Nier ou justifier un génocide sont deux
choses différentes ;
la première est légale, selon le Conseil
constitutionnel espagnol
Décision du Tribunal constitutionnel espagnol [1]
http://www.tribunalconstitucional.es/jurisprudencia/Stc2007/STC2007
Arrêt rendu le 16 novembre 2007 par le tribunal constitutionnel réuni en séance plénière, et composé des magistrats suivants :
Maria Emilia Casas Baamonde, présidente
Guillermo Jiménez Sánchez
Vicente Conde Martín de Hijas
Javier Delgado Barrio
Elisa Pérez Vera
Roberto García Calvo y Montiel
Eugeni Gay Montalvo
Jorge Rodríguez-Zapata Pérez
Ramón Rodríguez Arribas
Pascual Sala Sánchez
Manuel Aragon Reyes
Pablo Pérez Tremps
Au nom du Roi
I : Objet
1. Requête de
2. Antécédents :
Le 29 septembre 2000, la cour a reçu un office rappelant que:
a) le 16 novembre 1998, la juridiction pénale n°3 de Barcelone avait émis une sentence condamnant Pedro Varela Geis, pour les faits avérés suivants :
en tant que propriétaire et directeur de la librairie EUROPA, l’accusé a
distribué, diffusé et vendu de façon constante et habituelle des livres,
publications, affiches, lettres et autres, qui offensent sans équivoque le
groupe social constitué par la communauté juive ; dans ces documents
étaient niés la persécution et le génocide subis par ledit peuple durant
l’étape historique de
Le tribunal condamne l’accusé, en tant qu’auteur responsable d’un délit continuel de génocide selon l’article
607.2 CP, à une peine de deux ans de prison, et aux dépens ; il le
condamne également, comme auteur responsable d’un délit prolongé quant à
l’exercice des droits fondamentaux et libertés publiques garantis par
b)
L’accusé ayant fait appel,
c) Contre la décision du 30 avril 1999, l’une des parties civiles (Asociación ATID-SOS Racisme Catalunya) a argumenté que le Tribunal provincial avait enfreint les dispositions de l’article 35.2 de la loi organique du Tribunal constitutionnel en posant la question de l’inconstitutionnalité de façon prématurée, dans la mesure où l’appel n’avait pas encore donné lieu à sentence. Le 6 mai 1999, la cour d’appel déclara n’y avoir lieu.
d) L’une des parties civiles, la communauté israélite de Barcelone, a été soutenue par le Ministère public, dans une intervention pour rejeter l’examen de l’anticonstitutionnalité de l’article ; mais le tribunal a décidé de poursuivre, ce qui a été acté en séance plénière le 18 janvier 2000 (ATC 24/2000).
e)
ATID et SOS Racisme Catalunya tentèrent d’invoquer un
incident de nullité ; le représentant de
f) Par arrêté du 24 janvier 2000, leurs demandes ont été rejetées.
g)
Le ministère public ne s’est pas opposé à la reprise
des audiences, décidée le 14 juillet 2000, en application de l’article 35.2 de
h)
Le 14 septembre 2000, la question a été débattue à
3. [… Réflexion sur ce qu’il faut entendre par « délit de génocide », le concept introduit par l’article 607.2 du CP] :
Le tribunal
considère donc que l’article 607.2 du CP constitue un type pénal autonome qui
ne peut se confondre avec la définition de
l’apologie du délit selon l’article 18 du CP ; il ne saurait non plus
sanctionner l’apologie des délits de génocide ni la provocation à la commission
de ceux-ci ou l’incitation à la haine raciale parce que ces conduites sont déjà caractérisées dans d’autres
articles du Code pénal (art. 510, 515, 5°, 519 et 615 du CP). La conduite
sanctionnée par l’article 607.2 se réfère donc exclusivement à la diffusion d’idées ou de doctrines qui nient
ou justifient les délits de génocide, conduite qui correspond à la sanction
infligée en première instance à Pedro Varela Geis. Le tribunal considère qu’il
y a un conflit évident entre cette norme pénale, qui sanctionne la diffusion
d’idées et d’opinions sur certains faits historiques, et le droit à la liberté
d’expression consacré par
4. Le 31
octobre 2000,
5. Le 15
novembre 2000, la présidente du Congrès des députés a communiqué la décision
adoptée par
6. Le 24
novembre 2000, la présidente du Sénat communique au tribunal son offre de
collaboration, en application de l’article 88.1 de
7. Le représentant de l’Etat[2] s’exprime par écrit le 24 novembre 2000 également, pour s’opposer au débat, « au moyen d’une argumentation complexe »[3].
- Tout d’abord, il souligne que même si plusieurs articles du CP couvrent le même domaine et se recoupent, l’article 607.2 peut apparaître comme superflu, mais non incompatible avec la constitution espagnole.
- Si l’on confronte les différents articles entre eux, comme le fait la requête, ce sont les différences entre eux qui sont patentes ; il y aurait lieu d’exploiter des analogies, non pour étendre le domaine de ce qui est punissable, mais au contraire, pour le restreindre.
- Il constate à la fois des éléments d’égalité et de diversité retenus « in malam partem », la requête manquerait donc de cohérence ; elle fait un usage tout aussi contestable de l’analogie.
- Il insiste sur l’extrême gravité des délits regroupés dans la rubrique générique de « délits de génocide ». Il rappelle également qu’on ne sanctionne pas une seule conduite délictueuse, mais deux : le fait de diffuser des idées ou doctrines qui nient ou justifient les délits susdits de génocide, d’une part ; d’autre part, le fait de prétendre réhabiliter des régimes ou des institutions qui offrent une protection à ces pratiques, génératrices de semblables délits. La première de ces deux conduites pourrait à son tour se subdiviser en deux modalités différentes, d’une part la négation des délits de génocide, de l’autre la justification de semblables délits. Dans la mesure où la requête d’inconstitutionnalité ne précise pas laquelle des deux modalités est visée, il la rejette. [Un long développement suit]. Bref, il faut reconnaître dans l’article 607.2 « tant une mesure de défense légitime des minorités que de l’ordre constitutionnel ».
- Il ne considère pas que la création d’un « climat favorisant des conduites discriminatoires » soit un « reste vaporeux », ou de « légères perturbations de l’égalité juridique, ni que leur punition corresponde à un modeste objectif d’éviter des discriminations occasionnelles », car il s’agit au contraire « d’empêcher la réalisation d’actions que le législateur a évaluées comme causes d’incitation tout à fait directes à la perpétration de graves délits qui portent atteinte aux intérêts les plus essentiels de la coexistence humaine ».
- Contrairement au Tribunal provincial de Barcelone, il ne pense pas que l’article 607.2 soit superflu pour protéger les droits fondamentaux des minorités [mises en danger, même si c’est de façon abstraite].
- Il constate la mise en œuvre de deux prémisses difficilement acceptables : d’une part, la réduction inadaptée de l’objet de la norme ; de l’autre, l’insistance sur son caractère abstrait ou « diffus ». En effet, il ne s’agit pas de protéger certaines minorités en particulier, dans l’article 607.2, mais d’une finalité visant à protéger la société en général ; les minorités ethniques ne sont donc pas les seules victimes potentielles des délits signalés, mais le sont aussi les majorités ou « plus exactement, la société dans son ensemble ». Il n’y a donc pas lieu de pratiquer une lecture réductionniste de l’article 607.2, mais au contraire d’y voir une mesure de défense de l’ordre constitutionnel lui-même.
- Il rejette le côté « vague ou diffus » du type pénal retenu, qualifié de création d’un « climat favorisant des conduites discriminatoires » (F J 5° de la requête). D’après lui, « la conduite sanctionnée dans les types pénaux [décrits par l’article 607.2] consiste en la négation ou justification de délits d’assassinat, ou d’agressions sexuelles, ou de transfert forcé de populations, ou de stérilisations, ou les prétentions à la réhabilitation des régimes qui protègent ces délits » : tout cela[4] ne saurait être qualifié de « légères perturbations de l’égalité juridique » ; il conclut que « cette connexion causale entre l’exposé et la divulgation de certaines doctrines ou idées et les crimes les plus abjects ne lui semble pas relever d’un caprice occasionnel ou soudain du législateur, ni d’une présomption irrationnelle ou excessive, mais être le produit de certaines douloureuses expériences historiques ».
- Selon l’avocat général, ce qui est en cause ne relève pas, comme l’envisage le tribunal provincial de Barcelone, de « simples opinions sur les faits historiques », qui seraient couvertes, même si elles sont erronées ou fausses, par l’article 20.1 de la constitution espagnole ; il s’agit plutôt de la négation ou de la justification du fait que constituent un délit de génocide des faits tels que l’extermination de juifs par le régime nazi. Ainsi donc, selon l’avocat général, « professer des idées ou des doctrines qui nient que le génocide soit un délit, ou qui justifient le délit… ne constitue pas un acte d’exercice du droit fondamental à la liberté d’opinion » parce que ce comportement est dangereux –au moins sur un plan abstrait– pour le bien juridique protégé, dans la mesure où cela pourrait conduire à « stimuler des ressorts psychologico-sociaux mal connus, et à créer une atmosphère sociale qui, comme le prouve le déroulement des faits dans l’Allemagne nazie, commence par la discrimination légale dans l’accès aux charges publiques et à certaines professions, se poursuit par l’encouragement à l’émigration d’une partie de la population, et s’étend et s’intensifie dans tous les domaines de la cohabitation jusqu’aux extrémités de destruction et d’extermination dont l’histoire a connaissance ».
8. Le 27 novembre 2000, le procureur général de l’Etat[5] a invité par écrit le tribunal à renoncer à examiner l’anticonstitutionnalité de l’article 607.2.
- Il commence par considérer que la requête ne peut porter que sur la « diffusion par quelque moyen que ce soit d’idées ou de doctrines qui nient ou justifient le génocide ». Or cela ne rentre pas dans le délit d’apologie du génocide, sanctionné tant dans les accords internationaux que dans le droit comparé, car l’apologie est une forme de commission d’un délit (art. 18 CP). L’apologie de génocide est spécifiquement sanctionnée dans l’article 615 CP, avec des peines plus sévères. Le législateur espagnol envisageait donc, en complétant le texte accepté en 1948 à l’ONU par l’article 607.2, seulement le fait de « diffuser des idées qui nient ou justifient des faits désormais historiques de génocide » ; ce législateur considérait que cela représente un danger, dans la mesure où un climat d’acceptation et d’oubli de ces faits pourrait s’en suivre, ce qui est exclu[6] dans une société démocratique, et qui peut donner lieu à des éclats de violence raciale ou ethniques non désirés.
- Après quoi, le procureur précise ce qui constitue le droit à la liberté d’expression comme fondement essentiel de toute société démocratique en se rapportant aux SSTEDH du 23 septembre 1998 (cas Lehideux), 8 juillet 1999 (cas Sürek, Baskaya et Okçuoglu) et 29 septembre 1999 (cas Oztürk) et conclut que le droit à la liberté d’expression couvre non seulement les idées et informations agréées ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi celles qui dérangent, choquent ou inquiètent, parce le que pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’y a pas de société démocratique, le requièrent.
- Il distingue
(en se référant aux SSTC 214/1991 et 176/1995) dans le cadre de l’article 10.1
de
-Il s’agirait donc de « générer dans l’opinion un état d’opinion favorable au génocide, de façon planifiée, systématisée ou organisée […] et de préparer psychologiquement la population, par des moyens de propagande, et de générer un climat de violence et d’hostilité qui, à terme, pourraient se concrétiser en actes spécifiques de discrimination raciale, ethnique ou religieuse. »
-Ainsi compris, il s’agit donc d’un « délit de danger abstrait ». Le procureur fait état de la réapparition de mouvements xénophobes clairement inspirés des postulats défendus en son temps par le national socialisme, dont l’expansion pourrait générer un risque de déstabilisation du système démocratique, parce que pourrait parvenir à l’opinion publique un ensemble de messages comportant des thèses clairement contraires aux droits de l’homme.
9. Est fixée la date du 7 novembre 2007 pour la délibération et l’énonciation de l’arrêt.
II Fondements juridiques
1. Rappel sur ce qu’on entend par « délits de génocide », définis comme tels par l’article 607.1 CP : « conduites guidées par l’objectif de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux, au moyen de la commission des actes suivants :
1) tuer l’un de ses membres ;
2) Agresser sexuellement l’un de ses membres ou lui produire l’une des lésions prévues dans l’article 149 CP ;
3) soumettre le groupe ou n’importe lequel de ses individus à des conditions d’existence qui mettent en danger sa vie ou perturbent gravement sa santé ou occasionnent l’une des lésions prévues dans l’article 150 CP ;
4) mettre à exécution des déplacements forcés du groupe ou de ses membres, adopter toute mesure qui tende à entraver leur genre de vie ou de reproduction ou transférer de force des individus d’un groupe à un autre ;
5) produire toute autre lésion différente de celles qui ont été antérieurement signalées.
2.
3. [Résumé des argumentaires du Tribunal Provincial de Barcelone puis des deux
repésentants de l’Etat mentionnés ci-dessus]
4. Depuis le départ,
[Suit un rappel sur le contenu de l’article 20.1 CE qui] “garantit un
intérêt constitutionnel pour la formation et l’existence d’une opinion publique
libre, garantie qui revêt une transcendance particulière dans la mesure où,
étant une condition préalable et nécessaire pour l’exercice d’autres droits
inhérents au fonctionnement d’un système démocratique, elle devient à son tour
un des piliers d’une société libre et démocratique. Pour que le citoyen puisse
former librement ses opinions et participer de façon responsable aux affaires
publiques, il doit être également largement informé, de façon à pouvoir
soupeser des opinions diverses et même contradictoires” (STC 159/1986, 16
décembre, FJ 6).
En conséquence [...], le droit à la liberté d’expression couvre non
seulement les idées et informations agréées ou considérées comme inoffensives
ou indifférentes, mais aussi celles qui dérangent, choquent ou inquiètent,
parce le que pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il
n’y a pas de société démocratique, le requièrent (STC 174/2006, 5 juin, FJ 4).
Pour cela même nous avons affirmé catégoriquement qu’il est « évident que toute opinion peut se prévaloir de la
protection de la liberté d’opinion, aussi erronée ou dangereuse qu’elle puisse
paraître au lecteur, y compris celles qui attaquent le système démocratique
lui-même.
Pour des circonstances
historiques liées à son origine, notre ordre constitutionnel repose sur la plus
large garantie des droits fondamentaux, qui ne sauraient être limités au motif
qu’ils seraient utilisés avec une finalité anticonstitutionnelle. Comme on le
sait, dans notre système –à la différence d’autres systèmes de notre entourage
géographique– un modèle de « démocratie militante » n’a pas lieu
d’être, autrement dit un modèle dans lequel soit imposé, non seulement le
respect mais aussi l’adhésion positive à l’ordre constitutionnel et en premier
lieu à
[Rappel du côté “répugnant et repoussant des idées en question, sur les
actes de barbarie et atrocités perpétrées par les totalitarismes de notre temps”]
Nous avons déjà à d’autres occasions conclu que “les affirmations, doutes
et opinions sur la conduite nazie envers les juifs et les camps de
concentration, aussi répréhensibles et tergiversées soient-elles –et en réalité
elles le sont puisqu’elles nient l’évidence[8]
de l’histoire– sont sous la protection du droit à la liberté d’expression (art.
20.1 CE), en rapport avec le droit à la liberté idéologique (article 16 CE)
car, indépendamment de l’évaluation que l’on puisse en faire -ce qui n’est d’aileurs pas du ressort de ce
tribunal- elle ne peuvent être comprises que comme ce qu’elles sont: des
opinions subjectives et intéressées sur des événements historiques” (STC
214/1991, 11 novembre, FJ 8). Cette même perspective a amené le TEDH, en
plusieurs occasions où l’on mettait en doute la collaboration avec les atrocités
nazies pendant
5. [Suivent des précisions sur ce qu’on entend par respect de la dignité de
la personne et de l’égalité (STC 214/1991, 11 novembre, FJ8.]
La reconnaissance constitutionnelle
de la dignité humaine constitue le cadre dans lequel doivent s’exercer les
droits fondamentaux en vertu de quoi l’apologie des bourreaux, par la
glorification de leur image et la justification de leurs actes, quand cela
supposerait une humiliation de leurs victimes, ne saurait invoquer la
couverture constitutionnelle (STC 176/1995, FJ). De même pour les jugements offensants
contre le peuple juif qui, émis dans le droit fil de positions qui nient
l’évidence du génocide nazi, supposent une incitation raciste (STC 214/1991, 11
novembre FJ8; 13/2001, 29 janvier, FJ7). Ces limites sont les mêmes, pour
l’essentiel, que celles qu’a reconnu le Tribunal Européen des Droits humains en
application du paragraphe deuxième de l’article 10 CEDH. A savoir, concrètement
(voir pour toutes l’arrêt Ergogdu &
Ince contre Turquie, 8 juillet 1999) que la liberté d’expression ne peut
ofrir de couverture à ce qu’on appelle “discours de haine”, c’est à dire le
discours développé en termes qui supposent une incitation directe à la violence
contre les citoyens en général ou contre certaines races ou croyances en
particulier. Voir à ce sujet la référence interprétative de
A côté de cela, la règle générale de la liberté d’expression garantie dans
l’article 10 CEDH peut souffrir des exceptions en application de l’article 17
CEDH, qui n’a pas d’équivalent dans notre ordre constitutionnel. En vertu de
celui-ci, le CEDH a considéré que ne peut pas être considérée comme protégée
par la liberté d’expression la négation de l’Holocauste dans la mesure où cela
impliquerait un objectif de “diffamation raciale contre les juifs et
d’incitation à la haine contre eux” (Décision Garaudy c. France, 24 juin
2003). Concrètement, à cette occasion, il s’agissait de différents articles
visant à combattre la réalité de l’Holocauste dans le but déclaré d’attaquer
l’Etat d’Israël et le peuple juif dans son ensemble, de sorte que le Tribunal a
pris en compte pour trancher l’intention d’accuser les victimes elles-mêmes de
falsification de l’histoire, avec attentat contre les droits d’autrui.
Postérieurement il a signalé, obiter
dicta, la différence entre le débat
encore ouvert entre historiens sur des aspects en rapport avec les actes
génocidaires du régime nazi, protégé par l’article 10 de
La jurisprudence du TEDH invite donc, pour invoquer une exception à la
garantie des droits, à corroborer le constat d’un tort par la volonté expresse
de ceux qui prétendent se prévaloir de la liberté d’expression pour mettre en
oeuvre la destruction des libertés et du pluralisme ou attenter contre les
libertés reconnues dans
[Suit un rappel sur “la haine et le mépris de tout un peuple ou une ethnie
(tout peuple ou toute ethnie) inompatibles avec le respect de la dignité humaine”.]
6. Le précepte mis en question est celui que contient le premier
sous-alinéa de l’article 607.2 CP, dont la teneur littérale a déjà été évoquée.
Il doit être replacé dans le contexte des engagements de l’Espagne en matière
de poursuite et de prévention du génocide. Entre autres, le §2 de l’article 22
du Pacte International de Droits civils et politiques qui étblit que “toute
apologie de la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une
incitation à la discrimination, l’hostilité ou la violence sera interdite par
la loi”, et l’article 5 de
[...]. D’autres pays qui ont souffert particulièrement du génocide commis
durant l’époque nationalsocialiste ont introduit aussi dans leur palette de
délits[9],
en raison de ces tragiques circonstances historiques, celui qui consiste
exclusivement en la simple négation de l’holocauste. [...]
La littéralité du précepte, dans la mesure où il sanctionne la transmission
d’idées, considérée en elle-même, sans exiger en complément la lésion d’autres
biens protégés par
En ce sens nous ne sommes pas devant une éventuelle limitation de la
liberté d’expression de la part du code pénal, mais c’est celui-ci qui
interfère dans le domaine propre de la délimitation même du droit
constitutionnel. Au delà du risque, indésirable dans l’Etat démocratique, de
faire du droit pénal un facteur de dissuasion de l’exercice de la liberté
d’expression, sur lequel nous avons déjà émis des avertissements en d’autres
occasions (SSTC 105/1990, FFJJ 4 et 8; 287/2000, du 11 décembre, FJ 4; STEDH,
affaire Castells, 23 avril 1992, § 46), il est interdit aux normes pénales
d’envahir le contenu constitutionnellement garanti des droits fondamentaux. La
liberté de configuration du législateur pénal trouve sa limite dans le contenu
essentiel du droit à la liberté d’expression, de sorte que, pour ce qui
intéresse à présent, notre ordre constitutionnel ne permet pas la caractérisation comme délit de la simple transmission
d’idées, même pas dans les cas où il pourrait s’agir d’idées exécrables
parce qu’elles apparaîtraient contraires à la dignité humaine, laquelle
constitue le fondement de tous les droits que reconnaît
7. Distinction sémantique dans le contenu du précepte légal (précisemnt le
premier sous-alinéa) entre la négation, qui “peut être entendue comme la simple
expression d’un point de vue sur certains faits, par l’affirmation qu’ils n’ont
pas eu lieu ou qu’ils n’ont pas été réalisés de façon telle qu’on puisse les
qualifier de génocide”, et la justification qui “n’implique pas la négation
absolue de l’existence d’un délit de génocide précis mais sa relativisation ou
la négation de son caractère antijuridique, à partir d’une certaine
identification avec les auteurs”. Pour le cas où la conduite sanctionnée
impliquerait nécessairement une
incitation directe à la violence contre certains groupes ou un mépris envers
les vitimes des délits de génocide, le législateur a prévu des sanctions (art.
165 CP) en rapport avec le concept d’apologie du génocide. Or la peine prévue
dans l’article 607.2 est sensiblement inférieure à la modalité d’apologie
qualifiée comme “provocation, conspiration et proposition pour l’exécution des
délits de génocide”. Cela empêche d’apprécier une quelqconque intention
législative d’introduire une peine qualifiée.
8. Les conduites punies par l’article 607.2 relèvent-elles du “discours de
haine”? La conduite consistant en la simple négation d’un délit de génocide ne
suppose pas une incitation directe à la violence contre les citoyens ou contre
des races ou croyances précises, supposition qui d’ailleurs, n’est pas ce à
quoi l’article
La simple négation du délit, face à d’autres conduites qui comportent une
adhésion précise favorable au fait criminel, donnant lieu à une promotion par
l’extériorisation d’un jugement positif, est indifférente[10]
dans le principe.On ne peut d’ailleurs pas, même au niveau d’une simple
tendance –comme le suggère le Ministère public- affirmer que toute négation de
conduites juridiquement qualifiées comme délit de génocide vise objectivement à
la création d’un climat social d’hostilité contre les personnes qui
appartiennent aux mêmes groupes qui à une époque ont été victimes du délit
concret de génocide dont on prétend l’inexistence; et on ne peut pas non plus
affirmer que toute négation soit per se
capable d’y parvenir. Même en tenant compte du facteur de proportionnalité
déterminé par le fait qu’une finalité simplement préventive ou de renforcement
ne peut justifier constitutionnellement une restriction aussi radicale de ces
libertés (STC 199/1987, 16 décembre, FJ 12), la constitutionnalité a priori du
précepte reposerait sur l’exigence d’un autre élément additionnel non exprimé
du délit décrit dans l’article 607.2, à savoir que la conduite sanctionnée
consistant à diffuser des opinions qui nient le géocide soit en vérité idoine
pour créer une attitude d’hostilité envers le collectif affecté. Forcer, à
partir de notre cour, une interprétation restrictive sur ce point de l’article
607.2 CP, en lui ajoutant de nouveaux éléments, dépasserait les limites de
cette juridction, en imposant une interprétation du précepte entièrement
contraire à sa teneur littérale. En conséquence, la conduite en question relève
bien d’un état préalable à celui qui justifie l’intervention du droit pénal,
dans la mesure où elle ne constitue même pas un danger potentiel pour les biens
juridiques protégés par la norme en question, de sorte que son inclusion dans
le précepte suppose une atteinte au droit à la liberté d’expression art. 20.1
CE).
Décision du Tribunal constitutionnel:
Valider partiellement la présente question d’inconstitutionnalité, et en
conséquence:
1.
Déclarer
inconstitutionnelle et nulle l’inclusion de l’expression “nient ou” dans le premier sous-alinéa de l’article 607.2 du code
Pénal
2.
Déclarer que n’est pas inconstitutionnel le
premier sous-alinéa de l’article 607.2 du Code pénal qui punit la diffusion d’idées
ou de doctrines tendant à justifier
un délit de génocide, interprété dans les termes du fondement juridique n° 9 de
cet arrêt
3.
Rejeter
la question de l’inconstitutionalité de tout le reste.
Cet arrêt sera publié dans le bulletin Officiel de l’Etat. Madrid, 7
novembre 2007.
Suivent les argumentaires de certains magistrats
qui souhaitent présenter des objections à l’arrêt du 7 novembre 2007, en
application du doit reconnu dans l’article 90-2° de
- Roberto Garcia Calvo y Montiel
- Jorge Rodríguez-Zapata Pérez
- Ramón Rodríguez Arribas
- Pascual Sala Sánchez
c)
[1] Traduction aussi exacte que possible. Les […], caractères gras et notes de bas de page sont de la responsabilité du traducteur.
[2] “Abogado del Estado”
[3] « a través de una compleja
argumentación »
[4] Curieusement, dans la liste de ces composants des « délits de génocide » ne figure nullement le meurtre de masse, ni improvisé ni dans des abattoirs humains d’aucune sorte.
[5] « Fiscal general del Estado »
[6] « improcedente », inconvenant ou irrecevable.
[7] Cet accord des Nations
Unions, ratifié par l’Espagne, a pour objet (article 5) la prévention et la
punition du délit de génocide ; il se borne à signaler qu’il faut punir,
outre ce qui relève des délits de génocide, tout acte consistant en
« instigation directe et publique à commettre un génocide ».
L’Espagne a également signé le Pacte International de Droits civils et
politiques qui établit (art. 22, paragraphe 2) que « toute apologie de la
haine nationale, raciale ou religieuse qui puisse constituer une incitation à
la discrimination, l’hostilité ou la violence sera interdite par la loi ».
D’autres articles du CP espagnol qui visent des actes proches des conduites
poursuivies sont le 615, qui établit que « la provocation, la conspiration
et la proposition pour l’exécution des délits contre la communauté
internationale seront punis avec un ou deux degrés de gravité de moins par
rapport aux peines encourues pour la commission des délits
mentionnés » ; l’article 510.1, introduit dans le Code Pénal de 1995
comme conséquence directe de la doctrine instaurée par ce Tribunal dans
[8] En espagnol « evidencia » signifie exactement évidence, et non pas comme en anglais « preuve ».
[9] Pas plus que précédemment, il n’est mentionné le meurtre de masse, improvisé ou dans des installations conçues à cet effet. Précision valable pour tout le document officiel, y compris les allégations des magistrats hostiles à l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel.
[10] « inane » : vain, futile.