CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

Textes des prisonniers de la « Fraction armée rouge » et dernières lettres d'Ulrike Meinhof, préface de Jean Genet, introduction de Klaus Croissant, Cahiers libres, novembre 1977.

Mouvement d'action judiciaire, L'affaire Croissant, décembre 1977.

Robert Boure, Les interdictions professionnelles en
Allemagne fédérale, Cahiers libres, janvier 1978.

 

Introduction

Klaus Croissant n'a pas cédé.
Même ses amis l'ont critiqué, même ses proches ont pu penser que sa conception de la défense politique était « exagérée » — que sa démarche d'avocat ne maintenait pas la « distance traditionnelle » entre accusé et défenseur, distance que l'État moderne traduit par obligation de condamnation et d'anathème : je dois dire — en commençant ma plaidoirie — que « je n'approuve pas les méthodes de mon client !... », clause de style nécessaire peut-être dans les défenses de demain...
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Lisons ces textes de combat. De combat pour la défense de ceux qui lui faisaient confiance — de combat pour sa défense, car l'implacable répression, menée, par « l'État de la surveillance totale » — comme Croissant appelle l'État allemand — ne laisse rien passer, et surtout pas la parole accusatrice, la parole libre...

7

 

Klaus Croissant n'a pas cédé.
Il n'est pas devenu le « terroriste » qu'on voulait qu'il fût. Personne — et surtout pas en France au moment de sa demande d'asile politique, en juillet 1977, n'a cru à cette accusation absurde : il était libre à Paris, la police savait où le trouver et n'aurait pas manqué de l'arrêter s'il avait été considéré comme « dangereux ». Mais, en août et septembre, les pressions sont devenues plus fortes, et les accusations de Klaus Croissant, passant par la télévision française, avaient allure de défi : il fallait lui interdire de parler...
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Je suis de ceux qui disent à ceux qui leur font confiance pour les défendre : toute ma parole ou ma compétence pour vous défendre au mieux, mais n'aliénez pas ma liberté de parole. Je ne tiendrai pas un double discours : ce que je dirai à l'audience sera ma vérité, j'essaierai de faire en sorte que vous exprimiez la vôtre. Il peut arriver, il doit arriver qu'elles divergent.
Souvent, avec Klaus Croissant, j'ai discuté de ces problèmes. Il m'a toujours dit : « Beaucoup de nos juges sont d'anciens nazis, la répression devient scientifique. Vois la mort d'Holger Meins, d'Ulrike Meinhof, de Gudrun Ensslin, de Raspe, de Baader... Si l'avocat ne défend pas de toutes ses forces des clients qu'il sent, qu'il voit, qu'il sait menacés jusque dans leur vie, il n'est plus « digne de l'être ».
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Il aurait pu se défendre autrement, en adoptant une partie du langage de ses juges, en donnant l'illusion d'un repentir ou d'un accommodement avec des réalités qu'il avait voulu ignorer ; il a préféré tenir un discours dur et sans concession, quitte à inquiéter ses amis, comme pour leur faire comprendre avec humour que leurs conseils ne le feraient pas changer de voie.
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Qu'on n'attende pas de moi une critique à l'égard

8

 

de cet homme détenu, livré, après d'extraordinaires controverses juridiques, d'inoubliables et très spécieux débats sur le caractère politique de tel ou tel acte, source d'extradition ou obstacle à l'extradition, lote-rie apparente ou cachée : les Mac Nair non extradés, Croissant extradé, Abou Daoud non extradé, Winter extradé, Mac Cann non extradé... Belle diversité d'appréciation juridique. Je ne critiquerai pas Klaus Croissant, prisonnier à la Santé, livré le 16 novembre 1977, dans la précipitation...
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Nous avons craint alors pour sa vie, une vie s'achevant — c'était possible s'il s'était agi d'un autre homme — par le suicide comme démonstration « terroriste », par le suicide comme moyen ultime — et raffiné — d'opposition morbide : la lame de rasoir de sa première table de nuit à Stammheim ne fut pas que symbolique. Tout par la suite fut tenté pour le détruire — et subtilement aussi, dans la lenteur d'une procédure interminable — auprès de ceux-là mêmes qui s'étaient indignés de son extradition et se lassaient peut-être de le défendre, lui qui pouvait être oublié...
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Ses textes, lus par un lecteur français dans un contexte différent de celui de Stuttgart, peuvent sur-prendre. Ils doivent être replacés dans ce contexte-là, dans cette implacable justice de Stammheim, métallisée, électronique, éblouissante — avec en paradoxe doucereux pour le citoyen sensible un jugement « modéré », selon les commentaires quasi unanimes, un jugement de deux ans et demi de prison, alors que, bien sûr, il méritait tant...
Klaus Croissant n'a pas cédé.
Puisse cet homme retrouver rapidement la liberté et nous dire comment et pourquoi il n'a pas cédé.

Jean-Jacques de FELICE

9

 

Déclaration sur les faits
Prononcée le 2 mai 1978
Dans ce procès, ce qui est en jeu, c'est le droit à la défense.
Le coeur même de ce qui constitue la défense. Les limites de la défense.

Il s'agit du procès qui est fait à la défense.
De la liberté élémentaire de tout un chacun de pouvoir se défendre librement.

Le combat pour ce droit fondamental n'est pas limité à la République fédérale. Il dépasse les frontières nationales et fait éclater le cadre de ce procès.

Le procès contre la défense à Stammheim n'a pas seulement une fonction d'exemplarité à l'intérieur de cet État, il menace aussi les droits de la liberté dans la partie de l'Europe sur laquelle la République fédérale, par son potentiel économico-militaire, exerce une prédominance toujours grandissante.

11

 

I

L'élargissement de la sphère d'influence de la République fédérale a été démontrée dans la précédente procédure d'extradition.
Comme le tribunal le sait, j'ai demandé le 11 juillet 1977 l'asile politique en France. J'ai publiquement justifié cette démarche le lendemain à Paris, lors d'une conférence de presse. J'ai, en particulier, déclaré :
— que ma liberté était très gravement menacée pour la troisième fois, en République fédérale, après deux arrestations en 1975 et en 1976 ;
— que je ne pouvais plus défendre dans les affaires pénales politiques, en raison de l'interdiction professionnelle prononcée à mon encontre ; que c'était seulement à partir de l'étranger qu'il m'était encore possible de m'employer à protéger les droits de l'homme et la vie de mes clients.
Ce qui a été décisif pour mon pas vers l'exil, ce n'est pas ce procès que j'attendais depuis cinq ans déjà, mais l'intensité, devenue à la fin insupportable, de la persécution politique :
— des agents de l'Office de protection de la Constitution qui me suivaient pas à pas jusque dans les audiences judiciaires ;
— un cabinet et un appartement truffés de micros

12

 

 

et des téléphones sur écoutes, les pièces et bâtiments contigus occupés par la police politique aux fins de surveillance permanente ;
— l'écoute directe de toutes les conversations télé-phoniques, y compris celles avec mes clients et avec mes défenseurs ;
— la prise en photographie de toutes les personnes qui entraient dans mon cabinet, de la maison d'en face, par les plombiers de service ;
— des employés de mon bureau qu'on essayait de corrompre avec de l'argent, pour en faire des indicateurs de la Sûreté de l'Etat ;
— une surveillance propre à terroriser, c'est-à-dire que le chemin entre mon appartement et mon cabinet et inversement était surveillé par des véhicules de service de la police officielle.
Les ministères compétents à Paris, bien qu'informés du temps et du lieu de ma conférence de presse du 12 juillet 1977, ne s'intéressaient guère à mon arrestation. Les autorités françaises ont tout d'abord réagi avec réserve et sans s'émouvoir des pressions insistantes pour obtenir ma mise en détention immédiate en vue de l'extradition.
Un changement intervint après mon interview du 7 septembre 1977 à la télévision française. Cette interview était ma réaction à la tentative du gouvernement fédéral d'obtenir mon extradition et tout d'abord mon arrestation par des mensonges adéquats, selon lesquels je me cachais à Paris et étais soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement de Schleyer et dans les attentats des derniers mois contre Buback et Ponto. On pouvait même entendre sur des radios européennes que l'on me soupçonnait d'être le cerveau de la scène terroriste européenne. De telles informations ne sont pas surprenantes quand on sait que, dans un rapport de l'Office fédéral de la police criminelle du 1er août 1977, qui fait partie du dossier du tribunal, se trouve la phrase incendiaire : « Sur la scène terroriste allemande et internationale, Croissant est une figure centrale. » J'avais en tout cas, vu les circonstances, un intérêt manifeste à m'opposer de

13

 

front à une campagne de ce genre, dangereuse pour ma vie.
Il va de soi que, lors de cette interview, je n'ai pas caché mon opinion sur la situation politique en Allemagne fédérale, ainsi que sur les raisons de ce phénomène que le pouvoir d'État appelle ordinaire-ment terrorisme. Après tout, on m'avait demandé mon avis.
Dans mes réponses, j'ai expliqué ce qu'il faut penser du « modèle allemand » de la social-démocratie. J'ai désigné la République fédérale comme un État qui étend son programme gouverne-mental d'extermination d'un mouvement de résistance armée aux prisonniers politiques mêmes. J'ai parlé de l'Etat des interdictions professionnelles, de la pénétration de la société et de ses institutions par la police, de l'État de la surveillance totale, enfin de la marche de la République fédérale vers un nouveau fascisme, plus raffiné et plus dangereux que le fascisme brun et borné d'autrefois.
Une mise au point concernant ces propos: jamais, pas plus ici qu'à l'étranger, je n'ai désigné la République fédérale allemande simplement comme un État fasciste, ainsi que quelques redoutables simplificateurs continuent toujours à le prétendre. Ce que j'ai constamment mis particulièrement en évidence, c'est le fait que des formes de domination bien plus subtiles ont remplacé le vieux fascisme du IIle Reich.
Ne pouvoir concevoir sous le terme de fascisme qu'Auschwitz et les fours crématoires des camps de concentration ou, à la rigueur, les tortionnaires dans des pays de préférence éloignés comme l'Argentine, le Brésil, le Chili, l'Iran et l'Afrique du Sud, est toute-fois une erreur funeste dans laquelle — justement à cause de notre histoire — nous tombons facilement.
Comme s'il ne pouvait y avoir dans un État de droit bourgeois comme la République fédérale — au centre des nations industrialisées modernes — d'autres formes bien plus efficaces pour éliminer l'opposant politique.

Le gouvernement fédéral et l'état-major de crise réuni à Bonn ont réagi à mon interview à la télévi-

14

 

sion française comme à un incident diplomatique. Le fait que l'ennemi de l'État et l'auxiliaire des terroristes, Croissant, cet « avocat du diable », ait pu exprimer librement son opinion sur l'écran de la télévision d'État d'un pays voisin : voilà qui avait le caractère d'un acte inamical. C'est pour cela que le futur héros de Mogadiscio a fait dire par le porte-parole du gouvernement, M. Bölling, que le gouvernement fédéral était « extrêmement irrité ».
Le chef de l'État français, Valéry Giscard d'Estaing, était obligé de téléphoner au Chancelier fédéral Schmidt pour l'assurer de sa toujours ferme fidélité d'allié, et de publier un communiqué de presse sur cette conversation téléphonique. Il était, en outre, obligé, pour réparer l'humiliation du gouverne-ment fédéral, d'envoyer son ambassadeur spécial Michel Poniatowski à Bonn : visite éclair qui devait également trouver son couronnement dans un communiqué correspondant donné à la presse. Dans le même temps, le ministre français de l'Intérieur devait, dans une interview au Spiegel, jurer ses grands dieux que sa police — avec toutes les forces disponibles et l'intervention de ses agents les plus qualifiés — me cherchait effectivement de façon intensive. L'ambassadeur de France à Bonn lui-même, M. Brunet, ne fut pas épargné : il s'empressait d'assurer dans Bild que l'amitié franco-allemande demeurait sans nuage, malgré les voix critiques qui s'élevaient dans cette partie de la presse française qui n'obéit pas à Hersant-Springer.
J'ignore le détail des pressions qui ont été exercées par Bonn sur Paris, pour obtenir mon extradition malgré l'opposition d'une large opinion publique critique et malgré une jurisprudence française paraissant jusqu'alors affirmée. Il est en tout cas certain que le ministre de la Justice Alain Peyrefitte a déclaré, avant l'audience publique concernant mon extradition, que la France ne devait pas devenir une terre d'asile pour terroristes, alors que son collègue Vogel déclarait en écho que la demande d'extradition allemande était fondée et que le gouvernement fédéral attendait avec respect la décision de la justice française.

15

 

Certes, la République fédérale l'a emporté dans la procédure d'extradition, mais de justesse et aux points. J'estime cependant que cette victoire, et sur-tout l'opération « Nuit et brouillard » de mon transfert de force de Paris à Stammheim, ont eu pour conséquence un maximum d'information et une mobilisation nationale et internationale en faveur des droits de la liberté. Ce que signifie l'hégémonie de la République fédérale dans le contexte européen, de quelles interventions cet État est capable à l'intérieur et à l'extérieur, quels dangers il représente pour le développement social et politique à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières, tout cela est apparu de façon exemplaire au cours de la procédure d'extradition.
De telles expériences concrètes font progresser la détermination à la résistance contre le modèle allemand et préparent son succès — modèle de loin le plus avancé sur la voie d'un État policier européen au service des intérêts nationaux et internationaux du capital.
Vue de cette façon, la République fédérale a rem-porté à Paris, avec mon extradition, une victoire à la Pyrrhus.

II

L'objet des débats ne doit cependant pas nous abuser sur le but poursuivi par la République fédérale avec ce procès.
A la fin de la session du tribunal de Sûreté de l'État de Stammheim contre les prisonniers de la Fraction armée rouge (R.A.F.), on a prononcé la phrase qui a, depuis, fait école : la République fédérale, après Stammheim, ne sera plus la même. Je voudrais formuler cela de façon plus précise : à Stammheim, la façade d'État de droit s'est effondrée ; les rapports de forces qui se cachent derrière elle sont devenus, partout, visibles. On pourrait

16

 

même dire de façon cynique : la République fédérale a été, avec Stammheim, défigurée au point d'être reconnaissable.
Lorsque, récemment, un politicien — son nom et son appartenance à un parti ne jouent aucun rôle tant ils sont interchangeables — vantait dans une université allemande la République fédérale comme « l'Etat le plus libre » qui ait jamais existé sur le sol allemand, il n'a pas récolté d'opposition, mais l'hilarité générale et des acclamations amusées pour le bisser.

Les trois procès contre les défenseurs, qui n'ont même pas eu le droit de défendre dans cette forteresse policière — Groenewold, Ströbele et moi —, ont maintenant pour fonction de justifier a posteriori toutes les mesures d'exception que la République fédérale a prises à Stammheim de façon exemplaire, en faisant intervenir tout son appareil de domination — le législatif, l'exécutif et la justice — pour pou-voir présenter à l'opinion publique le spectacle d'une procédure pénale prétendument normale à l'encontre des prisonniers de la R.A.F. :
Stammheim comme symbole et modèle de déploie-ment de puissance concentrée et concertée contre tous ceux qui, maintenant et à l'avenir, oseraient mettre en question le monopole de pouvoir de l'État. Stammheim comme instrument d'intimidation contre tous ceux qui ont déclaré la guerre au système d'exploitation et de profit, et qui militent pour une société socialiste. Stammheim comme le projet de faire apparaître comme sans issue et absurde le simple fait de penser à la résistance et à la révolution : une tentative dont chacun sait maintenant qu'elle a totalement échoué, et comment.
Dans les procès contre Groenewold à Hambourg, contre Ströbele à Berlin et contre moi à Stammheim, la justice doit, par une condamnation des défenseurs, légitimer ce qui est pratiqué depuis huit ans, depuis le début de l'affrontement entre État et guérilla urbaine : mettre au pas, criminaliser et éliminer la défense politique.
On veut éliminer les défenseurs, parce qu'ils lut-

17

 

tent à l'intérieur et à l'extérieur de l'audience contre la violation systématique de la loi, de la Constitution et des droits de l'homme dans les procédures de Sûreté de l'État contre des prisonniers politiques.

Parce qu'ils luttent
— contre la tentative de briser les accusés par des années de détention en isolement, cette forme de torture propre et de lavage de cerveau scientifiquement expérimentée et ne laissant pas de trace externe ;
— contre leur placement dans des cellules insonorisées et dans des quartiers déserts de la prison, comme c'est arrivé pour Ulrike Meinhof, Astrid Proll, Ronald Augustin et Margrit Schiller ;
— contre la privation d'eau potable lors de grèves de la faim, comme c'est arrivé pour Andreas Baader, Bernhard Braun et Ronald Augustin ;
— contre le fait de laisser méthodiquement mourir de faim des prisonniers comme c'est arrivé pour. Holger Meins ;
— contre l'incarcération des prisonniers incapables de supporter la détention parce que grièvement blessés, quand cette détention signifie leur mort, de l'avis des médecins, comme cela est arrivé pour Siegfried Hausner ;
— contre le refus d'un traitement médical approprié, même si cela signifie la mort pour le prisonnier, comme cela est arrivé à Katharina Hammerschmidt ;
— contre la tentative de faire passer pour un suicide la mort des prisonniers survenue pendant la période d'isolement et d'interruption des contacts, comme cela est arrivé pour Ulrike Meinhof, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Jan Cari Raspe et Ingrid Schubert ;
— contre des anesthésies pratiquées de force à des fins d'enquête, comme c'est arrivé pour Carmen Roll et comme on l'a tenté pour Ulrike Meinhof ;
— contre le déroulement de procès bien que les accusés ne soient pas capables de les suivre à cause de blessures graves ou de conditions de détention rui-

18

 

nant la santé, comme cela a été pratiqué contre Günter Sonnenberg et, précédemment, contre Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof et Jan Cari Raspe, contre Manfred Grashof, Wolfgang Grundmann et Klaus Jünschke ;
— contre la manipulation et la rétention de dossiers d'instruction, comme c'est arrivé dans le procès de Stammheim et comme c'est, depuis lors, pratique constante ;
— contre les saisies périodiques de documents des défenseurs lors des fouilles des cabinets d'avocats, comme c'est arrivé dans le procès de Stammheim et comme c'est, depuis lors, pratique constante ;
-- contre la publication par l'État de parties de dossiers judiciaires, comme c'est arrivé avec la « documentation du gouvernement fédéral » de l'automne 1974 dans la procédure contre les prisonniers de la R.A.F. et leurs défenseurs ;
— contre l'écoute illégale d'entretiens entre des accusés et leurs défenseurs par le service fédéral de renseignements ou d'autres services secrets, comme c'est arrivé à Stammheim avant le commencement du procès contre les prisonniers de la R.A.F. et pendant celui-ci ;
— contre les lois d'exception pour restreindre la défense, allant jusqu'à l'interruption totale des con-tacts et au nouveau et quatrième paquet de lois dites antiterroristes, qui a été définitivement adopté le 13 avril 1978 ;
— contre les procédures de tribunaux disciplinaires et procédures pénales contre 80 avocats environ, à cause de leur activité professionnelle dans des affaires pénales politiques, pour les exclure de la défense et leur infliger une interdiction professionnelle générale ou partielle, ou encore pour les intimider avec des menaces d'ordre disciplinaire.
Ces mesures citées comme exemples, prises dans l'arsenal de la contre-révolution préventive, existent, en République fédérale, dans les procédures de Sûreté de l'Etat, pour tous les opposants et leurs défenseurs.

19

 

Les tribunaux de Sûreté de l'État à Hambourg, Berlin et Stammheim doivent, après des années de campagne de diffamation, confirmer par des jugements soigneusement programmés qu'une défense politique de prisonniers appartenant à des groupes de résistance socio-révolutionnaires — et donc d'une façon générale une défense de l'opposition fondamentale — n'a plus le droit d'exister, parce qu'elle ne pourrait qu'attaquer radicalement l'ordre social dans la République fédérale et sa contribution essentielle au maintien de la dictature impérialiste et de l'oppression fasciste dans toutes les parties du monde.
A Stammheim, il ne restait plus à la fin que deux défenseurs, Hans Heinz Heldmann et Otto Schily, qui se sont maintenus pendant deux ans dans le procès contre les prisonniers de la R.A.F.
Tous deux ont été mis en accusation par le parquet de Stuttgart à cause du contenu d'une demande de preuves qu'ils avaient déposée, en tant que défenseurs, à Stammheim. Alors que le procès - contre la R.A.F. était encore en cours, le procureur général près la cour d'appel de Francfort a continuellement accusé Heldmann de fautes disciplinaires à cause des propos qu'il avait tenus au cours des débats, en sa qualité de défenseur. Depuis lors, une demande d'interdiction professionnelle provisoire, comme défenseur dans des affaires pénales, a été déposée à son encontre. Contre Schily, le procureur près la cour d'appel de Berlin a, dans le même but, ouvert des informations étendues à cause de son activité de défenseur à Stammheim.
Les procédures contre les avocats, leur condamnation et leur exclusion visent à atteindre la totalité de l'opposition en République fédérale. Elles visent à sanctionner ce qui, depuis des années, est le but politico-militaire ouvertement déclaré du gouverne-ment fédéral et de la stratégie antisubversive du grand capital national et multinational : anéantir les groupes de résistance socio-révolutionnaires, ou, comme le Chancelier fédéral Schmidt l'a exprimé dans sa déclaration gouvernementale du 25 avril 1975, « liquider » le terrorisme. L'isolement politique,

20

 

intellectuel, idéologique et psychologique, la liquidation physique de la résistance armée sont depuis longtemps une partie constante du programme de gouvernement de la République fédérale allemande. La victoire définitive dans le combat contre le terrorisme, sans aucun doute une forme de solution finale, fait partie des buts essentiels de l'État.
La campagne d'extermination contre la guérilla, érigée en maxime de politique intérieure et extérieure, ne s'étend pas seulement aux groupes de résistance combattant dans l'illégalité, mais aussi aux prisonniers.
Je vois dans cette extension de la stratégie d'extermination aux adversaires emprisonnés un crime d'Etat, auquel les pouvoirs légaux apportent leur concours dans une sorte d'unité d'action : gouverne-ment, législateur, justice.
Le procès contre Günter Sonnenberg a montré que ce crime institutionnalisé se poursuit également au niveau de la justice. Le Sénat de Sûreté de l'État de la cour d'appel de Stuttgart a siégé dans ce tribunal-bunker contre un prisonnier grièvement blessé, qui d'après l'avis d'experts médicaux indépendants, était incapable de comparaître. Günter Sonnenberg, par suite d'une blessure par balle à la tête, n'était pas en état de suivre les débats et de se défendre. Cela était perceptible pour tout observateur assistant au procès. La cour d'appel est passée par-dessus l'avis des experts ne dépendant pas de la justice ou du Land de Bade-Wurtemberg. Une peine d'emprisonnement à vie a été rapidement infligée à un invalide de la guerre entre l'État et la guérilla urbaine, parce que les conséquences juridiques de son incapacité de comparaître — libération et convalescence — auraient fait obstacle à son extermination dans une prison spéciale.

21