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L'affaire Begahl, par Sacha Sher, site " neplusfairefausseroute ".

 

lundi 21 Février 2005

Emprunter la voie de la condamnation judiciaire, c'est, encore trop souvent, se mettre à déraper.

* Dérive politico-judiciaire à l'encontre du musulman actif Djamel Beghal et de ses comparses ou amis Kamel Daoudi, Abdelkril Lefkir, Rachid Benmessahel, Nabil Bounour, et Johan Bonte (son jeune beau-frère).

Outre que l'affaire apparaît essentiellement comme un procès pour mauvaises fréquentations politiques (Jésus qui fréquentait Judas serait pour cette raison condamné...), comme l'ont bien caractérisé les avocats Jean-Alain Michel, Frederic Bellanger, Claire Doubliez et autres - ce qui est proprement ahurissant lorsque l'on sait que les prévenus furent emprisonnés trois ans dans un climat délétère (mais ce cas n'est pas unique, voyez l'affaire récente et similaire des indépendantistes bretons Gaël Roblin, Kristian Georgiault, Stefan Philippe, libérés après trois ans de cabane, voir http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=1573&key=roblin&key1= ), un moment intéressant du procès était évidemment le réquisitoire (forcément à charge) du procureur Christophe Teissier, decidé à enfoncer des "islamistes" proches d'Al Qaïda. On nageait en plein brouillard, ce mouvement n'étant ni défini, ni délimité. Le "réseau Beghal" prenait des proportions européennes sans qu'il soit possible d'établir la preuve de l'activité intense dudit réseau par des traces de communications téléphoniques. Et puis, un dérapage eut lieu. M. Teissier alla jusqu'à affirmer que l'islam interdisait la mixité entre hommes et femmes à l'intérieur même d'un couple ! Signe soit d'arrogance culturelle, soit de son incapacité à réfréner une pensée mesquine et malveillante...

Après avoir assisté aux débats, un doute raisonnable vous assaille sur les intentions criminelles prêtées aux mis en examen. On ne peut évidemment tout connaître des pensées des prisonniers. Et pour cause, on eut d'abord une caricature de juge, Philippe Vandingenen, avec, en face, des prisonniers humiliés par des fouilles qui n'avaient que méfiance pour les questions du magistrat. Le tribunal se lançait dans l'exploration de voies impénétrables pour qui n'était pas au fait du dossier. Il cherchait visiblement à démontrer l'exitence de liens étroits entre de possibles malfaiteurs, alors que l'audience n'y voyait rien d'autre que des relations d'amis, d'amies, ou de famille. Les soupçons du tribunal allaient vers l'utilisation d'alias ou de numéros de téléphones codés. Mais on ne saurait être étonné par ces usages de la part de militants religieux anti-impérialistes ne désirant pas être surveillés, ni par le fait qu'ils aient suivi, pour la plupart, une formation militaire en Afghanistan, dans le but probable de combattre sur tel ou tel front, ou plus simplement par nécessité de s'armer dans une société en proie au brigandage. La fréquentation des talibans à des fins politiques ou religieuses ou militaires ne nous horrifie pas, nous qui pourfendions à vingt et un an leur injustice et leur brutalité telle qu'elle était caricaturalement décrite dans certains médias. Après tout, les talibans ont, selon le sociologue Gilles Dorronsoro, développé une démocratie locale, et ils rendirent aussi aux femmes pachtounes, au nom de la charia, les droits d'hériter et de choisir leur mari qui leur était interdit par le code de leur tribu (un article des ethnologues Micheline et Pierre Centlivres en fait état le 12 janvier 1999 dans Le Monde).

De preuves d'une préparation d'attentat en France, de traces d'une intention criminelle, d'indices laissant entrevoir ce que serait la cible (ambassade des Etats-Unis, centre culturel américain), on n'en vit pas le plus petit bout. Si bien que le procureur en fut réduit à se livrer à des interprétations tirées par les cheveux, à déduire de la fréquence d'appels téléphoniques donnés depuis le Pakistan que M. Beghal était investi d'une supposée mission. Or, en bon droit, l'association de malfaiteur doit être appuyée sur la vérification d'un acte préparatoire matériel (plans, détention d'armes, actes de repérage...), or tout ce que les amis de Beghal ont détruit après avoir entendu parler de son arrestation seraient des vidéos et du matériel informatique. De plus, le recoupement des déclarations et des aveux laisse apparaître des impossibilités chronologiques ou matérielles (jamais la boutique de Benmessahel ne servit de dépôt d'explosifs, et celui-ci ne possédait pas de miroiterie). Jamais des formules chimiques pour explosifs ne furent retrouvées dans des ordinateurs en France, uniquement en Belgique dans l'ordinateur de Trabelsi (dans le restaurant duquel on aurait retrouvé de l'acétone et du sulfate, l'intéressé ayant apparemment caresséle projet de se faire sauter en Belgique seulement). Ce dernier fut donc arrêté le 13 septembre 2001, avec des produits chimiques, longtemps après l'arrestation de Beghal le 28 juillet. Savait-il que Beghal était arrêté, et aurait-il dans ce cas gardé des traces d'explosifs ? Enfin des proches de M. Beghal tels Abou Afal ou Abdelghani ne firent pas l'objet de la moindre poursuite ou ne firent plus partie du dossier d'instruction, alors qu'ils avaient des profils identiques à d'autres, arrêtés du seul fait de la présence de leur nom dans les confessions extraites par les forces de sécurité de Dubaï. Tout au plus, le projet de mise en place d'une cellule terroriste en France ne dépassa pas la frontière des Emirats Arabes Unis où Djamel Beghal fut arrêté et torturé durant une période de détention de deux mois (le 1er octobre, un expert en constata les stigmates sous forme d'ekymoses et d'ongle retourné sur son corps amaigri d'une vingtaine de kilos), avant qu'il ne puissse rentrer en contact direct avec ses supposés complices.

Bien sûr, l'idée de l'attentat ne repose que sur des aveux arrachés sous la torture, semble-t-il avec l'aval même des magistrats instructeurs français Bruguière et Ricard, qui ne se seraient nullement souciés des conditions de détention de M. Beghal aux Emirats Arabes Unis, un pays sous la haute protection judiciaire des Etats-Unis. Pour entrer en condamnation les quatre juges devraient donc, selon le mot de maître Frédéric Bellanger, se salir les mains. Cet emprisonnement arbitraire d'un homme religieux qui faisait l'objet de l'intérêt des services secrets depuis des années, n'est pas sans rappeler, selon l'avocat Jean-Alain Michel, l'affaire de l'hérétique Jacques de Molais au XIVe siècle, un templier qui avait avoué sous la torture avoir renié le Christ et admirer en secret le démon Mahomet avant de se rétracter sur les éléments centraux de ses aveux, ce qui n'empêcha pas qu'on le brûla vif place de la Cité. Toute personne civilisée ou simplement censée trouverait grave et idiot de juger sur la fois de ces seuls aveux. Même les "Khmers rouges" avaient pour usage d'attendre qu'un individu fût nommé comme traître dans trois puis cinq confessions de prisonniers différents avant d'arrêter celui-ci (lire Sacha Sher, Le Kampuchéa des Khmers rouges, p.169)... On semble donc être en présence d'une arrestation purement politique qui vise à réprimer tout mouvement d'opposition aux guerres de conquête occidentales et tout élan de solidarité avec des peuples opprimés. Espérons que cela finira comme le procès de ces indépendantistes bretons libérés après trois ans d'emprisonnement. En attendant, Djamel Beghal, qui affirme n'avoir jamais pensé à préparer un attentat dans ses fantasmes les plus intimes, s'en remet à Dieu. Le verdict sera communiqué le 15 mars 2005. Un appel sera ensuite possible.