Palo
Alto ou les paradoxes de la communication
Jean-Jacques
wittezaele et Teresa Garcia
Le
système de relations prime sur les individus qui le
composent. Tel fut le postulat de l’école de
Palo Alto, fondée par l’anthropologue Gregory
Bateson.
Chacun voit Palo Alto à sa porte,
tant il est vrai que cette « école » sans
murs bien définis présente de multiples voies
d’accès en fonction de l’intérêt
de ses visiteurs. Les chercheurs en communication et les
psychothérapeutes systémiques et familiaux s’en
disputent la propriété mais les squatters sont
nombreux. S’y retrouvent, en pagaille, des travailleurs
sociaux, des journalistes et des consultants d’entreprise,
qui y puisent la pragmatique de la communication et y voient
un ancêtre de la programmation neurolinguistique (PNL),
des psychiatres titillés par la théorie de la
double contrainte, des écologistes qui voient en
Gregory Bateson leur saint patron, des amateurs de
philosophie orientale qui distinguent, en filigrane, dans les
ouvrages de Paul Watzlawick l’esquisse d’un
nouvel art de vivre, et, en plus, de nombreux déçus
de la psychanalyse qui aspirent à une méthode
non normative du traitement de la souffrance psychologique.
En fait, ce qu’on appelle l’école de Palo
Alto recouvre, d’une part, les travaux essentiellement
théoriques (inspirés par la cybernétique)
de G. Bateson et son équipe sur l’effet des
paradoxes dans la communication humaine – qui devait
déboucher sur la théorie de la « double
contrainte » (double bind) – et, d’autre
part, l’élaboration d’un modèle de
psychothérapie (la « thérapie brève
» systémique et stratégique) par l’équipe
du Mental Research Institute (MRI), volet clinique
directement influencé par les travaux de G. Bateson
bien que relativement méprisé par celui-ci.
Le
début du xxe siècle voit l’apparition
d’une réflexion théorique et
méthodologique semblable au sein de nombreuses
disciplines scientifiques. Elle concerne la façon dont
les phénomènes complexes et organisés
(constitués de multiples éléments en
interaction dynamique) maintiennent constantes certaines de
leurs variables d’ensemble : comment un corps humain
peut-il maintenir une température moyenne de 37 degrés
malgré les changements environnementaux ? Comment un
groupe social peut-il maintenir une structure semblable en
dépit des changements internes et des pressions
extérieures inévitables ? Ces questions ne
peuvent s’approcher avec la démarche analytique
systématisée par René Descartes au xviie
siècle dans son fameux Discours sur la méthode
(1637).
Et Gregory Bateson est arrivé
!
En effet, la méthode cartésienne recommande de diviser les phénomènes complexes en leurs composantes élémentaires et d’étudier leur impact respectif sur l’ensemble en maintenant les autres constantes. Cette approche sur les composantes d’un ensemble laisse dans l’ombre les relations entre ces éléments. Deux disciplines nouvelles viennent modifier cette approche classique. La cybernétique, qui se veut la « science de la communication et du contrôle », comme l’a définie et formalisée Norbert Wiener, chercheur au MIT dans les années 1940 : c’est avec elle que naissent les systèmes « autorégulés », comme les systèmes de pilotage automatique pour les avions ou les missiles. La théorie générale des systèmes se développe en parallèle : celle-ci, élaborée par le savant autrichien exilé au Canada Karl Ludwig von Bertalanffy, en collaboration avec des chercheurs venant de l’économie ou de la physiologie, postule que tout objet (vivant ou inanimé) peut être étudié comme un système, c’est-à-dire comme une totalité dont le fonctionnement ne peut être réduit à la somme des parties. Ces deux disciplines vont permettre d’éclairer les échanges d’information entre les parties constitutives d’un phénomène complexe, en étudiant les mécanismes de régulation : en particulier, la cybernétique invente le « feedback », procédé par lequel une machine s’autorégule en corrigeant son action en fonction des données de l’environnement.
Ici
intervient l’anthropologue anglais Gregory Bateson
(1904-1980), qui allait participer au développement de
la science cybernétique. Formé à
l’anthropologie culturelle, son intérêt
pour l’étude des relations humaines vue sous un
angle systémique apparaît dès 1933 lors
d’un travail de terrain en Nouvelle-Guinée.
C’est là qu’il rencontre l’anthropologue
Margaret Mead, qui allait devenir sa femme. G. Bateson a
consacré une étude désormais classique
sur l’étrange rite du Naven (1) pratiqué
par les Iatmuls. Durant ce rite qui s’accomplit entre
oncle maternel et neveu (ou nièce) utérin(e),
les hommes doivent se comporter en femmes et les femmes en
hommes. G. Bateson approche le rituel de manière neuve
en l’interprétant comme un dispositif destiné
à entretenir et à gérer les clivages
sociaux. Derrière cette approche, une question : d’où
provient qu’un système social en situation de
crise est amené soit à exploser, soit à
retrouver une stabilité ? G. Bateson introduit alors
le terme de « shismogenèse »
(complémentaire ou symétrique), qui permet de
décrire les conditions de possibilités
d’éclatement d’un système social.
Il distingue une shismogenèse symétrique, où
les interactants répondent au don par le don (comme
dans le potlatch amérindien), à la violence par
la violence, etc., et une shismogenèse complémentaire,
où les partenaires s’enfoncent de plus en plus
dans des rôles du type domination/soumission ou
exhibitionnisme/voyeurisme.
La théorie
des systèmes
La
question des conditions de stabilité d’une
société l’amène en 1942 à
s’intéresser à la cybernétique et
au concept de feedback. Désormais, c’est l’étude
du système social qui prime sur celle des individus.
Progressivement, il se met à étudier la
communication non verbale : quand il passe deux ans dans un
petit village de Bali avec M. Mead, alors que celle-ci pose
des questions et prend des notes en suivant la méthode
classique de l’anthropologie culturelle, il filme et
photographie les scènes de la vie quotidienne. Il
s’inspirera toutefois des études faites par M.
Mead sur les relations contradictoires entre la mère
et l’enfant dans ce village pour élaborer sa
théorie du double bind.
Avec la systémique,
c’est donc le système qui prime sur les parties.
Comment comprendre cela ? Une métaphore permet de
cerner la différence de point de vue par rapport aux
théories classiques en sciences sociales. Par exemple,
si l’on s’intéresse au phénomène
des marées et qu’on limite le regard à
l’eau de mer, on sera conduit à envisager des
hypothèses explicatives postulant l’existence
d’une force interne capable d’attirer et de
repousser la masse de l’eau de façon périodique.
Mais si l’on englobe, dans un même regard, la
Terre, l’eau de mer, la Lune et leurs interactions,
l’explication devient tout autre… Cette
métaphore permet de comprendre la différence
d’explication des phobies, par exemple, dans l’approche
psychodynamique (postulant l’existence d’une
angoisse primitive, de castration par exemple) et dans
l’approche interactionnelle à la Bateson, qui
prend en compte l’interaction entre l’individu et
le milieu, où c’est l’interaction qui
génère la peur.
Voilà comment,
imprégné des concepts de la cybernétique,
G. Bateson cherche à bâtir une nouvelle science
de l’homme centrée sur la notion d’interaction.
Il obtient un budget de recherche pour réaliser une
étude sur les « Effets des paradoxes de
l’abstraction sur le comportement ». Cette
recherche se fonde sur la découverte de l’existence
de niveaux différents de structuration de la
communication humaine. Prenons l’exemple du jeu
d’échecs : on peut distinguer le niveau de
l’échange des coups des deux adversaires et
celui, plus abstrait, plus général, «
cadrant » les premiers, des règles du jeu
d’échecs lui-même. De même, dans la
communication humaine, l’échange de messages
directs se déroule dans un contexte qui définit
les règles relationnelles entre les partenaires de la
communication. La question qui motive la recherche peut se
résumer comme suit : que se passe-t-il si les règles
du jeu, apparemment logiques et sensées à un
niveau général interdisent en fait, de façon
implicite, toute initiative concrète de la part des
joueurs ?
Pour mener à bien sa recherche financée
par la fondation Rockfeller, G. Bateson fait appel à
des collaborateurs : les psychiatres Don Jackson et William
Fry, mais aussi John Weakland (un ingénieur chimiste)
et Jay Haley (un étudiant en communication). Ils
recherchent toutes les situations dans lesquelles des
mélanges de niveaux de communication peuvent
apparaître – donc des paradoxes au sens où
les définissent les philosophes Bertrand Russel et
Alfred Whitehead dans leur théorie des types logiques
(1910-1913) – afin d’en vérifier les
effets. Ils étudient notamment le dressage des chiens
d’aveugle : puisqu’on apprend au chien à
obéir aux ordres de son maître sauf lorsque
l’ordre risque de mettre la vie du maître en
danger, comment le chien arrive-t-il à faire la
différence entre les contextes dans lesquels il doit
obéir et ceux où il doit désobéir
? Leurs études touchent aussi au jeu des animaux, à
l’humour, aux techniques hypnotiques…
Par
ailleurs, le fait que G. Bateson et son équipe ont
placé leur bureau dans un hôpital psychiatrique
de la région de Palo Alto va les conduire à
s’intéresser aux familles de psychotiques.
Qu’est-ce qui produit les crises fréquentes chez
ces derniers après la visite de leurs parents ?
Comment la communication est-elle structurée au sein
de ces familles ? Les recherches menées pour répondre
à ces questions vont aboutir à la naissance de
la théorie de la double contrainte, définie
comme un système de communication qui contraint
l’individu qui y est soumis à se comporter d’une
façon « anormale ».
Solution
hors normes pour problème insoluble
Imaginons une relation entre une mère et son enfant. À chaque fois que l’enfant prend une initiative, sa mère le punit ; l’enfant « apprend » donc à éviter les sanctions (c’est le niveau relationnel, la « règle du jeu », implicite, entre sa mère et lui). Cette règle étant instaurée, la mère va alors obliger l’enfant à agir spontanément : « Mais enfin, quand vas-tu arrêter de me coller sans cesse, fais quelque chose ! » L’enfant « sait » que s’il prend une initiative, il sera puni mais il doit obéir à l’injonction directe de sa mère sous peine d’une punition. Ce contexte bloquant toutes les issues « normales » (s’il obéit au message relationnel, il désobéit à l’injonction directe et vice versa), l’enfant doit alors recourir à des conduites hors normes pour trouver des issues (ignorer tous les messages, prendre tous les messages au même niveau, inventer un monde imaginaire dans lequel des issues peuvent apparaître…). Bref, les symptômes habituellement décrits comme des manifestations d’un esprit perturbé deviennent des tentatives désespérées de trouver des solutions à un environnement qui ne le permet pas.
Cette
théorie de la double contrainte va marquer un tournant
décisif dans l’approche de la maladie mentale.
On ne cherche plus à traiter un psychisme malade mais
on cherche à modifier la structure de la communication
dans un système familial « pathologique »
: ce ne sont plus les individus qu’il faut soigner mais
les relations ! Cette théorie, élaborée
en 1956, va marquer le début des thérapies
familiales.
Les thérapies familiales
À
partir de ce moment, des équipes se constituent à
travers le monde pour élaborer des techniques
d’intervention thérapeutiques destinées à
modifier les relations au sein des familles. C’est dans
ce but que D. Jackson crée, en 1959, le MRI à
Palo Alto. Il y sera rejoint par Virginia Satir, P.
Watzlawick, Dick Fisch et, à la fin du projet de G.
Bateson sur les psychotiques, par J. Weakland et J. Haley.
Ces derniers côtoient, depuis leur recherche sur les
paradoxes, un hypnothérapeute aux méthodes
thérapeutiques originales et iconoclastes : Milton
Erickson. Lorsqu’ils se mettent à traiter des
patients et leurs familles, ils s’inspirent des
méthodes (efficaces bien que peu formalisées)
de M. Erickson qui obtient parfois des résultats
étonnamment rapides en traitant des cas grâce à
une utilisation stratégique du langage. L’efficacité
de la communication thérapeutique devient essentielle
: comment construire des interventions thérapeutiques
de façon à ce qu’elles aient l’impact
recherché sur le patient et ses proches ? Le
croisement entre le travail clinique de M. Erickson et
l’approche théorique de G. Bateson va engendrer
un modèle d’intervention original dont la pierre
angulaire (résumée dans le concept de «
tentatives de solution ») reflète ses prémisses
épistémologiques cybernétiques. Dans ce
nouveau modèle, il n’y a plus de recherche des «
causes » du problème dans le passé –
puisqu’un comportement est non seulement surdéterminé
mais qu’en outre une même cause ne provoque pas
forcément les mêmes effets (le phénomène
de résilience en étant une bonne illustration).
Dans la thérapie classique en effet, c’est le
mode de gestion de la difficulté qui est inadéquat
: quelle que soit son origine, un problème ne peut se
maintenir que si les efforts qui visent à le résoudre
sont inefficaces !
Par exemple, si une patiente affirme
que ses difficultés actuelles sont liées au
divorce de ses parents survenu voilà vingt ans, le
thérapeute ne va pas chercher à comprendre ce
qui s’est passé il y a vingt ans, mais se
focaliser sur ce qui, aujourd’hui, pose problème
à la patiente dans sa vie de tous les jours : cela
peut être qu’elle n’ose pas vivre de
relation durable avec un partenaire amoureux alors qu’elle
souhaite fonder une famille. Le postulat de l’approche
de Palo Alto consiste donc à affirmer que, si cette
patiente peut arriver à dépasser son blocage et
établir une relation durable aujourd’hui, elle
sera, ipso facto, libérée de son passé
(2). Le traitement consiste donc à arrêter les
tentatives de solution inefficaces qui, au lieu de permettre
une disparition du problème, enveniment la situation
par un processus d’escalade. L’idée
sous-jacente est que l’évitement systématique
d’une situation effrayante peut conduire à un
trouble phobique, un effort répété pour
s’endormir peut conduire à l’insomnie, une
volonté répétée pour arrêter
un comportement parasite peut mener à une compulsion,
ou encore un effort excessif pour lutter contre l’envie
de nourriture peut conduire à des crises de boulimie,
etc. Toutes les difficultés personnelles,
relationnelles, familiales peuvent s’analyser de cette
manière.
Pour les chercheurs du MRI, qui pensent
qu’on ne peut pas s’octroyer le droit de dire ce
qui est normal ou comment il faut vivre sa vie, il n’est
pas question de recourir à une vision normative des
difficultés psychologiques, comme dans la théorie
freudienne. À la place, la thérapie brève
préconise de suivre le patient dans son désir
d’évolution. De plus, et c’est sans doute
là l’aspect le plus révolutionnaire de
l’approche, le thérapeute ne peut pas savoir ce
qui est bon ou non pour son patient : ce sont les efforts
inefficaces du patient lui-même qui indiquent –
par un virage à 180 degrés – la voie de
la solution. Le thérapeute n’est plus le gardien
de l’ordre moral ou de la normalité, il devient
agent de changement au service de son patient.
NOTES
(1) G. Bateson, La Cérémonie du Naven,
Minuit, 1971.
(2) R. Fisch, J.H. We akland et L. Segal,
Tactiques du c hangement. Thérapie et temps court,
Seuil, 1986.
Qu’en est-il de l’école
de Palo Alto aujourd’hui ?
Chacun des
membres de l’école de Palo Alto a suivi un
itinéraire singulier. Le fondateur, Gregory Bateson,
est devenu une référence dans l’histoire
des sciences humaines. Ses recherches traversent un nombre
impressionnant de disciplines : culture, biologie et théorie
de l’évolution, épistémologie,
éthologie, psychiatrie et pathologies relationnelles
(de l’alcoolisme à la schizophrénie),
sciences de l’éducation, écologie (1)…
Des ethnologues sont récemment revenus sur sa
célèbre étude du Naven, en soulignant le
caractère novateur mais pointant le risque d’une
dérive « cybernétique », notamment
parce que G. Bateson aurait tendance à ne voir les
rituels que sous l’angle de la communication
paradoxale, de type « double contrainte », ce qui
serait réducteur (2). De son côté, Paul
Watzlawick a fait une carrière originale dans le
domaine de la communication et par son approche du
constructivisme (La Réalité de la réalité,
1978, Une logique de la communication, 1979, L’Invention
de la réalité, 1988, Comment réussir à
échouer, 1988). Edward T. Hall devint l’un des
promoteurs de la communication interculturelle (La Dimension
cachée, 1971). Par ailleurs, les membres de l’école
de Palo Alto peuvent être considérés
comme des précurseurs de la sémiologie
contemporaine d’Umberto Eco.
Le Mental Research
Institute (MRI) a lui aussi sans doute vécu son âge
d’or : les disparitions de John Weakland (1995), de
Paul Watzlawick (31 mars 2007) et le départ à
la retraite de Dick Fisch en juin de cette même année
marquent la fin d’une époque. Les divas de la
thérapie brève n’ont jamais cherché
à assurer la relève. Le futur de l’école
de Palo Alto se trouve probablement hors du giron du MRI et
en Europe plutôt qu’aux États-Unis.
Giorgio Nardone, représentant du MRI pour l’Italie,
a redynamisé le concept de « tentatives de
solution » en développant des protocoles de
traitement de troubles psychiatriques sévères
(phobies, TOC, troubles alimentaires, dépressions,
psychoses présumées…) (3). Il a fait
passer le modèle clinique d’une approche
généraliste à une spécialisation
(dont la typologie n’est pas fondée sur les
symptômes mais sur les tentatives de solutions
utilisées) qui intéresse directement les
psychiatres.
En Belgique, en France et en Suisse,
l’institut Gregory-Bateson (IGB), représentant
du MRI pour l’Europe francophone, continue de
développer le modèle clinique, poursuit les
recherches dans le domaine de la communication et contribue à
la diffusion de l’approche interactionnelle dans de
nombreux domaines, notamment l’école, l’aide
à la jeunesse, la justice et le milieu de
l’entreprise. Une association européenne unit
les efforts de ces deux instituts – conjugués à
ceux d’autres approches de thérapie familiale
(notamment l’école de Mony Elkaïm (4)) –
qui collaborent et partagent le même objectif : offrir
au public une alternative aux approches analytiques et
comportementalistes. n
NOTES
(1)
G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit, 2
vol., Seuil, coll. « Points essais », 1977.
(2)
M. Houseman et C. Severi, Naven ou le donner à voir.
Essai d’interprétation de l’action
rituelle, MSH, 1994.
(3) G. Nardone, Psychosolutions.
Comment résoudre rapidement les problèmes
humains complexes, L’Esprit du temps, 1999.
(4) M.
Elkaïm, Si tu m’aimes, ne m’aime pas.
Approches systémiques et psychothérapies,
Seuil, coll. « Points essais », 2001.
Régis
Meyran
Jean-Jacques wittezaele et Teresa
Garcia
Tous deux psychothérapeutes, formés
au Mental Research Institute (MRI) de Palo Alto, le premier
dirige l’institut Gregory-Bateson à Liège
et a publié L’Homme relationnel, Seuil, 2003.
Ils ont publié ensemble À la recherche de
l’école de Palo Alto, Seuil, 2006.
La
« nouvelle communication » et le Collège
invisible
Les spécialistes de la communication
rattachent l’école de Palo Alto au Collège
invisible (selon l’expression créée par
Yves Winkin dans son ouvrage La Nouvelle Communication,
Seuil, coll. « Points Essais », 2000)
c’est-à-dire aux chercheurs (Gregory Bateson,
Erwin Goffman, Ray Birdwhistel, Edward T. Hall…) qui,
à partir des années 1950, s’appuyant sur
les concepts issus de la cybernétique et de la théorie
générale des systèmes, proposèrent
une vision des phénomènes de communication en
rupture avec le traditionnel modèle «
télégraphique » : un émetteur
adresse un message à un récepteur qui le
décode. À la suite de Norbert Wiener, le père
de la cybernétique qui voyait l’univers comme «
une myriade de messages à qui cela peut intéresser
», ces chercheurs vont faire de la communication la
matrice même du comportement : nous baignons dans un
flux d’informations qui nous modèlent, qui
tissent un réseau dynamique et évolutif qui
nous détermine, bien souvent à notre insu…
Notre « partition personnelle » (pour reprendre
la métaphore « orchestrale » de la
communication) est largement déterminée par
celle de nos partenaires, la famille (G. Bateson), notre
culture (E. Goffman, E.T. Hall), et les aspects verbaux de la
communication sont largement conditionnés par les
informations non verbales que nous recevons en permanence de
notre milieu (R. Birdwhistel).
Les travaux du Collège
invisible soulignent tous l’importance de la
communication non verbale. Pour E. Goffman, la vie est un
théâtre où chaque interlocuteur tente de
« garder la face », de préserver sa propre
image (La Mise en scène de la vie quotidienne, 1959 ;
Les Rites d’interaction, 1967). E.T. Hall est
l’inventeur de la proxémique, science qui étudie
les distances interpersonnelles. Pour cet anthropologue,
l’homme recourt à une « bulle »
psychologique, assurée par un espace individuel : cet
espace est un moyen d’accomplir son épanouissement
ou d’assurer sa sécurité. Par exemple, il
observe que médecins et hommes d’affaires se
servent de leur bureau comme d’une protection
gratifiante : ils s’abritent derrière lui, ce
qui les amènent à un sentiment de confort
rassurant (La Dimension cachée, 1966).
Ray
Birdwhistel invente la kinésique, la science de la
gestualité : son étude la plus célèbre
est la « scène de la cigarette », scène
filmée de 18 secondes où il analyse les
interactions non verbales de deux personnes qui discutent sur
un canapé, Doris et Gregory : Doris dit n’avoir
« aucune inquiétude » quant aux qualité
intellectuelles de son fils, mais ses gestes, les expressions
de son visage et la façon dont elle se comporte en
allumant sa cigarette avec l’allumette de Gregory
invitent à penser qu’elle n’est peut-être
pas ans inquiétude. Donc pour R. Birdwhistel, la
communication entre deux personnes ne peut être étudiée
que par l’étude combinée de la
linguistique et de la kinésique.
Jean-Jacques
Wittezaele et Teresa Garcia
Le fondateur
: Gregory Bateson (1904-1980)
Né en 1904 à
Cambridge, Gregory Bateson, après s’être
intéressé à la zoologie puis à
l’anthropologie (il épousera Margaret Mead en
1933), s’orientera vers ce qui restera son sujet de
prédilection : la communication. En 1942, il découvre
la cybernétique et les fondements de l’approche
systémique dont il cherche à appliquer les
règles aux relations interpersonnelles. Avec des
chercheurs de différentes disciplines, il crée
l’école de Palo Alto, qui se fera connaître
par la théorie du double bind. Cette approche sera
l’un des fondements des thérapies familiales
systémiques. Par la suite, G. Bateson se passionnera
pour la communication animale et sera reconnu
internationalement pour ses ouvrages Vers une écologie
de l’esprit (1972) et La Nature et la Pensée
(1979). Il meurt à San Francisco en 1980.
Sommaire du magazine
Mensuel
N° 184 - Juillet 2007
Les lois du bonheur