Actualité Juive, N° 909 du 10/11/05, page 35 Critiquer Dieudonné ? La Justice censure un livre sur l'humoriste. Surprenant. Le tribunal de Grande instance de Paris a exigé la suppression de dix passages du livre "La vérité sur Dieudonné", jugé "injurieux". Analyse de la décision.
C'est une étonnante décision qu'a rendue la semaine dernière le tribunal de Grande instance de Paris. En l'espèce, on peut estimer que la justice vient de passer un nouveau cap dans ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire » ou plutôt « les affaires » Dieudonné. Jusqu'à présent, dans la vingtaine de cas qui leur avaient été soumis, les juges avaient feint d'ignorer ou ont minimisé les dérapages antisémites de l'humoriste pour justifier leurs décisions de relaxe. Mais non contents de l'absoudre de manière quasi systématique dans ses outrances, les magistrats parisiens semblent avoir décidé d'inter-dire désormais toute cri-tique de l'artiste, dès lors que celle-ci fait référence à son obsession des Juifs et de décourager tous ceux qui voudraient dénoncer son antisémitisme. C'est ainsi que le juge des référés du tribunal de Paris a ordonné le 2 novembre la suppression de dix passages du livre de la journaliste Anne-Sophie Mercier « La vérité sur Dieudonné » (Plon), considérés comme « outrageants » à son en-contre. Dans son ordonnance, le président du tribunal, Jacques Gondran de Robert, a estimé que l'ouvrage « contient des passages injurieux » et a condamné les éditions Pion « à supprimer lesdits passages dans toutes les éditions ultérieures ainsi qu'à insérer dans l'édition actuellement en librairie un avertissement aux lecteurs ». Pour justifier sa décision, le président Gondran de Robert souligne que « ces ex-pressions sont outrageantes et que — ne se rapportant à aucun fait précis - elles sont constitutives du délit d'in-jures publiques envers M.Dieudonné M'Bala M'Bala, dit Dieudonné ». « Les bras m'en tombent !, confiait au lendemain du jugement l'avocat d'Anne-Sophie Mercier, Maître Jean-Claude Zylberstein. J'aurais aimé tout de même une motivation plus circonstanciée. Soutenir comme le fait le président du tribunal qu'il n'y a aucun fait précis permettant d'évoquer l'antisémitisme de Dieudonné, c'est un peu fort ! Ou alors, nous n'avons pas appris le français dans la même école ». La lecture des passages incriminés conduit en effet à s'interroger sur le degré de perspicacité des juges qui ont parcouru l'ouvrage avant de se prononcer. Premier extrait dont le tribunal a demandé la suppression : « S'il y a quelqu'un que Dieudonné, justement, voudrait sans doute voir disparaître, c'est Bernard-Henri Lévy ». Pour justifier une telle affirmation. Anne-Sophie Mercier s'appuie sur toute une série de déclarations publiques de l'humoriste. La journaliste rappelle que BHL est vilipendé dans tous les spectacles de l'artiste depuis des années. Qu'il est devenu pour Dieu-donné, « la quintessence du juif puissant et profiteur ». Le livre rapporte notamment cette citation de Dieu-donné datant de novembre 2004: « Bernard-Henri Lévy, qui a voulu me priver de ce qui est ma raison d'exister, me ruiner, est l'enfant d'une famille qui a bâti son immense fortune sur le sol africain, sur l'exploitation éhontée des bois précieux d'Afrique ». Et la journaliste de conclure : « Le mythe du Juif suceur de sang a encore de beaux jours devant lui ». Cette dernière phrase fait également partie des dix passages dont le tribunal a exigé la suppression. Autre extrait censuré, le récit du spectacle donné au Zénith il y a un an : « Le 29 décembre 2004, s'est donc déroulé à Paris le plus grand meeting antisémite qu'on ait vu depuis soixante ans. Et c'est un homme de gauche, proche des Verts, héros de l'antiracisme, qui l'a animé ». Là aussi, le tribunal de Grande Instance de Paris a estimé qu'il s'agissait d'une imputation injurieuse carne reposant « sur aucun fait précis ». Pourtant, Anne-Sophie Mercier se livre à un compte-rendu détaillé de cette soirée au Zénith. Elle raconte le bras d'honneur de Dieudonné envoyé « au peuple élu » devant un public hilare ; Dieudonné faisant huer par les cinq mille spectateurs les noms, de BHL, Finkielkraut, Patrick Bruel, Pierre Bénichou, Marc-Olivier Fogiel... ; Dieudonné et ses personnages fictifs : le Professeur Goldinkrote, le Professeur Blumenthal... ; Djamel Debbouzze rejoignant Dieu-do sur scène et déplorant devoir se taper à la télé « les Drucker et les Enrico Macias » ; enfin, l'acteur Daniel Prevost lui aussi sur scène félicitant l'humoriste de « dire tout haut ce qu'une bonne partie des Français disent tout bas »... Actualité Juive, il faut le rappeler, avait été l'an passé le premier organe de presse à avoir révélé le scandale de ce spectacle au Zénith. Mais tout cela est manifestement insuffisant pour les juges du tribunal de Grande Instance de Paris qui, une fois de plus, ont décidé de donner raison à Dieudonné en condamnant l'ouvrage, en le mettant en cause et en imposant une astreinte de 100 euros pour chaque exemplaire qui se-rait mis en vente sans les modifications imposées. « Nous avons fait appel de ce jugement, indique-t-on chez Plon, mais en attendant, la sortie du livre est totalement compromise. C'est bien une décision de censure à laquelle nous sommes confrontés». Clément Weill-Raynal |