales.
Dès lors, la dynastie des Saoud se
sentait directement menacée. Car la famille saoudienne et
son régime arriéré ne devaient leur survie à
la tête du royaume qu’au soutien des Etats-Unis. Il
était impossible pour eux de mener une politique
indépendante de Washington.
Pour sa part, Eisenhower a d’abord cru
qu’il pourrait mettre Nasser de son côté. Mais
en 1955, le président égyptien conclut avec la
Tchécoslovaquie un important achat d’armes. Cette
première vente d’armes soviétiques à
un pays non communiste signifiait que Nasser avait choisi son
camp et que l’URSS s’implantait au Moyen-Orient.
L’émoi fut très vif en Israël, en Europe
et aux Etats-Unis.
Un an plus tard, le président
égyptien nationalisa le canal de Suez. Le 29 octobre 1956,
la France, la Grande-Bretagne et Israël attaquèrent
l’Egypte. Mais les Etats-Unis restèrent en dehors du
conflit. Cela semble surprenant…
Dulles et Eisenhower ne voulaient pas briser
l’image anticoloniale qu’ils s’étaient
efforcés de construire. Alors que son gouvernement
étudiait la possibilité de participer à
l’attaque contre l’Egypte, Eisenhower demanda :
« Comment pourrions-nous
soutenir la France et la Grande-Bretagne si ce faisant, nous
perdons tout le monde arabe ? »
La situation des impérialistes et de
leurs régimes était tactiquement délicate.
Pour manifester leur opposition à l’attaque contre
Nasser, les pays arabes mirent en place un embargo pétrolier
contre l’Europe. L’Arabie saoudite, malgré son
aversion pour le président égyptien, y participa
pour ne pas se mettre l’ensemble du monde arabe sur le dos.
Mais Eisenhower refusa de venir au secours de ses alliés
européens en augmentant la production de pétrole US
et finalement, sous les injonctions de Washington et de Moscou,
les troupes françaises, britanniques et israéliennes
se retirèrent.
Nasser sortit renforcé du conflit, sa
popularité était devenue immense dans le monde
arabe et il se rapprocha de l’Union soviétique. Les
Etats-Unis n’avaient pas pu profiter de leur attitude dans
le conflit pour ramener Nasser dans leur cercle d’influence.
Le nationalisme arabe du président égyptien prenait
de l’ampleur, gagnant la Syrie, l’Irak et le Yémen.
Au Yémen du Nord justement,
l’influence du nationalisme arabe déboucha sur une
révolution en 1962. Alors que l’Arabie saoudite
soutenait la dynastie royale en péril, l’Egypte
appuyait les révolutionnaires républicains. Peut-on
parler, comme certains historiens, de guerre froide arabe ?
En quelque sorte, oui.
En 1962, des révolutionnaires renversèrent le
régime féodal de l’imam-roi Muhammad al-Badr
dans le Yémen du Nord pour instaurer une république
civilisée et indépendante des puissances
impérialistes. Ce mouvement était soutenu par
Nasser qui défendait le nationalisme panarabe. Le
président égyptien envoya ses troupes soutenir les
révolutionnaires dans leur combat contre les forces
royalistes, ce qui effraya grandement l’Arabie saoudite,
les Etats-Unis, Israël et l’Europe.
Riyad voyait la révolution antiféodale
frapper à ses portes et mobilisa son armée pour
restaurer le pouvoir du roi al-Badr. Le danger était de
taille pour les Saoud, car les idées des républicains
yéménites avaient déjà une certaine
influence en Arabie saoudite : des pilotes de l’armée
nationale refusèrent de bombarder les révolutionnaires
et rejoignirent le Yémen. Appuyée par l’Occident,
l’Arabie saoudite s’engagea dans la bataille pour
faire avorter la révolution yéménite que
soutenait Nasser. Ce fut un conflit meurtrier. Finalement, le
gouvernement républicain et nationaliste du Yémen
du Nord ne fut pas renversé, mais sortit très
affaibli de cette bataille.
La position des Etats-Unis au début
de ce conflit était plutôt surprenante. Alors que le
prince Fayçal d’Arabie saoudite demandait à
Washington un soutien financier et armé pour combattre les
troupes égyptiennes, le président Kennedy pria le
prince d’entamer des réformes dans son pays.
Pourquoi ?
Kennedy reconnut assez
rapidement le nouveau gouvernement yéménite, ce qui
inquiéta Fayçal. Et au lieu de recevoir tout
l’appui nécessaire pour combattre l’armée
égyptienne au Yémen, le prince saoudien se vit
demander un plan de réformes pour moderniser et rendre
plus acceptable l’image du royaume sur la scène
internationale.
En fait, Kennedy espérait pouvoir
écarter Nasser du giron soviétique. Washington ne
souhaitait donc pas afficher trop ouvertement son soutien à
l’Arabie saoudite, principal ennemi de l’Egypte. Dans
un premier temps, Fayçal se plia aux exigences de la
Maison Blanche et présenta un programme de réformes
en dix points pour moderniser l’économie saoudienne
et abolir l’esclavage qui était toujours en vigueur
dans le royaume.
Finalement, comme Eisenhower quelques années
auparavant, Kennedy réalisa qu’il ne parviendrait
pas à s’attirer les faveurs de Nasser. L’Arabie
saoudite, avec sa haine du communisme et du nationalisme arabe,
restait le meilleur allié possible des États-Unis
dans la région. Il accéda donc à la demande
de soutien de Fayçal au Yémen et le plan de
réformes tomba aux oubliettes. Par la suite, Lyndon
Johnson, le successeur de Kennedy, abandonna toute tentative de
courtiser Nasser et affirma son soutien total à l’Arabie
saoudite.
La guerre du Yémen se termine
donc sur un cessez-le-feu entre l’Arabie saoudite et
l’Egypte en 1965. Mais deux ans plus tard, la bête
noire des Saoudiens, Nasser, est de nouveau dans la tourmente
avec la guerre des Six Jours. Une aubaine pour les Saoud ?
En effet. En juin 1967, un conflit oppose
Israël à une coalition de pays arabes : Egypte,
Jordanie et Syrie. Déclenchée par Tel-Aviv, cette
bataille très brève infligea une défaite
cinglante à Nasser. Le premier jour de l’attaque,
Israël avait détruit la moitié de l’aviation
arabe. Et après six jours, il avait conquis la bande de
Gaza et la péninsule du Sinaï en Egypte, la
Cisjordanie et Jérusalem-Est en Jordanie et le plateau du
Golan en Syrie.
Ce fut un revers accablant tant pour Nasser
que pour le nationalisme arabe qu’il défendait. Ses
idées perdirent de leur prestige dans le monde arabe.
Beaucoup se tournèrent vers la principale alternative de
l’époque : l’islam politique défendu
par l’Arabie saoudite.
Comment l’Arabie saoudite
s’est-elle retrouvée chef de file de l’islam
politique ?
Pour contrer
l’influence de l’Union soviétique, Eisenhower
mit au point une stratégie consistant à apporter un
soutien financier et militaire à tout pays du Moyen-Orient
qui serait « menacé par le communisme ». Mais
la doctrine Eisenhower fut un échec. D’une part,
l’envoi de grosses sommes d’argent vers des pays
riches en pétrole soulevait beaucoup de questions aux
Etats-Unis. D’autre part, les pays arabes qui auraient
accepté cette aide se seraient ouvertement affichés
contre l’Egypte nassérienne qui avait encore le vent
en poupe à l’époque auprès des
populations de la région. Alors, Washington élabora
une autre stratégie. On allait employer l’islam
comme une arme politique pour contrer le nationalisme arabe
laïque de Nasser. Cette stratégie fut initiée
au début des années 60, sous le règne de
Saoud Abdelaziz, le fils aîné et successeur d’Ibn
Saoud. Mais le souverain, connu pour son amour des femmes, des
jeux d’argent et de l’alcool, ainsi que pour sa
mauvaise gestion du royaume, n’avait pas le profil idéal
pour assumer le rôle attendu. Il fut donc écarté
au profit de son frère Fayçal.
En application de cette nouvelle stratégie,
l’Arabie saoudite créa la Ligue islamique mondiale,
une organisation ultraconservatrice inspirée par
l’extrémisme wahhabite pour contrer l’influence
de Nasser. La Ligue déclarait par exemple que le
nationalisme était le pire ennemi des Arabes. Dans un
premier temps, la popularité de Nasser étant
tellement grande, cet islam politique ne rencontra pas un grand
succès. Mais la défaite du président
égyptien dans la guerre des Six Jours changea la donne.
Après ce conflit et la perte de prestige du nassérisme,
l’alternative offerte par Fayçal reçut un
plus grand soutien populaire et l’Arabie saoudite devint un
acteur-clé du Moyen-Orient. Ce rôle prépondérant
allait être renforcé par la première crise
pétrolière en 1973.
En quoi cette crise renforça-t-elle
l’influence de l’Arabie saoudite ?
En 1973, la guerre du
Kippour opposa Israël à une coalition menée
par la Syrie et l’Egypte, alors présidée par
Anouar al-Sadate. Les pays arabes producteurs de pétrole
décidèrent d’appliquer un embargo contre les
pays qui soutenaient Israël. Dont les Etats- Unis
évidemment. L’Arabie saoudite se joignit à
l’action, mais en réalité, elle violait
l’embargo en continuant d’approvisionner les navires
de guerre US embarqués dans la guerre au Vietnam.
Cet embargo fit décoller le prix du
baril de pétrole, ce qui profita aux membres de
l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole
(OPEP). Le choc pétrolier de 1973 marqua en fait le
premier grand transfert d’argent de l’Occident vers
le tiers monde. Pour l’Arabie saoudite, cet événement
a eu trois grandes conséquences… Premièrement,
l’important afflux d’argent permit de moderniser le
pays. Mais cette modernisation allait progressivement créer
des contradictions entre une société saoudienne
plus éduquée et le régime arriéré
qui la contrôlait.
Deuxièmement, pour empêcher que
le pétrole puisse être utilisé comme un
instrument de chantage contre Washington, Henry Kissinger, alors
responsable de la politique internationale des Etats-Unis,
développa une théorie visant à faire de
l’Arabie saoudite un actionnaire majeur de l’économie
US. Les États-Unis amenèrent la monarchie
pétrolière à investir chez eux les
importantes sommes d’argent récoltées après
le premier choc. Ainsi, les destins de Riyad et de Washington
devenaient encore plus liés.Par ailleurs, les Etats-Unis
étaient en pleine crise du Vietnam, le Japon était
devenu la deuxième économie du monde et les
Européens, ayant pansé les blessures de la Seconde
Guerre mondiale, devenaient plus puissants. C’est à
cette époque que les pétrodollars furent introduits
aussi dans l’économie européenne. Cette
opération conféra au dollar une valeur
internationale et permit aux Etats-Unis de garder le leadership.
Troisième conséquence du choc
pétrolier de 1973 : l’Arabie saoudite n’a
pas investi son argent uniquement dans l’économie
US. Elle en a utilisé une grosse partie pour combattre le
communisme partout dans le monde.
Concrètement, comment l’Arabie
saoudite va-t-elle utiliser ses revenus pétroliers pour
combattre le communisme ?
En 1970, Nasser mourut
d’une crise cardiaque à l’âge de 52 ans.
Anouar al-Sadate lui succéda, poursuivant dans un premier
temps sur la ligne nationaliste de son prédécesseur.
Mais rapidement, utilisant l’argent du pétrole comme
une arme idéologique, l’Arabie saoudite entreprit
d’arracher l’Egypte à l’influence
soviétique. Chaque année, Riyad investissait 2,5
milliards de dollars dans l’économie égyptienne
et cet investissement porta ses fruits. Sadate se tourna
rapidement vers l’Occident, abandonna définitivement
le nassérisme, ouvrit le pays aux multinationales et
capitula devant Israël.
Mais vous parliez d’une action
mondiale des Saoud…
Oui, dans les années 70, alors que le
monde capitaliste était en crise, l’Afrique était
particulièrement agitée… Les anciennes
colonies portugaises d’Angola, du Mozambique et du Zimbabwe
avaient gagné leur indépendance. L’Ethiopie,
soutenue par l’Union soviétique, se disputait
l’Ogaden avec la Somalie, elle, soutenue par les
Etats-Unis. La solidarité avec le peuple noir d’Afrique
du Sud grandissait chaque jour et de nombreux Etats africains
avaient coupé leurs relations avec Israël qui
soutenait le gouvernement d’apartheid…
C’est à cette époque, en
1976 exactement, que fut créé le Safari Club. La
CIA sortait du scandale du Watergate (écoutes clandestines
des démocrates par le président Nixon) et avait les
mains relativement liées. Son directeur, George Bush
(père), et le secrétaire d’Etat Henry
Kissinger appuyèrent donc la création de cette
association pour combattre l’influence soviétique en
Afrique et au Moyen- Orient.
« Safari Club » ! On
imagine qu’il ne s’agissait pas de tourisme ?
Non, il regroupait les services d’espionnage
français avec leur patron Alexandre de Marenches, le Maroc
d’Hassan II, l’Egypte de Sadate, l’Iran du
Shah, le Congo de Mobutu et l’Arabie saoudite. Cette
organisation mit sur pied un important réseau de
financements. Elle aida Mobutu à réprimer un
mouvement de contestation dans la riche région minière
du Katanga, elle appuya le président somalien Siad Barre
dans la guerre d’Ogaden, elle facilita le rapprochement
entre Israël et l’Egypte, etc.
L’Arabie saoudite officia également
au sein de la « Ligue anticommuniste mondiale » où
l’on retrouvait les Etats-Unis, des criminels de guerre
nazis et japonais, la secte « Eglise de l’Unification
» du révérend Moon et aussi des groupes
fascistes d’Europe et d’Amérique latine. Cette
Ligue anticommuniste lutta activement contre le communisme en
Asie, contre la théologie de la libération en
Amérique latine et contre l’émergence de
partis d’extrême gauche en Europe durant la seconde
moitié du vingtième siècle.
Les Saoud ont donc largement utilisé
l’argent du pétrole pour lutter contre le communisme
et l’influence soviétique partout dans le monde.
Avec Israël et le Chah d’Iran, l’Arabie saoudite
constituait un pilier essentiel de la politique US au
Moyen-Orient et même plus largement, dans le monde entier.
Justement, en 1979, l’un de ces
piliers s’effondre. Le Chah d’Iran est renversé
par la révolution islamique de l’ayatollah Khomeiny.
Quel est l’impact de cet événement sur
l’Arabie saoudite ?
Ce fut d’abord un
coup dur pour les Etats-Unis qui perdirent l’un de leurs
plus fidèles alliés. Le nouveau régime
iranien était ouvertement hostile à Washington. Et
la révolution iranienne envoyait un très mauvais
signal aux pays de la région : les États-Unis
n’étaient pas capables d’assurer la protection
de leurs marionnettes.
Ce fut également un coup dur pour
l’Arabie saoudite. Un nouvel islam politique,
diamétralement opposé à celui des Saoud,
prenait de l’ampleur au Moyen-Orient. Alors que Riyad avait
utilisé la religion pour combattre le nationalisme arabe
et servir les intérêts de Washington, la révolution
islamique s’inscrivait au contraire dans une ligne
anti-impérialiste.
Par ailleurs, dans l’est du pays,
l’Arabie saoudite comporte une minorité chiite comme
l’est le régime iranien. Cette minorité a
toujours été délaissée et les Saoud
craignaient que Khomeiny puisse l’influencer.
Comment Washington et Riyad ont-ils
lutté contre Khomeiny ?
Le gouvernement Reagan
voulait utiliser l’Arabie saoudite comme un rempart pour
contrer l’influence de la révolution iranienne. En
1981, le roi Khaled tenta de corrompre un colonel de l’aviation
iranienne pour renverser Khomeiny, mais sans succès.
Mais le plus gros du travail a été
réalisé par le président irakien Saddam
Hussein. Devant l’impossibilité de renverser
Khomeiny, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et le Koweït
encouragèrent l’Irak à attaquer l’Iran.
Washington mena un jeu machiavélique en soutenant les deux
parties à la fois. Henry Kissinger déclara
d’ailleurs, à propos de cet horrible conflit qui
dura huit ans et fit plus d’un million de morts : «
Laissez-les s’entretuer ». De son côté,
l’Arabie saoudite apporta à l’Irak un soutien
financier à hauteur de trente milliards de dollars sur les
huit années de guerre.
A l’issue du conflit, Saddam Hussein,
particulièrement remonté contre Washington,
prononça un discours à la Ligue Arabe. Il mit en
lumière la stratégie US visant à laisser les
Irakiens et les Iraniens s’entretuer pour mieux contrôler
la région. Alors qu’il disposait d’une
économie solide au début des années 80,
l’Irak était devenu le pays le plus endetté
de la planète. Ses principaux créanciers étaient
l’Arabie saoudite et le Koweït. Mais à présent,
ces pays le soumettaient à un chantage financier en
affaiblissant délibérément le cours du baril
pour priver Bagdad des ressources qui auraient permis de
rembourser ses dettes.
Suite à diverses provocations
koweïtiennes, Saddam Hussein décida d’envahir
le petit émirat pétrolier en 1990. Cette invasion
allait déboucher sur la première guerre du
Golfe (16 janvier – 3 mars 1991).
Les Saoudiens craignaient-ils d’être
les prochains sur la liste après le Koweït ?
L’Arabie saoudite
était sur le pied de guerre, mais la possibilité
que Saddam attaque le royaume était très faible. Le
véritable problème était ailleurs : en
récupérant le Koweït, qui faisait partie
historiquement de l’Irak, mais que les colons britanniques
avaient séparé arbitrairement, le régime de
Saddam Hussein serait devenu le premier producteur de pétrole.
Ni l’Arabie saoudite, ni les États-Unis ne pouvaient
l’accepter.
Positionnées au Koweït, les
troupes irakiennes étaient aux portes de l’Arabie
saoudite. Mais cette dernière, bien qu’ayant dépensé
des sommes astronomiques pour acheter des armes aux États-Unis,
se révéla incapable de lutter contre l’armée
de Saddam. C’est une information importante, car elle
montre à quel point les grosses commandes d’armement
passées aux Etats-Unis ne servaient pas à la
sécurité du royaume, mais constituaient plutôt
un transfert d’argent, un cadeau de Riyad à
Washington.
Incapable de se défendre, l’Arabie
saoudite se résolut à accueillir sur son territoire
des troupes US dans le cadre de l’opération Tempête
du désert qui mit fin à l’occupation du
Koweït par l’Irak. Cette décision souleva de
fortes protestations au sein de la population : beaucoup
s’opposaient à la présence de soldats nord-
américains sur les terres musulmanes d’Arabie
saoudite.
Parmi eux, Oussama Ben Laden…
Exact. Oussama Ben Laden vient d’une des
familles les plus fortunées d’Arabie saoudite. En
1960, il existait une centaine de foreuses de puits pétroliers
dans le monde et plus de la moitié appartenait à la
famille Ben Laden !
Le riche Oussama se fit remarquer sur la scène
politique lors de la guerre d’Afghanistan dans les années
80. En 1979, l’Union soviétique intervint dans ce
pays d’Asie centrale pour soutenir le gouvernement
socialiste menacé par une rébellion interne. Cet
événement alerta les Etats-Unis et l’Arabie
saoudite qui craignaient de voir Moscou se renforcer dans la
région. Mais Washington y vit surtout l’occasion de
porter un coup fatal à son principal concurrent. Les USA
ont réussi à faire de l’Afghanistan le «
Vietnam des Soviétiques » : une guerre longue,
coûteuse et éprouvante. Pour créer un effet
d’embourbement, il fallait que l’intervention de
l’URSS rencontre une forte résistance. Et c’est
là qu’intervient l’Arabie saoudite…
Quelle est la motivation de celle-ci ?
1979 a été
une année particulièrement mouvementée pour
l’Arabie saoudite. En Iran, son allié le Chah est
renversé. En Afghanistan, l’URSS envoie ses troupes.
Et à La Mecque, le 20 novembre, un groupe de deux cents
fondamentalistes armés et opposés à la
famille royale a pris le contrôle de la Grande Mosquée,
otages à la clé.
Les Saoud, incapables de déloger les
rebelles, ont dû faire appel au Groupe d’Intervention
de la Gendarmerie française (GIGN). Cette intervention
était très mauvaise pour l’image de la
famille royale pour deux raisons. D’abord, elle prouvait
que les Saoud étaient incapables de mener à bien ce
genre d’opérations et devaient compter sur les
Occidentaux. En outre, des non-musulmans n’ont pas le droit
de pénétrer dans la Grande Mosquée. Après
cet incident, la dynastie avait donc besoin de rasseoir sa
légitimité et son soutien populaire de plus en plus
contestés. La guerre d’Afghanistan allait l’y
aider.
Comment ?
L’Arabie saoudite
s’afficha comme le grand défenseur des terres
musulmanes assaillies par les communistes en Afghanistan. En
réalité, Washington et Riyad voulaient simplement
faire tomber leur ennemi soviétique.
Le roi Khaled et Zbigniew Brzezinski, le
conseiller aux Affaires étrangères du président
Jimmy Carter, passèrent un accord : pour chaque
dollar que les Etats-Unis mettraient dans la guerre en
Afghanistan, l’Arabie saoudite en ferait autant. Au final,
l’addition s’éleva à plusieurs
milliards de dollars de part et d’autre ! L’économie
saoudienne devint très endettée et, pour surmonter
ces problèmes de liquidité, le royaume augmenta
considérablement sa production de pétrole. Du coup,
le prix du baril chuta de trente à huit dollars, causant
la perte de l’OPEP. En effet, l’organisation ne
pouvait plus utiliser l’or noir comme arme politique pour
faire entendre ses revendications. Et une fracture importante se
créa entre les petits producteurs et les riches pays du
Golfe. Ceci atteignait un objectif qui avait été
défini dès 1973 par Henry Kissinger.
Quel a été le rôle
concret de l’Arabie saoudite dans la guerre d’Afghanistan
?
Les services secrets
saoudiens ont recruté des combattants pour y lutter contre
les Soviétiques au nom de l’islam. Beaucoup de ces
combattants venaient des minorités musulmanes d’Europe.
Comment avaient-ils été
contactés ?
L’Arabie saoudite
avait un contact privilégié avec ces minorités
à travers les nombreuses mosquées qu’elle
avait financées en Europe. Cette implantation a commencé
dans les années 60 avec la création de la Ligue
islamique mondiale. Selon un journal saoudien, le royaume aurait
dépensé 45 milliards de dollars pour financer la
construction de mosquées en Europe. A Bruxelles, par
exemple, le roi Fayçal a entièrement pris en charge
les travaux de réaménagement de la Grande Mosquée
que le roi Baudouin lui avait cédée. L’Arabie
saoudite serait ainsi intervenue dans le financement d’environ
1.500 mosquées et 2.000 centres islamiques. Dans les
années 80, elle disposait déjà d’un
réseau très important lorsqu’il a fallu
recruter des combattants pour l’Afghanistan.
Finalement, pour contrer l’influence
iranienne, rétablir son image ternie par la prise d’otages
de La Mecque et mobiliser des combattants pour l’Afghanistan,
le roi Khaled fit appel aux puissances religieuses les plus
obscures du royaume. Pourtant son père, le fondateur Ibn
Saoud, après s’être associé avec les
wahhabites pour conquérir les terres de la péninsule
arabique, avait tenté de contenir l’influence de ces
alliés extrémistes. Le roi Fayçal,
développant l’islam comme arme politique, avait lui
aussi essayé de tempérer les aspirations extrêmes
des fondamentalistes. Par contre, le roi Khaled, avec le soutien
des Etats-Unis, libéra des forces religieuses ultra
conservatrices qui allaient se retourner contre eux.
C’est dans le recrutement de
combattants pour l’Afghanistan qu’intervient Ben
Laden…
Tout à fait.
Oussama Ben Laden a mobilisé des moudjahidines, des
combattants de l’islam, et a lui-même rejoint
l’Afghanistan au sein du Ittehad-i-Islami, un groupe
fondamentaliste créé par le seigneur de guerre
afghan Abdul Rasul Sayyaf.
Finalement, les Etats-Unis et l’Arabie
saoudite réussirent leur coup : après dix
années de combat, l’Union soviétique finit
par se retirer d’Afghanistan, abandonnant le pays au chaos
des rivalités qui opposaient les seigneurs de guerre
locaux. L’URSS, minée par des problèmes
internes et le fiasco afghan, s’effondra deux années
plus tard, en 1991.
Ben Laden a donc servi les intérêts
des Etats-Unis en Afghanistan. Pourtant, dix ans plus tard, il
lançait l’attaque du 11 septembre. Pourquoi ?
Ben Laden n’est
pas intervenu en Afghanistan pour faire plaisir à
Washington, mais pour défendre un pays musulman attaqué
par une puissance étrangère. Mais c’est une
conséquence inattendue de l’Histoire : les
personnes que Washington et Riyad ont financées et armées
pour combattre les Soviétiques en Afghanistan allaient se
retourner contre eux par la suite.
Lorsque Ben Laden rentra d’Afghanistan,
l’Arabie saoudite était menacée par
l’invasion du Koweït menée par Saddam. Ben
Laden proposa à la famille royale de lever une armée,
mais les Saoud le remballèrent et firent
appel aux soldats étasuniens. Comme je l’ai dit, le
stationnement de troupes US sur les terres du royaume souleva de
vives protestations, y compris chez Ben Laden. Ce dernier était
furieux : il exigea le retrait des troupes étrangères
d’Arabie saoudite, ainsi que la fin des sanctions qui
frappaient l’Irak. Ben Laden estimaient que ces sanctions
étaient illégales et que les
Arabes devaient s’unir pour stopper ce massacre. Les
Etats-Unis lui apparaissaient maintenant comme le principal
ennemi du monde arabe. Et c’est Washington qui soutenait
cette dynastie saoudienne avec laquelle il était opposé.
Quelle était la contradiction
entre Ben Laden et le régime saoudien ?
Après le choc
pétrolier de 1973 et l’afflux d’argent vers
l’Arabie saoudite, le royaume a commencé à se
moderniser, le niveau d’éducation a augmenté,
mais le régime féodal et arriéré n’a
pas bougé. Cette situation a créé des
tensions au sein de la société, ainsi que dans la
bourgeoisie saoudienne. Il y a l’élite au pouvoir
dont le destin est intimement lié à celui de
Washington. Mais, il y a une frange de la bourgeoisie qui
voudrait développer une plus grande indépendance
nationale. Un conflit est né de cette division. Le
mécontentement grandissait et touchait de nombreux
segments de la société, y compris dans l’armée
et les forces de sécurité. Finalement, de nombreux
opposants ont été emprisonnés, mais un
mouvement est né de ce conflit, réclamant une
Constitution pour le royaume.
Ben Laden est issu de cette bourgeoisie
nationale qui réclame un changement. Il a utilisé
la religion, car c’est le seul langage qui pouvait trouver
écho en Arabie saoudite. Au départ, Al-Qaïda
n’a pas été créée pour
terroriser les gens, mais pour viser un changement social.
En tuant des innocents dans des
attentats ?
Je ne cautionne évidemment pas les
actions d’Al-Qaïda, mais pour bien comprendre ce
phénomène, nous devons aborder les questions de
fond, sans tabous. Il faut distinguer le révolutionnaire
du bandit. Le premier mène des actions avec pour objectif
de créer un changement. Le deuxième peut disposer
d’une organisation et de leaders charismatiques, mais ses
actions reposent sur le pillage et l’enrichissement
personnel.
Ben Laden, même s’il a employé
des méthodes de bandits, n’est pas un mafioso ou un
yakuza. Il est issu d’une famille extrêmement riche.
Pourquoi a-t-il tout plaqué pour vivre planqué dans
des cavernes à Tora Bora ?
Ben Laden est toujours présenté
comme un fanatique religieux qui mène une guerre sainte
contre l’Occident…
Qui interdit aux femmes
saoudiennes de conduire une voiture ? Qui ne veut pas d’une
Constitution en Arabie saoudite ? C’est le régime en
place et les wahhabites. Et ils sont soutenus par les Etats-Unis
! Oussama Ben Laden est opposé à la monarchie
saoudienne. Dans ses discours d’ailleurs, il ne parle
jamais de l’Arabie saoudite, mais de l’Arabie. Et il
utilise la religion pour confronter le régime. Il demande,
par exemple, au nom de quelle interprétation de l’islam
les femmes n’auraient pas le droit de conduire une voiture,
alors que selon lui, elles pourraient même piloter des
avions. Ou bien encore, pourquoi le pays n’a pas de
Constitution alors que le prophète Mahomet en a établi
une, à Médine, définissant des droits égaux
pour les musulmans, les chrétiens et les juifs ?
Présenter Oussama Ben Laden comme un
terroriste aveuglé par son fanatisme permet d’éviter
les questions qui fâchent. Mais cette interprétation
est très loin de la réalité.
Comment qualifier l’action de
Ben Laden alors ?
Michael Scheuer a travaillé à la
CIA où il était en charge du dossier Ben Laden. En
2003, il a démissionné, car il était en
désaccord avec la politique menée par
l’administration Bush pour lutter contre Al-Qaïda. Il
a depuis publié deux livres dans lesquels il a notamment
analysé les discours de Ben Laden. C’est une étude
très précieuse qui condamne l’analyse «
myope » visant à faire de l’ennemi public n°1,
un simple fanatique religieux.
Scheuer explique qu’Al-Qaïda n’a
pas attaqué les Etats-Unis parce que les valeurs de
l’Occident représentaient une menace pour l’islam.
Ben Laden ne reconnait pas la monarchie saoudienne et a d’abord
commis des attentats en Arabie saoudite. Il a ensuite jugé
qu’il devait s’en prendre directement au principal
soutien de la dynastie royale qui empêche toute réforme :
les Etats-Unis. C’est Washington qui soutient les régimes
corrompus du monde arabe, a imposé des sanctions à
l’Irak et a mené des guerres pour contrôler le
Moyen-Orient. Chercher à comprendre le combat mené
par Al-Qaïda nous renvoie inévitablement à la
politique menée par les Etats-Unis dans la région.
C’est pourquoi on préfère
présenter Ben Laden comme un fou. Mais ça
n’explique pas pourquoi il est vu par beaucoup de musulmans
dans le monde comme un héros ou pourquoi il a le soutien
de nombreux Saoudiens. Scheuer explique donc que Ben Laden mène
un djihad défensif contre la politique dévastatrice
des Etats-Unis dans le
monde musulman. Et ce n’est pas un fanatique
religieux qui le dit. C’est un occidental, ancien membre de
la CIA, et qui est l’une des personnes qui connaît le
mieux Ben Laden.
Aujourd’hui, l’Union
soviétique n’est plus. Et du pétrole, il y en
a un peu partout dans le monde. En quoi l’Arabie saoudite
est-elle encore un pays stratégique pour les Etats-Unis ?
L’Arabie saoudite dispose tout de même
de 25% des réserves de pétrole. De plus, elle s’est
imposée comme la gardienne du Golfe. Dans les années
80 en effet, pour lutter contre l’influence de l’Iran,
le roi Khaled a lancé, avec l’appui des Etats-Unis,
le Conseil de Coopération du Golfe. Cette institution,
largement contrôlée par Riyad, comprend le sultanat
d’Oman, le Koweït, Bahreïn, le Qatar et les
Emirats arabes unis. De manière directe ou indirecte,
l’Arabie saoudite veille donc sur 45% des réserves
de pétrole du monde.
Le régime féodal n’est
plus menacé par le communisme ou l’Union soviétique,
mais bien par les contradictions internes de la société
saoudienne. Or, pour les Etats-Unis, n’importe quelle
réforme du régime affaiblirait les intérêts
de l’impérialisme dans la région. Seul un
régime répressif, corrompu et autoritaire comme
celui des Saoud peut préserver les intérêts
US.
Pourquoi ?
Parce qu’un
pouvoir plus démocratique représenterait mieux les
aspirations du peuple. Or, celui-ci ne tient pas forcément
à brader les richesses du pays pour défendre la
politique des Etats-Unis et assurer un train de vie faramineux à
la dynastie royale.
Les Saoud ont rencontré leurs premiers
problèmes dans les années 60, lorsque la classe
ouvrière qui s’était composée dans le
royaume avec l’exploitation du pétrole lança
une vague de grèves pour réclamer de meilleures
conditions de travail. Le régime a réagi de manière
radicale en supprimant tout bonnement la classe ouvrière
saoudienne et en la remplaçant par l’importation
massive de travailleurs immigrés. Il est difficile d’avoir
des statistiques précises sur la population, car le
gouvernement joue beaucoup sur les chiffres. Mais le royaume
compterait environ sept millions de travailleurs immigrés
qui représenteraient 70% de la population active. Quatre
millions sont des ouvriers originaires du tiers monde, mais pas
d’Arabes pour éviter d’alimenter les
aspirations progressistes du nationalisme panarabe. Ces ouvriers
travaillent dans des conditions proches de l’esclavage et
subissent d’importantes discriminations. D’après
un rapport d’Human Rights Watch, les domestiques sont
considérées comme la propriété de
leur employeur. Certaines travaillent plus de douze heures par
jour, dorment à même le sol de la cuisine ou de la
salle de bain, n’ont pas le droit de sortir. D’autres
sont abusées sexuellement. Et dans les rares cas où
une plainte est déposée, la police tend à se
ranger du côté du bourreau saoudien.
Il n’y a pas de cadre légal
pour protéger ces travailleurs ?
En théorie, il y a quelques mesures. En
pratique, c’est différent. Il faut que le
travailleur sache déjà où il peut
s’adresser, qu’il ose porter plainte contre son
employer au risque de se faire réprimander davantage et
enfin, qu’il franchisse l’obstacle de la langue. La
plupart de ces travailleurs ne savent pas se faire comprendre de
la justice. Human Rights Watch conclut qu’il est préférable
à ces immigrés d’éviter le système
judiciaire saoudien. Souvent, on leur arrache des aveux sous la
torture et les consulats ne sont même pas informés
de la détention de leur ressortissant, ce qui est
contraire à la loi internationale. En 2001 et 2002, les
travailleurs immigrés constituaient 40% des condamnés
à la décapitation. D’après divers
témoignages, il apparaît que la grande majorité
de ces condamnés n’ont compris ce qui leur arrivait
qu’au moment de leur exécution. Il n’y avait
pas eu d’assistance consulaire et les quelques privilégiés
qui auraient pu entrer en contact avec un avocat étaient
bloqués par la langue.
A côté de ça, vous trouvez
des Occidentaux entassés dans des ghettos de luxe et qui
gagnent un salaire beaucoup plus important que celui qu’ils
pourraient percevoir dans leur pays d’origine. Les épouses
de ces travailleurs perçoivent une allocation de revenus
sans travailler. Chaque ménage reçoit six billets
d’avion par an pour pouvoir retourner dans son pays
d’origine à l’occasion des fêtes de fin
d’année. Et les enfants reçoivent des bourses
d’études !
Comment expliquer une telle différence
entre les travailleurs du tiers monde et les Occidentaux ?
Le royaume a besoin
d’attirer des travailleurs qualifiés de l’étranger.
Le gouvernement préfère cette option à celle
de former lui-même le personnel nécessaire, car il
ne veut pas voir apparaître une classe dirigeante arabe.
Pensez-vous que, sous l’effet
des révolutions tunisienne et égyptienne, ces
contradictions sociales pourraient déboucher sur des
changements en Arabie saoudite ? Bien que les manifestations
soient formellement interdites dans le
royaume, quelques centaines de citoyens sont descendus dans la
rue début 2011. C’est assez exceptionnel…
Les révoltes
populaires en Tunisie, en Egypte et au Yémen, ont
particulièrement interpellé les dirigeants
saoudiens. Avec l’aide des puissances impérialistes,
les monarchies arriérées du Golfe tentent de faire
leur propre révolution. D’une part, en tentant de
contrôler le cours des événements en Tunisie
et en Egypte. D’autre part, en provoquant des soulèvements
populaires dans des pays comme la Syrie et la Libye. La chaîne
de télévision Al Jazeera est d’ailleurs
devenue un outil de propagande pour rencontrer ces objectifs. Par
exemple, elle a diffusé des fausses images de répression
en Syrie et n’a pratiquement pas parlé d’une
énorme manifestation qui se tenait au Yémen au même
moment.
Il y a bien sûr des problèmes
réels en Syrie, mais les tensions sont exacerbées
par l’Arabie saoudite qui soutient les fondamentalistes
sunnites du pays. Les Saoud et leurs alliés impérialistes
espèrent ainsi affaiblir le Liban et l’Iran. Ces
pays du Golfe essaient donc de profiter des révoltes
arabes pour modifier les rapports de force en leur faveur.
Et l’Arabie saoudite est hors de
danger ? Des conditions sociales épouvantables ont poussé
les Egyptiens et les Tunisiens dans la rue. Par contre, les Saoud
peuvent compter sur les richesses pétrolières pour
calmer la population. De plus, la véritable misère
est surtout endurée par des travailleurs immigrés
qui ne sont pas arabes…
Vous savez, il y a en Arabie saoudite une
révolte qui dure depuis des dizaines d’années
et dont les médias ne parlent pas. En effet, une part
importante de la bourgeoisie nationale s’oppose au monopole
politique exercé par la famille royale. Il y a eu de
nombreux incidents, des arrestations, des exécutions, des
exils… Parmi cette bourgeoisie, certains voudraient au
mieux instaurer une monarchie constitutionnelle, mais d’autres
souhaitent aller plus loin en renversant la dynastie.
Vous avez raison de signaler que la famille
royale peut en effet se permettre de financer des programmes
sociaux qui calmeront un temps les citoyens. Mais le niveau de
conscience politique ne cesse de grimper et on ne peut pas
arrêter cela à coup de pétrodollars. Beaucoup
se rendent compte que leur régime est totalement arriéré.
Si une révolte éclatait,
l’armée pourrait-elle jouer un rôle important
comme en Egypte ?
C’est totalement
différent. En Arabie saoudite, il n’y a pas d’armée
nationale. Vous avez juste une milice suréquipée
qui obéit aux ordres des princes. C’est une armée
féodale avec une machinerie moderne, mais pas très
efficace comme on a pu le voir lorsque Saddam a envahi le Koweït.
Normalement, une armée nationale
intègre tous les segments de la société et
constitue souvent l’embryon de la nation. Mais les
dirigeants saoudiens n’ont jamais voulu de cela. En Irak,
en Syrie, en Egypte, en Libye, les monarques arabes ont été
renversés par des membres de l’armée. Les
Saoud ont toujours redouté qu’il leur arrive la même
chose. Ils savent qu’une armée nationale ne pourrait
adhérer à l’idéologie arriérée
de la famille royale et risquerait de la renverser.
Le pays n’est pas très
bien protégé alors ?
La chose qui compte le
plus pour la famille royale, c’est de maintenir le régime
en place. Elle ne veut donc pas d’une armée
nationale classique. Mais en cas de problème de sécurité,
les Saoud peuvent toujours compter sur le soutien des Etats-Unis.
Si des troubles importants devaient éclater dans le
royaume, je ne serais pas surpris de voir débarquer des
soldats US.
L’Arabie saoudite dispose
d’importantes richesses et d’une position
stratégique. Les dirigeants saoudiens ne pourraient-ils
pas changer de politique pour tenter de construire une puissance
indépendante ?
Le destin de la famille
royale est trop lié à celui des puissances
impérialistes. D’une part, le régime arriéré
ne peut se maintenir que grâce à la protection des
Etats-Unis. D’autre part, l’Arabie saoudite apporte
tellement d’avantages à l’impérialisme
occidental que celui-ci ne peut se permettre de perdre ce pilier
essentiel.
En effet, depuis les années 60 jusqu’à
aujourd’hui, l’armée étasunienne a
toujours pu compter sur un pétrole saoudien pratiquement
gratuit pour mener ses campagnes. C’est un appui énorme
compte tenu de l’incroyable appareil militaire étasunien.
Des machines, des tanks, des avions, des bateaux sont ravitaillés
gracieusement par les Saoud. De plus, lorsque les économies
occidentales sont grippées, les impérialistes
peuvent compter sur la dynastie saoudienne pour acheter
d’importantes quantités d’armes aux marchands
anglo- saxons. Les pétrodollars des riches pays du Golfe
alimentent ainsi généreusement l’activité
du complexe militaro-industriel qui occupe une place essentielle
dans les économies occidentales. C’est d’autant
plus généreux que les armes achetées ne
servent pratiquement pas !
Les pétrodollars du Golfe ont une autre
fonction fort lucrative pour les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne : ils sont réinvestis dans les
institutions financières anglo-saxonnes et permettent à
Londres et New York de jouer un rôle majeur dans ce
domaine.
Un changement de régime en
Arabie saoudite aurait donc des conséquences importantes
sur les Etats-Unis…
Si la famille royale
devait être renversée, une crise très
importante éclaterait aux Etats-Unis. La capacité
militaire de ce pays serait très affaiblie sans le pétrole
saoudien. Un changement de régime en Arabie saoudite
aurait aussi des répercussions dans tout le Golfe et
pourrait signifier la fin de la vente du pétrole en
dollars.
Jusqu’à aujourd’hui, les
pays producteurs, excepté l’Iran, vendaient leur or
noir en billets verts. Ils se trouvaient ainsi en possession
d’importantes quantités de dollars à
réinvestir dans l’économie US. Si demain, ce
pétrole est vendu dans un panier de devises incluant des
euros, des yuans ou des yens, la perte sera énorme pour
les Etats-Unis. Cela signera la fin de l’impérialisme
US. D’ailleurs, cette idée de panier de devises est
à l’étude au sein de l’OPEP, mais le
pays qui s’oppose le plus à ce projet est l’Arabie
saoudite. En définitive, un éveil démocratique
en Arabie saoudite et dans le Golfe serait dangereux aussi bien
pour le clan Saoud que pour Washington. Le régime arriéré
des premiers est un pilier essentiel de l’impérialisme
US. Et le soutien du second garantit le maintien au pouvoir de la
famille royale. Des bouleversements dans cet équilibre
stratégique auraient des conséquences à
l’échelle mondiale.
BIBLIOGRAPHIE
–
Rachel Bronson , Thicker Than Oil.
America’s Uneasy Partnership with Saudi Arabia, Oxford
University Press, 2006
–
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The House of Sa’ud, Harcourt Brace Jovanovich, Inc., 1982
–
Dr. Abdullah Mohammad Sindi, The Direct
Instruments of Western Control over the Arabs: The Shining
Example of the House of Saud (disponible en ligne)
–
William Enghdal, Pétrole, une
guerre d’un siècle, Jean-Cyrille Godefroy Editions,
Broché, 2007
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