Statue calcaire d'un scribe avec rouleau de
papyrus (4e/5e
Dynastie, Sakkara, vers 4600 avant le présent). Livre
« Musée égyptien Le Caire »,
1975, Éditions Kümmerly + Frey, Berne. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les nazis massacrèrent les juifs d’Europe et les Tsiganes. L’interprétation actuelle de l’un de ces génocides s’appuie sur une méconnaissance de la condition humaine et charrie quantité de passions qui, loin d’en éviter la répétition, la favorise au contraire. Réseau Voltaire | Damas (Syrie) | 4 février 2020
Nous commémorons actuellement le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz où périrent plus d’un million de prisonniers. Nous en avons fait le symbole des camps d’extermination, des crimes nazis et de la Shoah. Des négationnistes ont tenté de réhabiliter l’Allemagne nazie en contestant qu’elle aurait eu l’intention d’exterminer des populations, qu’elle aurait effectivement assassiné des millions de personnes, et même qu’elle aurait eu recours au gazage de prisonniers. Cette polémique abjecte a fait passer en second plan la question de la compréhension des faits. Depuis le procès d’Adolf Eichmann, en 1962, l’interprétation qui prévaut est celle qu’adopta alors l’Agence juive : l’antisémitisme nazi s’est traduit à partir de la conférence de Wansee en un plan d’anéantissement (Shoah) des populations juives européennes. Celui-ci marque une rupture dans l’Histoire. Éternels persécutés, les juifs ne seront définitivement à l’abri qu’en rejoignant l’État d’Israël. Or, ainsi que je vais le démontrer, cette interprétation contemporaine ne rend pas compte de faits connexes.
Au Rwanda, environ 800 000 personnes
ont été massacrées à la machette, en
quelques semaines en 1994. Durant les quatre siècles de la colonisation du monde par les Européens de l’Ouest, de nombreux États prétendument civilisés ont pratiqué des génocides sans états d’âme. Par exemple lorsque le président du Conseil du royaume d’Italie, Benito Mussolini, proclama l’Empire. Il crut pouvoir fonder une colonie de peuplement en Éthiopie. Mais la résistance populaire fut si vive qu’il conçut un plan de « nettoyage ethnique » d’une région pour éliminer la population autochtone et la remplacer par des Italiens. Il fit disperser par le vice-roi Rodolfo Graziani du gaz moutarde depuis des avions en ciblant des villages rebelles. Cependant, les massacre de masse ne sont pas une exclusivité des Européens de l’Ouest, ni de l’idéologie coloniale. Ainsi, le sultan Abdulhamid II organisa celui des non-musulmans (1894-96) qui fut prolongé par les « Jeunes Turcs » (particulièrement en 1915-16) lesquels le renversèrent. Les deux régimes partageaient la même idéologie, le panislamisme, selon lequel l’identité turque est exclusivement musulmane. Si les Arméniens furent les plus touchés, toutes les confessions non-musulmanes furent persécutés. Les massacres eurent lieu en Turquie actuelle et non pas dans les territoires conquis par l’empire ottoman [1]. Il y a donc au moins deux motifs distincts pour ces
massacres. La politique nazie a répondu aux deux, mais l’extermination des juifs d’Europe correspond uniquement au but idéologique. Les génocides ne sont pas non plus l’apanage des plus forts contre les plus faibles ainsi que le montre celui des Tutsis par les Hutus au Rwanda. Les deux peuples étaient de force égale et le massacre a été perpétré à la machette par la population hutue et non par des miliciens. Ces massacres de masses constituent des « crimes contre l’humanité ». C’est à ce titre —et à lui seul— que celui des juifs d’Europe a été jugé par le Tribunal international de Nuremberg. La notion de « génocide » n’est entrée que postérieurement dans le droit. Sous l’influence de Raphaël Lemkin, on considéra par la suite que le génocide est un crime particulier parmi les crimes contre l’humanité. Malheureusement, on a ainsi introduit une notion de culpabilité collective ce qui est contraire au principe de responsabilité personnelle et va à l’encontre du but recherché. De fil en aiguille, le droit US considère désormais comme génocide, le meurtre d’au moins deux personnes pour ce qu’elles sont et non pas pour ce qu’elles auraient fait.
Avant l’Allemagne, les
États-Unis se sont posé la question raciale. Plutôt
que d’imaginer assassiner ceux qu’ils considéraient
comme de races inférieures, ils ont prôné
leur stérilisation obligatoire.
Le programme nazi prévoyait de reconstituer un empire allemand dont le pays avait été privé par le Traité de Versailles à la fin de la Première Guerre mondiale. Mais au lieu de le tailler en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, qui étaient déjà partagés entre le Royaume-Uni et la France, de le conquérir en Europe orientale. Les nazis, héritiers de Goethe et de Beethoven, s’imaginaient humanistes de naissance. Conformément à l’idéologie coloniale occidentale, ils justifiaient leur volonté de conquête en affirmant que les peuples à dominer étaient inférieurs culturellement. C’est ce qu’explique Adolf Hitler dans Mein Kampf. Il n’y parle jamais de « sous-hommes » (Untermenschen). Cette expression est venue du « consensus scientifique » de l’époque : les milieux scientifiques occidentaux étaient persuadés que les conquêtes coloniales prouvaient l’existence d’une hiérarchie des races au sommet duquel ils trônaient. Ils recherchaient donc à définir les caractéristiques de ces races et à les séparer [2]. Cette notion est aujourd’hui infirmée par la Science mais persiste dans de nombreux pays, comme aux USA où les statistiques officielles classent toujours les gens selon ce concept imaginaire [3]. Pour les nazis, les premiers sous-hommes étaient donc les slaves et ils furent leur première cible. Cependant comme le chancelier Hitler justifiait son intention de conquête d’un espace vital (Lebensraum) par la supériorité de sa « race » (concept qui était à l’époque largement partagé par les peuples Occidentaux), il ajouta les Tsiganes et les Juifs parce qu’ils étaient nomades ou, en tous cas, n’avaient pas de terres. Bien sûr sa condamnation des Juifs en tant que race se nourrissait de l’antisémitisme européen qu’il développa, mais ce n’est pas par antisémitisme qu’il les classa comme sous-hommes. Au demeurant, il n’y a pas de culture anti-Tsigane européenne, mais ce peuple fut néanmoins lui aussi classé comme sous-hommes. La notion même d’antisémitisme n’a pas grand rapport avec les juifs. En effet les sémites sont des arabes, dont certains sont de religion juive. Par ailleurs la plupart des juifs d’Europe sont originaires de population du Caucase converties au Xème siècle, et pas de Palestine [4]. Au
départ, certains des nazis n’étaient pas
aussi hostiles aux juifs allemands qu’on le pense
aujourd’hui [5].
Ce n’est que fin 1941, une fois toutes les options épuisées et lorsque l’invasion de l’Union soviétique tourna pour eux au cauchemar, que les nazis en vinrent à la « solution finale » : le meurtre de masse.
Rudolf Höß dépose
lors du procès de Nuremberg Avant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne disposait d’un empire comme les autres grandes puissances européennes. Franz Xaver Höß fut envoyé , en tant que militaire au Sud-Ouest africain (actuelle Namibie). Il y participa au premier génocide du XXème siècle : le massacre des Héréros et des Namas. Son fils, Rudolf Höß, s’engagea très jeune dans l’armée impériale durant la Première Guerre mondiale. Il fut envoyé prêter main forte à l’empire ottoman. Dans ses mémoires, il prétend avoir combattu les Britanniques en Palestine [8]. En réalité, il était dans la Turquie actuelle et participa au massacre des non-musulmans par les Jeunes Turcs. Vingt ans plus tard, il adhéra à la milice SS et devint, en 1940, le directeur du complexe pénitentiaire d’Auschwitz. Il s’agissait au départ d’un camp de concentration sur le modèle de ceux créés par les Britanniques durant la guerre des Boers (Afrique du Sud). On y ajouta, fin 1941, un camp d’extermination (Auschwitz-Birkenau) et, mi-1942, un camp de travaux forcé (Auschwitz-Monowitz) où le banquier US Prescott Bush (père et grand-père des deux présidents Bush) investit pour son plus grand profit [9]. Rudolf Höß a toujours prétendu être un homme normal. Aussi choquant que cela puisse paraître, il ne voyait pas ce qui était anormal à assassiner des Arméniens et des Juifs quand son père avait assassiné des Héréros et des Namas.
Le professeur Konrad Lorentz,
fondateur de l’éthologie et Prix Nobel, était
un nazi convaincu. Il milita pour que les homosexuels soient
retirés de la société comme on procède
à une ablation médicale.
Les nazis, suivant le consensus scientifique de leur époque, tentèrent de préserver la « race » (sic) germanique en interdisant les mariages interraciaux. Ce n’était pas très original, l’Allemagne le faisait déjà depuis 1905, avant la Première Guerre mondiale, et de nombreux autres pays occidentaux avec elle. Mais il ne s’agissait pas seulement de prévenir la naissance de métis, il fallait aussi préserver le patrimoine génétique de la race. L’Institut du Kaiser Guillaume (équivalent du CNRS français) affirma que lors de relations sexuelles entre hommes, si l’un pénétrait l’autre, il pouvait lui transmettre des éléments de son patrimoine génétique. Il y avait donc un risque avec les « homosexuels passifs ». C’est pourquoi les nazis pénalisèrent la pratique de cette forme de sexualité, alors même qu’au début du parti, elle y était publiquement dominante. Les personnes prises en flagrant délit étaient invitées à se faire castrer ou emprisonnées comme asociales. De nombreux médecins, dont Sigmund Freud, distribuèrent alors des certificats médicaux attestant que l’homosexualité était une maladie, mais que le sujet suivait une thérapie. Ils sauvaient ainsi leur patient d’une ou l’autre atrocité. Certains groupes citent aujourd’hui à tort ces certificats de complaisance pour prétende que le fondateur de la psychanalyse aurait condamné l’homosexualité comme une déviance. Après avoir assisté à Amsterdam à l’inauguration d’un monument aux homosexuels déportés —ils auraient été au total plus de 5 000 dans l’ensemble du Reich—, j’ai fondé une association pour faire reconnaître ce crime en France. J’ai ainsi organisé plusieurs cérémonies avec des associations de déportés. Un témoin s’est alors présenté, Pierre Seel, qui a raconté avec force détails avoir été déporté au camp du Struthof pour homosexualité. J’ai fait modifier par décret les conditions d’attribution de la reconnaissance de la qualité de déportés afin qu’il puisse en bénéficier. Cependant, au moment de remplir son dossier, il s’avéra que ce témoin mentait et avait été déporté en tant qu’Alsacien-Mosellan déserteur. J’ai alors demandé à un de mes amis, le sénateur Henri Caillavet, d’enquêter sur la déportation des homosexuels français en sa qualité de président de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Après un an de recherche, il constata qu’il n’y a jamais eu de fichier de police sur ce thème et que cet événement n’a jamais existé en France, ni en Alsace-Moselle annexée. La version de Pierre Seel a cependant été popularisée et la ville de Toulouse lui a même dédié une rue. Cette histoire m’a beaucoup appris sur la surenchère à laquelle se livrent des groupes humains pour s’auréoler de la couronne des martyrs. La croyance s’est répandue que le Reich voulait exterminer les homosexuels et les lesbiennes, ce qui est absolument faux. Il n’y a jamais eu de répression du lesbianisme, mais uniquement de l’homosexualité mâle et uniquement encore parmi les seules populations dites « aryennes ». Seuls 48 hommes ont été identifiés comme tels à Auschwitz. Ils furent déportés dans le camp de concentration et, s’ils avaient survécus, furent relâchés en 1942 pour servir en tant qu’« aryens » à la « guerre totale » contre les Alliés. Faut-il rappeler ici que ni les questions des juifs, des Tsiganes ou des homosexuels n’ont joué le moindre rôle dans le déclenchement de la Guerre mondiale.
Il est toujours difficile de comprendre pourquoi les nazis nourrissaient, certes très mal, les prisonniers qu’ils voulaient tuer. En réalité, ils ne nourrissaient que ceux dont ils comptaient exploiter la force de travail. Pour cela, ils utilisaient l’étrange soupe du docteur Otto Buchinger. Ce grand médecin était un des militants de la
Lebensreform, du retour à la nature. Il théorisa
le rôle réparateur du jeûne. Surtout il
découvrit que l’on peut travailler dur, presque sans
manger, si l’on boit une soupe très claire. Le corps
maigrit rapidement, mais produit une grande énergie. Ses
travaux sont toujours mis en œuvre dans les cliniques de sa
famille en Allemagne et en Espagne où les dynasties
régnantes du Golfe vont soigner leur embonpoint. Les
nazis, qui eux aussi étaient d’ardents partisans du
retour à la nature —Adolf Hitler était
végétarien et interdisait que l’on fume—,
utilisèrent cette soupe pour faire travailler leurs
prisonniers sachant qu’à la fin, ils finiraient par
en mourir.
Le rituel juif de l’holocauste.
La destruction des Juifs d’Europe est appelée « solution finale » par les historiens. Mais elle est connue aujourd’hui comme l’« Holocauste » ou la « Shoah » ; deux vocables qui désignent des interprétations particulières de ce fait. Le terme holocauste est employé par les chrétiens évangéliques US. Il fait référence à un sacrifice juif où un dixième des bêtes est tué et où leurs corps sont entièrement brûlés. Selon leur théologie, l’extermination des Juifs d’Europe aurait été voulue par Dieu avant que le Messie ne revienne sur Terre. Ce n’est donc pas un terme très respectueux des victimes. Au demeurant, lorsque durant la guerre des officiers évangéliques US apprirent l’existence des camps d’extermination, ils déconseillèrent à leur état-major d’intervenir afin de ne pas troubler ce qu’ils croyaient être le « plan de Dieu ». Les nazis multipliant les efforts pour tuer loin des regards, il eut suffit de bombarder les voies de chemin de fer pour arrêter instantanément le génocide non seulement des juifs, mais aussi des Tsiganes. Le vocable Shoah est un mot hébreu. Il signifie « catastrophe » et renvoie au silence de Dieu durant la tragédie. C’est par analogie que des Palestiniens ont désigné leur expulsion, en 1948, comme la Nakba (également, la catastrophe, mais en arabe cette fois). Au vu des informations qui précédent, il ne paraît pas du tout certain que ce génocide soit différent des autres, ni qu’il constitue une rupture dans l’Histoire, ni qu’il soit le produit du seul antisémitisme. Et encore moins que l’État d’Israël offre aux Juifs la protection qu’ils sont en droit d’attendre. Si cela était le cas, il n’y aurait pas aujourd’hui 50 000 rescapés de ce crime qui vivent au dessous du seuil de pauvreté en Israël.
La mise en œuvre de la « solution finale » fut planifiée par les nazis et partiellement réalisée par des Allemands. Mais la grande majorité du personnel des camps était balte. Si l’on considère tous ceux qui n’ont rien fait pour stopper ce crime, il est pour le moins abusif d’en faire porter la responsabilités à la seule Allemagne. La vérité, c’est que l’époque pensait comme les nazis, bien qu’eux seuls allèrent au bout du raisonnement. On doit considérer une idéologie dès ses prémisses et admettre que nous pouvons tous prendre la mauvaise direction. Ainsi, l’État d’Israël
a été créé au nom de l’idéologie
sioniste britannique [10].
Il s’agissait de créer une colonie qui puisse aider
à l’extension de l’Empire. Il a été
proclamé par David Ben Gourion qui n’était
pas juif au sens religieux du terme, mais athée. Certes à
la fin de sa vie, il recouvra la foi et se tourna vers le
bouddhisme. L’État d’Israël accorde la
nationalité selon des critères sans rapport avec la
religion juive, de sorte qu’ils incluent nombre de
personnes rejetées par le rabbinat. Il a choisi d’expulser
les populations autochtones et non pas de les éliminer.
Petit à petit, il grignote de nouveaux territoires jusqu’à
faire disparaître ceux des Arabes palestiniens. Cependant,
comme certains d’entre eux ont obtenu la nationalité
israélienne en 1948 et composent aujourd’hui un
cinquième de la population, le Premier ministre likounik
Benjamin Netanyahu a fait proclamer Israël « État
juif ». Il a officialisé ainsi une citoyenneté
hiérarchisée et engage l’État dans une
logique de tri. Quoi qu’il y paraisse, c’est
exactement la même logique qui a conduit le Premier
ministre travailliste Yitzhak Rabin à envisager la
« solution à deux États » :
séparer les « races ». Il est encore
temps de faire machine arrière.
Les êtres humains font tout pour oublier les malheurs dont ils ont été victimes ou qu’ils ont provoqués. Les Tsiganes, dont les familles furent massacrées avec celles des juifs, suivent cette logique et s’en portent mieux. Il est certes important, pour ceux qui les ont connus, de célébrer la mémoire des morts. Mais cela ne préviendra pas de nouveaux génocides. Cette question n’a aucun rapport ni avec l’identité et la condition des victimes, ni avec celle des bourreaux. C’est juste la condition humaine et aucun d’entre nous n’est à l’abri de se transformer en monstre. La civilisation n’est jamais acquise.
Thierry
Meyssan
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