Réponse à l¹article de Thierry Meyssan, ³Beslan : un an après le mystère s¹éclaircit²
par Fausto Giudice, 1er septembre 2005 ( site Internet http://quibla.net )
Cher Thierry Meyssan,
J¹ai été, je l¹avoue, littéralement abasourdi par ton article, paru le 31 août et intitulé ³Beslan : un an après le mystère s¹éclaircit ³. Réseauvoltairenet se présente comme un ³réseau de presse non-alignée². Après cet article, il devrait plutôt s¹intituler ³réseau de presse aligné sur Moscou². Il contient en effet une série d¹affirmations péremptoires non-étayées et d¹omissions qui appellent une réponse.
À te lire, Vladimir Poutine est un démocrate qui est en train d¹instaurer la démocratie dans la Fédération de Russie et de ³normaliser² la situation en Tchétchénie. Tu en veux comme preuves les ³élections² d¹août 2004, modèle d¹élections démocratiques, selon les ³observateurs internationaux unanimes². Simultanément, le gouvernement Maskhadov est qualifié par toi de ³gouvernement en exil ayant pignon sur rue à Washington et à Londres². Or, que je sache :
- Aslan Maskhadov était le président élu de Tchétchénie.
- Il a été assassiné par les forces spéciales russes en Tchétchénie et non pas à Washington ou à Londres.
- Les seuls membres du nouveau gouvernement tchétchène constitué après l¹assassinat de Maskhadov, à vivre en dehors de Tchétchénie sont Ahmet Zakaïev, réfugié à Londres, d¹où il a échappé de peu à l¹extradition vers la Russie, et Osman Ferzauli, ministre des Affaires étrangères, qui est réfugié politique au Danemark
Pour revenir aux ³élections² du 29 août 2004, j¹aimerais bien savoir d¹où tu tiens le chiffre de taux de participation de 79%. La moitié de la population tchétchène vit aujourd¹hui en dehors de Tchétchénie. Alors, 79% des électeurs inscrits, c¹est pratiquement impossible.
Venons-en à Beslan. Pourquoi ne pas parler dans ton article du procès de Nourpachi Koulaïev, qui traîne à Vladikavkaz depuis le mois de mai ? Pourquoi ne pas dire que Nourpachi Koulaïev était détenu depuis de longs mois par les Russes avant la prise d¹otages de Beslan et qu¹il a été amené sur place pour faire de la figuration, après la prise d¹otages ?
Et enfin, Chamil Bassaïev. Tu écris :
« Pour réaliser l¹attaque de Beslan, Chamil Bassaïev n¹a pas pu compter sur des forces militantes. Il a dû utiliser des toxicomanes, rétribués en drogues, encadrés par quelques combattants aguerris. M. Bassaïev ne dispose pas en effet de légitimité en Tchétchénie et n¹a pas de partisans. C¹est un chef de guerre qui a connu une carrière de mercenaire dans divers conflits, avant de tenter en vain une percée politique en Tchétchénie, puis de revenir à des activités militaires. »
Je ne sais pas sur quoi tu te fondes pour cette série d¹affirmations péremptoires. Ce qui est en revanche évident, c¹est que Bassaïev n¹est pas seul, qu¹il n¹est pas en exil mais vit en Tchétchénie et qu¹il a des ³partisans² puisqu¹il est le principal commandant de la résistance armée tchétchène à l¹occupation russe. S¹il n¹était que ce que tu dis, un ³chef de guerre² sans base, il y a longtemps que les Russes l¹auraient liquidé.
Il est suffisamment difficile d¹y voir clair dans le bourbier tchétchène - il n¹y a pratiquement plus aucun journaliste sur place - pour ne pas en rajouter dans les analyses fondées sur une idéologie directement héritée de la guerre froide. Avec cette idéologie, on peut faire de la propagande, mais pas de l¹information. Allez Thierry, encore un effort pour devenir ³non-aligné² !
PS (3 septembre) : Thierry Meyssan n¹ayant ni daigné répondre à ce courrier ni le publier, je le rends donc public.
Ci-dessous l¹article de Meyssan.
Mercenariat
Beslan : un an après, le mystère s¹éclaircit
par Thierry Meyssan, voltairenet.org, 31 août 2005
L¹auteur est journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire.
Il n¹est pas prudent de considérer l¹actualité internationale en faisant abstraction des réalités stratégiques. Lors de la prise d¹otages du 3 septembre 2004 à Beslan, en Russie, qui causa la mort de 186 enfants, les relais médiatiques dominants s¹étaient démarqués de l¹horreur en affirmant leur soutien aux « Tchéchènes modérés » d¹Aslan Maskhadov, appuyés par Londres et Washington. Pourtant, un an plus tard, Chamil Bassaïev, organisateur de l¹opération conçue pour occasionner un carnage, vient d¹être proclamé vice-Premier ministre du gouvernement en exil. Avec du recul, on constate donc qu¹une fois de plus l¹émotion immédiate sert des intérêts plus complexes : le contrôle des ressources de la Caspienne.
Il y a un an exactement, le 1er septembre 2004, un groupe d¹hommes armés faisait irruption dans une école à Beslan (Ossétie du Nord) et prenait enfants, parents et professeurs en otages. Au bout de trois jours de crise, d¹une série d¹explosions et d¹un assaut des forces de l¹ordre, 376 personnes trouvèrent la mort, dont 186 enfants. Cette action fut revendiquée par Chamil Bassaïev, un chef de guerre tchétchène. Étrangement, la presse occidentale, loin d¹exprimer la moindre compassion pour les Russes, s¹acharna contre le président Poutine, accusé d¹être responsable du carnage à la fois parce qu¹il entretiendrait une atroce guerre coloniale en Tchétchénie et parce qu¹il aurait ordonné un assaut aveugle. Certains auteurs allérent plus loin en accusant Vladimir Poutine d¹avoir délibéremment provoqué le bain de sang pour justifier de nouvelles mesures autoritaires [ 1 ]. De son côté, le Kremlin répondit en affirmant que la prise d¹otages serait sans lien avec le conflit tchétchène, lequel serait en voie de normalisation, mais montrerait que la Russie serait devenue une cible du terrorisme international. Cette version fut bientôt modifiée, des experts russes laissant entendre que l¹opération aurait en réalité été commanditée par les services britanniques pour affaiblir le pays [ 2 ].
Un an après, que savons-nous de ce drame, des objectifs politiques de ses protagonistes et de ses conséquences ?
Le drame tchétchène
Pour répondre à ces questions, il convient d¹abord de resituer cette affaire dans son contexte. La Tchétchènie est un État membre de la Fédération de Russie qui a connu deux guerres successives en une décennie et reste plongée dans le chaos [ 3 ]. Pour ceux qui ont une vision ethnique de la Russie, blanche et orthodoxe, la question ressort des classiques guerres coloniales. À l¹inverse, pour ceux qui ont définition eurasiatique de la Fédération, le problème actuel est une conséquence de l¹effondrement de l¹État dans la période 1991-1999 au cours de laquelle le président Eltsine hésita entre la guerre à outrance contre sa propre population et l¹indépendance de fait. La vacance du pouvoir aurait à la fois profité aux bandes armées et aux précheurs islamistes selon un schéma comparable à celui qu¹a connu l¹Afghanistan à la même époque.
Ces deux points de vue peuvent être également étayés, mais il importe de bien comprendre les idéologies qui les sous-tendent. La vision ethnique est défendue, en Russie et en Tchétchènie même, par l¹extrême droite, et en Occident par les partisans du « choc des civilisations ». La vision eurasiatique est promue par le président Poutine qui ne manque pas une occasion de célébrer l¹apport musulman dans l¹édification de la Russie [ 4 ].
L¹analyse historique donne raison aux eurasiates, comme l¹a noté le professeur Francisco Veiga de l¹université de Barcelone [ 5 ], mais il n¹infirme pas pour autant le point de vue ethnique qui peut constituer un projet politique.
Quoi qu¹il en soit, la question tchétchène est aussi, et peut-être surtout, une question stratégique internationale : cet État est traversé par un réseau d¹oléoducs indispensable à l¹expoitation russe du pétrole de la Caspienne. Dès lors, il y va de l¹intérêt des rivaux et adversaires de la Russie, et singulièrement des États-Unis, que le conflit s¹éternise voire qu¹il s¹étende à tout le Caucase [ 6 ]. Ceux-ci déploient des efforts visibles dans la région. Ils ont placé des hommes à eux en Géorgie dont ils encadrent l¹armée et contrôlent l¹espace aérien depuis leur base turque d¹Incirlik [ 7 ]. En réponse, les Russes soutiennent en sous-main, en Géorgie, les séparatistes d¹Ossétie du Sud [ 8 ].
Les élections d¹août 2004
Le processus politique en cours permet à la Fédération de Russie d¹organiser des élections en Tchétchènie, le 29 août 2004. Les observateurs internationaux unanimes, y compris ceux de la Ligue arabe, attestent de la sincérité du scrutin, tandis que, fidèle à elle même, la presse occidentale persiste à dénoncer une mascarade organisée par l¹apprenti-dictateur Poutine.
L¹appel des indépendantistes à boycotter le scrutin est peu suivi, puisque le taux de participation atteint 79 %. Le général Alkanov, candidat pro-Fédération, est élu sans difficulté. Mauvaise joueuse, la presse occidentale voit dans ce résultat la preuve d¹une manipulation. Deux jours plus tard, le président français, Jacques Chirac, et le chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui ont une toute autre analyse, font le voyage de Sochi pour féliciter le président Poutine d¹avoir réussi à rétablir des institutions démocratiques en Tchétchénie.
Les partisans du chaos n¹avaient pourtant pas ménagé leur peine pour faire échouer le processus politique : le 24 août, un Tupolev 154 reliant Moscou à Sochi et un Tupolev 134 reliant Moscou à Volgograd explosaient en vol, provoquant la mort de 90 personnes. Après avoir évoqué de possibles accidents, les autorités russes admettaient que les deux avions avaient fait l¹objet d¹attentats. L¹action était revendiquée par les Brigades Al-Islambouli (Kata¹ib al-Islambuli) [ 9 ]. Le 31 août, la même organisation faisait exploser une bombe à Moscou, devant la station de métro Rizhskaya, tuant dix personnes et en blessant une cinquantaine. Mais le plus terrible restait à venir.
Le massacre de Beslan
Le 1er septembre, 32 hommes et femmes en armes pénétrent dans l¹école de Beslan (Ossétie du Nord, Fédération de Russie) au cours de la cérémonie du « jour de la connaissance ». Ils rassemblent 1300 otages, élèves, parents d¹élèves et personnels, dans le gymnase de l¹établissement, qu¹ils piégent avec quantité d¹explosifs.
Les forces de sécurité encerclent l¹école, tandis que le docteur Leonid Roshal (qui avait déjà été le négociateur lors de la crise des otages du théâtre de Moscou) vient parlementer. Cependant, les preneurs d¹otages n¹expriment aucune revendication, refusent de donner à manger et à boire aux otages, et en abattent 20 chaque fois que l¹un d¹entre eux est blessé par les forces de sécurité.
Pendant ce temps, le Kremlin, qui ne considére pas cette affaire comme émanant de la cause tchétchène, mais comme commanditée par une puissance étrangère, saisit le Conseil de sécurité des Nations Unies. Celui-ci refuse de débattre d¹un projet de résolution et se contente d¹un communiqué de condamnation de la prise d¹otage et des attentats aéronautiques exhortant la communauté internationale à coopérer avec les autorités russes pour arrêter et juger les coupables [ 10 ].
Le lendemain, l¹ancien président d¹Ingouchie, Ruslan Aushev, tente à son tour une médiation, et obtient des libérations au compte-goutte. Les enfants sont toujours privés d¹eau et de nourriture, contraints de boire leur urine pour survivre. Les preneurs d¹otages se montrent particulièrement insensibles et sarcastiques. Leur chef déclare agir sur ordre du chef de guerre Chamil Bassaïev, sans formuler d¹exigence. Il joue le pourrissement de la situation, tandis que les médias du monde entier affluent dans la petite ville. Soudain, il requiert la venue de plusieurs personnalités et déclare qu¹il ne donnera à boire aux enfants que lorsque le président Poutine aura annoncé à la télévision l¹indépendance de la Tchétchénie.
Le troisième jour, les preneurs d¹otages autorisent les services médicaux à venir évacuer les cadavres de 21 otages abattus car, la chaleur et l¹humidité aidant, ils commencent à se décomposer. Une explosion retentit à ce moment-là sans que l¹on sache exactement s¹il s¹agissait d¹un coup de feu tiré par un parent d¹élève de l¹extérieur de l¹école, ou plus probablement d¹une des bombes déclenchée accidentellement. L¹explosion fut le signal d¹une fusillade générale au cours de laquelle les forces de l¹ordre donnèrent l¹assaut. Les tirs et les bombes firent 376 morts, dont 11 soldats russes et 32 preneurs d¹otages.
Un seul preneur d¹otages survivra et sera jugé. Les autopsies révéleront que 22 de ses compagnons d¹armes étaient des toxicomanes en état de manque au moment de leur mort. L¹identification des attaquants est toujours sujette à caution.
L¹action a été revendiquée par Chamil Bassaïev et condamnée par le porte-parole du gouvernement tchétchène en exil à Londres, Ahmed Zakaïev.
Quelques remarques
Pour réaliser l¹attaque de Beslan, Chamil Bassaïev n¹a pas pu compter sur des forces militantes. Il a dû utiliser des toxicomanes, rétribués en drogues, encadrés par quelques combattants aguerris. M. Bassaïev ne dispose pas en effet de légitimité en Tchétchénie et n¹a pas de partisans. C¹est un chef de guerre qui a connu une carrière de mercenaire dans divers conflits, avant de tenter en vain une percée politique en Tchétchénie, puis de revenir à des activités militaires.
L¹opération était conçue pour se terminer en carnage. Le gymnase avait été piégé avec des bombes accrochées aux plafonds par des sparadraps. Un système si précaire que l¹on se demande comment il a bien pu tenir trois jours complets. Il semble que l¹encadrement militaire du groupe avait prévu de prendre la fuite en sacrifiant sa piétaille, mais a été pris de court par les évènements.
Le commando n¹a pas formulé de revendication avant la fin du second jour, c¹est-à-dire avant l¹arrivée des journalistes étrangers. Au demeurant cette revendication était irréaliste et de pure forme. L¹objectif était donc de créer une situation de crise, pas de marchander quoi que ce soit.
La prise d¹otage intervient trois jours après l¹élection présidentielle en Tchétchénie et quelques heures après la fin du sommet russo-germano-français de Sochi, saluant la normalisation politique de la Tchétchénie. Son objectif principal est de stopper le processus politique et la reconnaissance internationale de l¹action de Vladimir Poutine pour établir la démocratie.
Les masques tombent
À l¹approche du premier anniversaire du massacre de Beslan, Chamil Bassaïev, qui fait l¹objet d¹un mandat d¹arrêt international, a donné une interview à une chaine de télévision états-unienne. Puis, il a été nommé vice-Premier ministre du gouvernement tchétchène en exil à Washington et à Londres, qui avait pourtant officiellement condamné l¹opération de Beslan. La distinction, imaginée par les partisans ouest-européens de l¹indépendance de la Tchétchènie, entre les « durs » comme Bassaïev (que tous les Occidentaux condamnent) et les « modérés » du gouvernement provisoire (avec lesquels on déplore que le président Poutine refuse de discuter) n¹est donc qu¹un artifice de communication.
Ce gouvernement est appuyé par l¹American Committee for Peace in Chechnya de l¹ancien conseiller national de sécurité Zbigniew Brzezinski, installé dans les locaux de la Freedom House [ 11 ] de l¹ancien directeur de la CIA James Woolsey.
Chamil Bassaïev revendique des liens récents avec Oussama Ben Laden que les États-Unis prétendent aujourd¹hui rechercher en vain.
M. Brzezinski est connu pour avoir personnellement recruté Oussama Ben Laden lorsque celui-ci vivait à Beyrouth et lui avoir confié l¹organisation d¹attentats en Afghanistan visant à provoquer l¹intervention soviétique. Dans ces divers ouvrages et conférences, M. Brzezinski n¹a cessé de préconiser le démantélement non pas seulement de l¹URSS, mais de la Fédération de Russie et d¹apporter son soutien à tous les séparatismes pourvus qu¹ils soient anti-Russes.
Ce que l¹on peut en conclure
L¹opération de Beslan a été perpétrée non par des militants, mais par des mercenaires. Elle ne visait donc pas à défendre une cause, que ce soit l¹indépendance de la Tchétchénie ou l¹instauration d¹un Califat. Elle participe du « grand jeu » qui oppose les grandes puissances pour le contrôle du Caucase et des ressources de la Caspienne. Son organisateur, Chamil Bassaïev, est aujourd¹hui vice-Premier ministre d¹un gouvernement en exil ayant pignon sur rue à Washington et à Londres. Ce dernier dispose de toute l¹aide logistique nécessaire fournie par le gouvernement des États-Unis via des officines connues de la CIA.
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