VertigO - La revue en
sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 5 No 2 , septembre 2004
La Chine au bord du gouffre, la désertification gagne du terrain. Par DOMINIQUE SIMARD,
« Conquiert et change la nature afin d'atteindre la liberté» Mao Zedong La Chine devra relever plusieurs défis de taille afin de poursuivre l'implantation du socialisme made in China entamée au début des années 1980. L'un des plus grands de ces défis est, sans contredit, la régénération de son environnement. Son état actuel, aussi bien en milieu urbain que rural, est au bord de la catastrophe avec des répercussions s'étendant à l'échelle de la planète. Le gouvernement central reconnaît parfaitement les enjeux ; le futur développement économique du pays ainsi que la qualité de vie de ses citoyens sont désormais fortement menacés. Les décisions prises par les dirigeants à la tête des réformes économiques au cours des deux dernières décennies, visant essentiellement des résultats rapides et éclatants, n'expliquent que partiellement les problèmes environnementaux frappant la Chine d'aujourd'hui. L'Empire du milieu a une longue histoire d'insouciance en matière de protection de l'environnement. Les trois décennies de bouleversements socio-politiques sous le président Mao en sont le meilleur exemple. L'ère maoïste a eu un impact épouvantable sur l'écosystème chinois avec des répercussions dorénavant difficiles à contenir. La plus notable est la désertification rapide du nord de la Chine. De plus, dans l'ensemble du pays, les terres hautement productives se font rares et avec une population frisant les 1,3 milliards d'habitants, leur disparition pourrait se transformer en cauchemar.
Le sol dans la région de Tulufan, province
du Xinjiang.Region des plus désertiques du pays. Le legs de Mao Zedong Le sujet est toujours tabou, mais selon Judith Shapiro, auteure de Mao's War Against Nature, la responsabilité du président Mao concernant l'état de l'environnement est aussi claire que celle de la mort de 60 millions de Chinois durant ses années de pouvoir. Dès le début des années 1950, avec comme objectif de créer le plus rapidement possible une société socialiste, Mao Zedong tenta de réinventer la société chinoise en remodelant la nature humaine et son environnement. La relation entre l'homme et l'environnement du pays sous son régime est indéniable : de la misère de la population découlera la dégradation de l'écosystème surtout durant la période du Great Leap Forward et de la Révolution culturelle. Lors de sa prise du pouvoir en 1949 la Chine comptait déjà 500 millions d'habitants et pourtant, l'une de ses premières décisions fut d'encourager les naissances. D'après le Président Mao, le nombre allait faire la différence dans la lutte contre les puissances impérialistes. Malgré un contrôle radical des naissances depuis le début des années 1980, le nombre de bouches à nourrir aujourd'hui est un défi à lui seul. L'utopie maoïste a préconisé de nombreuses autres actions controversées mettant en péril l'environnement. Pour des raisons de développement économique ou de sécurité nationale, des populations entières furent déplacées aux quatre coins du pays dans des régions vierges mettant en péril leur fragile écosystème. La déforestation massive, la modification de nombreux bassins hydrauliques, l'assèchement de nombreux lacs et de marais et le terrassement des montagnes furent des activités pratiquées a profusion à l'échelle nationale. Le modèle d'agriculture "Apprend de Dazhai " (Dazhai est un village de la province du Shanxi où les terres produisaient des récoltes importantes bien qu'elles est été fortement surestimées par les autorités) fut appliqué systématiquement à l'ensemble du pays sans tenir compte des particularités climatiques, topographiques et morphologiques des différentes régions provoquant un véritable " gaspillage " des terres arables. La déforestation massive, due au zèle idéologique de Mao, est aussi directement responsable de l'accélération du phénomène de désertification, mais également de l'érosion du terrain le long des cours d'eaux qui provoque chaque année des inondations dévastatrices dans le sud du pays.
L'exemple des milliers de rivières sèches
de l'ouest du pays, celle-ci dans la province du Qinghai, près
de la capitale Xining. L'optimisme sur la possibilité du contrôle de l'homme sur la nature de Mao Zedong n'était pas du nouveau en Chine. Au cours des cinq mille ans d'histoire chinoise, les Empereurs ont cherché à dompter cette nature toujours prête à se déchaîner. Trois écoles de pensée existaient à l'époque : le taoïsme qui encourageait l'homme à s'acclimater aux demandes de la nature, le bouddhisme qui vénérait tout ce qui était vivant et enfin le confucianisme qui favorisait le contrôle de la nature. L'histoire nous montre que la Chine impériale a eu un penchant pour Confucius. Mao ne fit pas exception. Le désert gagne du terrain D'Est en Ouest, le nord de la Chine (incluant les provinces du Xinjiang, du Qinghai, du Gansu, du Ningxia, du Shaanxi, du Shanxi, de la Mongolie intérieure et du Hebei) connaît une désertification galopante. Aujourd'hui, près d'un tiers du pays est désertique et s'y ajoute 2,500 km2 annuellement1 . Le désert de Gobi en Mongolie intérieure, qui menace sérieusement la capitale, Beijing, a gagné a lui seul plus de 52 000km2 de 1995 à 19992 . À l'échelle nationale, il ne resterait plus qu'approximativement 800 000 km2 de forêt, concentrés principalement a l'extrême nord (les provinces du Heilongjiang et du Jilin) et au sud (Province du Yunnan)3 .
Site touristique de Dunhuang dans la province
du Gansu. Le sable gagne du terrain annuellement. Lors des fréquentes tempêtes de sable frappant désormais Beijing et les autres centres urbains de la région, les citadins sont confrontés non seulement à des désagréments physiques tels des troubles respiratoires et les démangeaisons sévères aux yeux mais également de la nécessité de " pelleter leur entrée " après la bourrasque. Les tempêtes de sable frappent davantage la campagne. Les paysans voient leurs habitations et leurs terres disparaître sous le sable. D'après la Banque de Développement Asiatique, dans la seule province du Gansu, plus de 4000 villages pourraient ainsi disparaître à court terme4 . La Chine compte déjà 110 millions d'habitants directement touchés par la désertification5 . À part les 100 millions de paysans ayant émigré vers les centres urbains au cours des deux dernières décennies à la recherche de travail, un nombre grandissant doivent maintenant quitter leurs terres ancestrales pour des raisons environnementales. Les conséquences économiques se font maintenant considérables, de 8 à 12% du PNB s'envolent annuellement en particulier pour l'aide aux sinistres et la reconstruction des infrastructures6 . La désertification en Chine commence également à se sentir à travers le globe avec des répercussions en Corée du Sud et au Japon où les grands vents propulsent régulièrement de la poussière de sable. À l'automne 2001, Environnement Canada a même retrouvé des particules dans l'ouest canadien7 . 1,3 milliards de bouches à nourrir Se nourrir en Chine est plus qu'un besoin essentiel, mais une action fondamentale de la culture chinoise. Privés de ce plaisir durant quelques décennies, les Chinois aujourd'hui reprennent les années perdues. La consommation de viande connaît actuellement un véritable essor qui provoque à son tour une forte croissance de la demande de grains pour nourrir le bétail. Cette augmentation de la consommation de viande encourage malheureusement la désertification. En effet, la quantité impressionnante de bétails, soit 400 millions de têtes (300 millions de moutons et chèvres, alors que les États-Unis n'en comptent que 8 millions) est un facteur qui explique le ravage de la végétation, et ce principalement dans le Nord et l'Ouest du pays8 . Aussi malgré les dernières données du gouvernement central qui confirment une croissance des récoltes de riz et de blé en 2004, il faut garder à l'esprit qu'elles connaissent un déclin constant depuis la fin des années 1990. En 1998, la Chine a bien connu une récolte record de 392 millions de tonnes, mais en 2003 elle n'a pu faire mieux que 322 millions de tonnes9 . Cet écart de 70 millions semble peut-être à première vue anodin mais faut-il rappeler qu'il constitue l'équivalent de la production canadienne de grains. Selon la Earth Policy Institute, les récoltes de grains connaissent une baisse principalement en raison du rétrécissement de l'espace disponible à l'agriculture, passant de 90 millions d'hectares à 76 millions d'hectares en 2003, causé par l'expansion du désert, la disparition de l'eau pour l'irrigation et l'urbanisation rapide10 . Les terres agricoles ne comptent plus que pour 7% du territoire afin de nourrir les 1,3 milliards d'habitants11 . Devant cette situation, la Chine n'a déjà plus d'autre choix que de s'approvisionner en grains à l'étranger afin de satisfaire la demande nationale. En 2003, la Chine a acheté 20 des 26 millions de tonnes de riz disponibles sur les marchés internationaux sans compter ses achats de blé qui sont du même ordre12 . Les besoins chinois en grains sont tels qu'ils entraînent déjà une hausse sensible des prix sur les marchés mondiaux. Avec annuellement plus de 11 millions de nouvelles bouches à nourrir, la dépendance alimentaire de la Chine ne semble que vouloir s'intensifier. Nourrir la Chine pourrait bien devenir plus qu'une question économique et environnementale, mais également une question de sécurité internationale pour les décennies à venir. Une solution tout à fait chinoise Une grande muraille verte est le projet pharaonique lancé par les dirigeants chinois il y a près de 20 ans, mais plus sérieusement mis en branle au cours des cinq dernières années. Le projet est un trait tiré à travers 13 provinces et représente 343 000 hectares de nouvelles forêts faisant rempart contre le sable venant du Nord et de l'Ouest13 . Cette nouvelle " muraille de Chine " devrait s'étendre à son stade final sur 4480 km de long et quelques kilomètres de large14 . Sur le plan humain, des milliers de paysans ont été encouragés par le gouvernement à abandonner leurs activités pour joindre leurs efforts contre le nouvel ennemi : le désert. Malgré cet effort, qui connaît pour l'instant un certain succès, plusieurs paysans doutent que leurs sacrifices porteront les résultats promis. Des 30 milliards d'arbres plantés au cours des deux dernières décennies seulement 25 % ont survécu15 . Une autre solution, proprement confucéenne, afin de contrer la désertification continue et les canicules annuelles s'abattant sur la cote est du pays, est la fabrication humaine de pluie qui consiste à provoquer des précipitations lorsque la position des nuages est propice. De 1995 à 2003 plus de 210 milliards de mètres cubes de précipitations ont ainsi été créés au coût de 266 millions de dollars américains16.
Plantation d'arbres peu fructueuse sur des montagnes
ravagées durant des décennies de coupes dans la région
de Lanzhou, province du Gansu. Plus encourageante est la participation croissante de la société civile aux questions environnementales. Les médias publient quotidiennement des articles décrivant l'ampleur du désastre et il est maintenant fréquent de voir des Chinois, particulièrement en milieu rural, s'organiser afin de se faire entendre par les autorités locales lorsque leur qualité de vie est mise en danger par la dégradation ou la pollution de l'environnement. Enfin, des ONG internationales et locales et des groupes verts d'universitaires s'impliquent progressivement dans divers projets de reforestation et de sensibilisation de la population. Leurs efforts offrent une nouvelle lueur d'espoir, mais devant la gravité de la crise, leurs actions ne seront peut-être pas suffisantes. Au cours de sa longue histoire, la Chine a toujours su retrousser ses manches et rebondir. Sa persévérance tout comme une mobilisation de grande envergure de sa population seront essentielles au cours de la prochaine décennie afin d'atténuer la crise et poursuivre son spectaculaire développement économique. Lectures supplémentaires sur l'environnement en Chine Shapiro, Judith, 2001, "Mao's War Against Nature, Politics and the Environment in Revolutionay China", Cambridge University Press, 287p. Economy, Elizabeth, 2004, "The River Runs Black, The Environmental Challenge to China's Future", Cornell University Press, 272p. Elvin, Mark, 2004, " The Retreat of the Elephants: An Environmental History of China", Yale University Press, 592p.
Référence " Beijing's Desert Storm " : http://www.gluckman.com/ChinaDesert.html
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